Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ?

L'UE et ses voisins méditerranéens

Robert Malley

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12 avril 2010

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Malley Robert

Robert Malley

Directeur du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à l'International Crisis Group de Washington ; ancien assistant spécial du Président Bill Clinton pour les affaires arabes et israéliennes.

Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ?

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1 – Le Moyen-Orient : entre représentations et réalités

Le premier exemple, le plus fondamental aussi, concerne le regard d'ensemble que, trop souvent, aux Etats-Unis comme en Europe, on porte sur la région, regard qui définit les lignes de clivage ou de fracture dominantes. C'est une vision qui privilégie une métaphore – celle des axes – et qui tend à diviser le Moyen-Orient en deux : un axe ou un camp militant pro-iranien, qui serait composé de l'Iran, de la Syrie et de leur mouvements supplétifs, le Hamas et le Hezbollah avec en face un axe ou un camp modéré pro-occidental, mené par l'Arabie Saoudite, l'Egypte et la Jordanie et dont ferait partie l'Autorité Palestinienne et le Fatah.

La représentation a du vrai, mais – de par son caractère statique, figé et en décalage avec les perceptions locales - le faux l'emporte. De cette perception dérive bon nombre d'axiomes politiques : la certitude qu'il faille isoler le Hamas car engager le dialogue avec lui reviendrait à le légitimer et trahir le Fatah et donc à porter un coup mortel au processus de paix.  Ou l'idée, présente chez certains, que Gaza est une avant-garde iranienne qui, si elle parvenait à vivre ou respirer normalement, renforcerait dangereusement le mouvement islamiste qui la contrôle et l'allié de Téhéran qui la soutient.

 

Yves Aubin de la Messuzière et moi-même avons été vertement critiqués pour avoir enfreint au boycott. Mais n'a-t-on rien appris des années d'ostracisme stérile et contre-productif à l'égard de l'OLP pour savoir qu'ignorer un mouvement enraciné dans l'opinion ne le fera pas disparaître ?

 

Autre dérivé de cette conception, l'espoir illusoire de voir la Syrie " changer de camp " ou " changer d'axe ", comme si elle appartenait pleinement à l'un ou qu'elle pouvait dans les circonstances actuelles concevoir un avantage à rejoindre l'autre.

 

Idem, l'illusion d'un front uni alliant, contre l'Iran, Israël et les pays arabes sunnites, comme si ces derniers pouvaient faire fi de leurs opinions publiques.

 

Premier écueil de cette perception binaire du monde arabe : celle-ci tend à produire les effets qu'elle souhaite enrayer et à renforcer ceux-là même que l'Occident cherche à affaiblir. Offrez à un jeune Arabe le choix entre un militantisme dynamique et une modération molle, sur quoi paririez-vous ? Donnez le choix à Damas, comme on le faisait il n'y a guère longtemps, entre un tête-à-tête avec Téhéran ou un reniement pur et simple, que pouvait-on imaginer qu'elle fasse ? Dites au Hamas qu'il peut soit renoncer à ce qu'il croit et, en acceptant les conditions du Quartette, endosser les habits de ceux qu'il combat, soit être condamné à l'isolement, c'est se garantir la mauvaise réponse.  Et c'est rendre encore moins probables les évolutions vers plus de réalisme que le mouvement islamiste pourrait – peut être, sait-on jamais – assumer.

 

Jouer de la division entre shiites et sunnites ou entre Arabes et Perses ?  N'est-ce pas là faire le jeu des extrémistes des deux bords qui manipulent la polarisation sectaire ou ethnique pour l'exacerber et en profiter ?

 

L'exemple le plus frappant, et assurément le plus tragique, nous vient d'Irak où, munie de ses préjugés et de ses ignorances, l'Administration Bush a projeté sa propre vision ethno-sectaire d'un pays rigoureusement divisé en trois ; elle l'a traité de la sorte, contribuant à l'éveil, à l'exploitation, à la politisation et à l'institutionnalisation de rivalités confessionnelles dont l'Irak souffre encore de nos jours.  Faire des Sunnites des Baasistes, et des Baasistes des ennemis jurés : voila bien un péché originel américain dont on entend, encore tout récemment un écho pas si lointain - avec l'affaire des éliminations des listes électorales.

 

Actuellement, les démons éveillés, on s'auto-félicite de ce que de plus en plus de politiciens irakiens empruntent un discours nationaliste. Mais le discours est un piètre substitut à l'émergence de véritables institutions nationales, d'un contrat politique, d'un état de droit ou d'une authentique réconciliation nationale. Et puis, la rhétorique mise à part, le fond de commerce politique demeure trop souvent le sectarisme et l'intolérance ethniques – ceux qui prétendent renoncer au premier en passant sans hésiter à la seconde, comme en témoigne l'usage de plus en plus répandu chez certains d'un discours antikurde opportuniste et périlleux.

 

L'Irak va mieux, mais il ne va pas bien. Désormais il doit se défaire de trois héritages dévastateurs : le régime de Saddam Hussein, l'occupation américaine mais aussi une maquette sectaire du pays.  Des trois, le dernier n'est pas nécessairement le moins grave.

Second écueil de cette vision par trop binaire et statique du Moyen-Orient : l'Europe et les Etats- Unis s'interdisent de comprendre les évolutions en cours et se condamnent d'office à être hors jeu, spectateurs passifs de transformations qu'ils sont incapables d'influencer.

Ici encore, quelques illustrations. Ces derniers mois, l'Arabie Saoudite a repris langue avec la Syrie. Les deux nations sont convenues ensemble de s'opposer à toute ingérence iranienne au Yémen et, plus discrètement, de faire cause commune en Irak. Riyad a également renoué le contact avec le Hamas dont  le dirigeant a fait un voyage en Arabie Saoudite, au Koweït et aux Emirats Arabes Unis au cours duquel il a réaffirmé le caractère arabe de son mouvement. Au Liban, les lignes qui séparent les forces du 8 Mars de celles du 14 Mars se brouillent. Les alliés syrien et iranien, en plus de leur désaccord yéménite, se livrent en Irak une guerre d'influence par partis interposés qui rappelle étrangement celle qu'ils ont menée au Liban à ceci près qu'au pays du Cèdre ils avaient encore nombre d'intérêts communs.

  

La Turquie, enfin, accentue sa présence dans la région : médiation israélo-syrienne il y a peu de temps, approfondissement des liens politiques et économiques avec Damas, contacts avec toutes les parties (Autorité Palestinienne, Hamas et Israël compris), et efforts accrus en Irak.

 

On pourrait en déduire à la rigueur que la véritable rivalité n'oppose pas un axe pro-iranien à un axe pro-occidental mais bien plutôt une vision relayée par l'Iran à une vision associée à la Turquie. La première met l'accent sur la résistance aux projets occidentaux et à Israël, répond à une demande d'origine tiers-mondiste de dignité et d'auto-détermination, et se conjugue principalement sur le mode militant. La seconde met l'accent sur la diplomatie tous azimuts, récuse les boycotts ou les interdits, privilégie l'intégration économique et l'interdépendance régionale. Bien qu'aucune de ces visions ne soit arabe, les deux sont pertinentes, s'accordant avec l'humeur de la région et jouissant d'un soutien légitime et authentique.

Et la vision américaine me demanderez-vous ? Absente, pour le moment, (même sous Obama) car exagérément tributaire d'une conception dans laquelle ces évolutions – le rapprochement syro-saoudien, le dialogue entre Riyad et le Hamas, la diplomatie multipartite d'Ankara, les repositionnements interlibanais, et les tensions irano-syriennes sur fond d'alliance forte – n'ont ni sens, ni lisibilité, ni même intérêt. Si c'est l'isolement ou la conversion du Hezbollah ou du Hamas que recherchent les Etats-Unis, si c'est la réconciliation inter-palestinienne qu'ils redoutent, si c'est un choix clair qu'ils exigent de Damas, toutes ces subtilités et nuances perdent de leurs sens. Et les opportunités qu'ils présentent d'encourager des pas, modestes certes, mais non sans signification, de la part de Damas, du Hamas ou d'autres encore, s'en trouveront gâchées.

2 – La question iranienne

Deuxième exemple du genre de problèmes qui exigent que l'on pose des questions de fond : l'Iran, ne serait-ce parce que c'est de son croissant auquel le titre se réfère.  L'important est d'y réfléchir, mais de ne pas trop y réfléchir, et surtout d'y réfléchir autrement.

Y réfléchir : quoi que l'on pense du programme nucléaire iranien ou de sa légitimité, nul ne peut sous-estimer les risques de prolifération ou encore d'une attaque – provenant comme nombre le croient ou le craignent d'Israël – contre ses centrales.

Ne pas trop réfléchir : nous voici en effet passé d'une fixation à une autre et, comme toute fixation, celle-ci a ses vices. C'est d'elle qu'est née l'idée, ô combien vaine, d'un front israélo-arabe contre la puissance perse ou bien encore la tentation, ô combien dangereuse, d'inciter à l'antagonisme sunnite-shiite ou arabo-perse.  De l'obsession excessive découlent d'autres excès : soudainement la main de l'Iran serait partout de Gaza au Yémen ; son programme nucléaire menacerait le monde ; la guerre serait justifiée pour juguler une puissance montante.

Y réfléchir autrement : je ne sais pas si l'Iran a pris la décision irrévocable de développer une bombe. Certainement, elle a beaucoup fait pour attiser le soupçon ou, du moins, la suspicion qu'elle cherche à s'en donner les moyens quitte à en rester là, capable de se doter de l'arme atomique, mais consciente des risques de périls qui en découleraient si elle venait à franchir ce pas.  Je ne sais pas, non plus, l'impact exact des événements dramatiques qui ont secoué l'Iran depuis les élections contestées du mois de juin dernier vis-à-vis de la volonté ou l'aptitude du régime à dialoguer avec Washington.  Je sais encore moins où mèneront ces événements, bien que l'on puisse avancer assez sereinement qu'ils sont sans précédent, qu'ils représentent une rupture forte dans l'histoire de la République Islamique et que sa légitimité et les ressorts de son pouvoir s'en trouveront certainement longtemps affectés.

 

Quant à la question de savoir si le régime chutera, comme l'affirment avec un certain empressement certains de mes concitoyens, je dirais ceci : après avoir passé trente ans à ignorer l'Iran et coupé de lui, on ne se fait pas brusquement expert en la matière et on ne fonde pas une politique sur la possibilité abstraite d'un avenir différent lorsque le présent interpelle et lorsque, pour les Etats-Unis au moins, des intérêts importants en Afghanistan, en Irak et ailleurs sont en jeu.

   

Ce dont je suis convaincu, en revanche, c'est de l'inefficacité totale de la politique suivie jusqu'à présent. On a réclamé de l'Iran une concession qu'elle n'offrira jamais – mettre un terme à l'enrichissement domestique d'uranium. On a fait usage, pour l'y inciter, d'un instrument qui illustre notre incompétence à comprendre les ressorts de ce régime - des sanctions économiques plus punitives que persuasives et qui ne produiront jamais de véritables concessions politiques.  Et on a brandi régulièrement et avec désinvolture la menace d'une attaque militaire qui pourrait coûter à ceux qui la conduiraient autant qu'à ceux qui en seraient la cible. Le tout permettant à ceux des Iraniens qui le croient déjà d'en convaincre d'autres que le but ultime de l'Occident demeure d'affaiblir et, à terme, d'abattre leur régime.

 

Objectif illusoire, moyens inefficaces et chantage imprudent : l'addition est désolante.

Réfléchir autrement, cela voudrait dire penser à une solution qui, autre qu'un arrêt pur et simple du programme d'enrichissement de l'uranium, redonnerait à l'Occident et à d'autres confiance dans les intentions de Téhéran tout en tenant compte des intérêts iraniens en matière nucléaire. Cela voudrait dire contempler dans quelle mesure les préoccupations sécuritaires et régionales légitimes de Téhéran peuvent être mises en cause. Cela voudrait dire, pour les Etats-Unis, essayer d'engager un dialogue sur des sujets d'intérêt mutuel : l'Afghanistan, l'Irak, le trafic de drogue.

 

Cela voudrait dire, enfin et tabou extrême, examiner sans complaisance mais non plus sans idées préconçues, ce que signifierait réellement un Iran nucléaire.

Je n'ai aucune certitude qu'une solution acceptable pour les uns et les autres puisse être trouvée, encore moins qu'elle puisse l'être dans les conditions actuelles. L'impasse des discussions sur le transfert de l'uranium enrichi incite pour le moins à la prudence.  Mais persister dans une voie qui n'a mené à rien – et qui n'empêchera en rien l'Iran de continuer son programme  nucléaire – ne me semble ni logique, ni défendable.

 

3. L'enjeu du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens

Troisième et ultime exemple pour finir : le processus de paix, processus qui nous nargue depuis longtemps et paix qui nous échappe depuis toujours.  Et là, que de tabous à briser, que d'idées reçues à repousser ou du moins à revoir.

 

En premier lieu, l'idée selon laquelle les négociations bilatérales entre Israéliens et Palestiniens puissent produire un accord de paix final. Les Etats-Unis se sont fixé comme un objectif essentiel, la reprise de ces pourparlers, rejoints en cela par l'Europe.

 

Comme si c'était d'un manque de négociations que le processus aurait souffert depuis 16 ans !  D'un manque de créativité, plutôt, et d'imagination et de courage.

     

Regardons la réalité en face.  Le mouvement national palestinien est fragmenté, scindé entre la Cisjordanie et Gaza, le Fatah et le Hamas ; l'OLP est en panne de légitimité ; la diaspora se sent plus que jamais hors du coup ; les Palestiniens de Jérusalem se sentent chaque jour davantage coupés de leurs frères. De tout cela découle une crise grave de la représentation politique palestinienne. Israël n'y est certainement pas pour rien ; mais n'y est pas non plus pour tout. Il reste que la situation exige qu'on s'interroge sur la capacité des dirigeants palestiniens à signer un accord de paix, à le faire avaliser par leur peuple, à le mettre en œuvre et à le faire durer.

 

Du côté israélien, le constat est différent mais les conclusions ne sont pas entièrement différentes : aucun gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, Likoud ou travailliste, n'a pu mener à bien des négociations globales avec les Palestiniens ; aucun n'a pu survivre à plus d'une concession (souvent minime) à leur égard ; aucun n'a osé défaire ne serait-ce qu'une colonie de peuplement dans les Territoires palestiniens occupés à l'exception de Sharon mais à l'issue d'une décision unilatérale.

 

Pour la grande majorité des dirigeants politiques, Israéliens ou autres, tout revient à un calcul coût/bénéfices. Or dans l'esprit de ceux qui gouvernent à Jérusalem, entre le coût d'un face-à-face avec des dizaines de milliers de colons et la certitude d'une déchirure sociale et politique profonde d'une part, et les bénéfices incertains d'un accord d'autre part, il n'y a pas photo.

Seize ans après la signature des accords d'Oslo, quasiment plus personne en Israël ou en Palestine ne croit au processus que ces accords ont lancé, et peu s'y intéressent. Ce n'est pas seulement qu'ils aient perdu l'espoir qu'un accord de paix soit signé ; ils doutent qu'un accord de cette nature puisse répondre à leurs besoins les plus intenses ou à leurs désirs les plus profonds.

 

Les Palestiniens pressentent que la création d'un Etat ne leur procurera ni dignité, ni honneur, ni reconnaissance de l'injustice historique commise envers les réfugiés. Or, plus que tout autre chose, c'est de cela qu'ils veulent, l'Etat n'en étant qu'une expression.

De même, la majorité des Israéliens pressentent qu'un traité de paix ne leur procurera pas la sécurité telle qu'ils l'entendent – c'est-à-dire l'acceptation par les Palestiniens et les Arabes en général non que l'Etat juif existe, mais que cette existence est légitime. L'autre sécurité – celle d'ordre militaire que peuvent procurer les armes – ils l'ont déjà, ou du moins estiment pouvoir l'avoir, et ils préfèrent ne compter sur nul autre qu'eux-mêmes pour la conserver. La sécurité morale, psychologique, c'est à cela qu'ils aspirent et c'est de cela qu'ils doutent de plus en plus de pouvoir obtenir.

Alors, reprendre les négociations bilatérales – au prix, soit-dit en passant, de la crédibilité du président palestinien qui a juré ne pas le faire sans gel complet des colonies de peuplement – à quoi bon, si on n'a pas, par avance, répondu à cette question capitale : quelle raison y a-t-il de penser qu'elles puissent être menées à bien, alors qu'elles ont toujours échoué et dans des circonstances autrement plus favorables ?

L'heure n'est pas à la reprise de ce qui a déjà été tenté mais n'a pu réussir ; ni à l'heure de Clinton, ni à celle de Bush, ni sous l'égide de Yasser Arafat et d'Ehud Barak, ni sous celle de Mahmoud Abbas et d'Ehud Olmert. L'heure est aux idées neuves, même s'il faudra un peu de temps pour y parvenir.

   

Henry Siegman, qui n'a pas d'équivalent pour sa témérité et sa probité intellectuelle, en a proposé une. C'est celle d'une paix quasiment imposée.  Elle a le mérite de rompre avec le passé et de ne pas s'en remettre uniquement à des parties qui ont démontré leur incapacité à résoudre seules leur conflit.

 

Elle m'intrigue mais me pose problème – d'abord parce que je doute qu'une administration américaine puisse aller aussi loin et ensuite parce que je ne sais si l'on peut ainsi clore un conflit historique. L'améliorer en en faisant disparaître certains des symptômes les plus nocifs, c'est possible, mais l'amener à son terme de façon durable, je m'interroge.  C'est en tout cas une des pistes à explorer.

Pour ma part, il me semble qu'au minimum on doit trouver moyen d'élargir l'arène, de faire en sorte que le processus, quel qu'il soit, ne demeure pas l'apanage d'un groupe étroit d'Israéliens ou d'un groupe étriqué de Palestiniens. Comment faire la paix – une paix qui tienne et qui dure - si on en exclut les forces les plus dynamiques, les plus mobilisées, celles qui sont capables de lui faire barrage ou de lui accorder leur légitimité – diaspora, réfugiés et islamistes du côté palestinien ; colons et religieux du côté israélien.

  

C'est là une question de méthode – qui parlera au nom des Israéliens et des Palestiniens ? – mais aussi une question de contenu pour faire en sorte que l'accord final, quand bien même il ressemblera aux paramètres de Clinton, aux idées de Taba ou à celles de Genève, comporte également des solutions qui impliquent davantage de gens des deux côtés du conflit.

Conclusion

Je terminerai par un mot sur les Etats-Unis, d'où je viens, et sur la France, où je suis.

D'Obama, j'écrivais à l'heure de son élection qu'autant sa candidature avait été révolutionnaire autant sa présidence ne le serait pas. Cela ne se voulait pas une critique mais un constat. Le nouveau locataire de la Maison Blanche, chantre du changement, n'en est pas moins l'héritier du passé. Et, dans un sens, il en est l'otage.

Cela est vrai dans le sens pratique et concret du terme : il lui a été légué une situation dont il a de grandes difficultés à se défaire. Une guerre en Irak qu'il ne peut précipitamment terminer, et dont il ne peut éliminer les conséquences – sur la crédibilité des Etats-Unis, sur la polarisation régionale, sur le sectarisme que le pays exporte – et un processus de paix en banqueroute qui, même dans le meilleur des cas, eut été extrêmement ardu à réparer.

Mais l'héritage est également mental et politique au sens où certaines habitudes se sont incrustées au fil des ans.  Faire de la Cisjordanie un exemple, renforcer les soi-disant modérés et isoler les prétendus extrémistes, brandir la menace de sanctions contre l'Iran et garder sur la table l'option militaire, ainsi que reprendre le processus de paix tel qu'on lui a laissé. Un homme que tout, de par son passé et de par son parcours intellectuel, devrait pousser aux zones d'ombre et à la subtilité, a dû se soumettre à la clarté aveuglante des fausses certitudes.

   

C'était à prévoir et c'est ce qui est advenu. C'est maintenant, alors que sa politique moyen-orientale butte sur un mur que commence le véritable défi.  De tous ses péchés, et ils n'étaient pas peu nombreux, le plus grave qu'aura commis le président Bush aura peut-être été celui de l'obstination, ce refus borné d'adapter ses croyances à l'impitoyable test de la réalité.

 

B. Obama semble équipé d'une tout autre souplesse intellectuelle.  Les efforts entrepris ayant pour la plupart échoués, à lui de démontrer – affaibli soit-il par les revers politiques et préoccupé par les échéances électorales à venir - qu'il peut néanmoins s'ajuster, prendre des risques et réussir.

   

Quant à la France, il me semble qu'elle oscille entre deux univers.  Ligne dure lorsqu'il s'agit de l'Iran, politique novatrice et réussie envers la Syrie, pas de dialogue avec le Hamas mais volonté d'aider à un échange de prisonniers entre l'organisation islamiste et Israël, le tout agrémenté d'un évident désir d'être actif contrebalancé par une acceptation de ses limites. Cela donne un peu le tournis, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'au vu du vide qui règne, la France a en mains une opportunité de faire bouger les lignes, d'élargir encore davantage le champ du débat, d'être en quelque sorte un pont nécessaire.

  

Elle pourrait faire plus, ou autrement, et faire ainsi la différence, dans la mesure réaliste de ses moyens, on peut toujours rêver.


[1] Ce texte est issu d'une intervention intitulée " Le croissant et la bombe ", présentée dans le cadre du colloque " Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire. Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ? ", co-organisé par le Sénat et la Fondation Robert Schuman, les 28 et 29 janvier 2010. Les actes du colloque sont disponibles au format PDF sur le site du Sénat à l'adresse suivante http://www.senat.fr/evenement/colloque/moyen_orient/actes_version_francaise.pdf

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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