Elections législatives au Portugal, Le point à une semaine du scrutin

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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21 septembre 2009
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

9.5 millions de Portugais sont appelés à désigner parmi les candidats de 15 partis politiques les 230 membres de l'Assemblée de la République, Chambre unique du Parlement le 27 septembre.

Le 12 septembre, le Premier ministre sortant José Socrates (Parti socialiste, PS) et la leader du principal parti d'opposition, (Parti social-démocrate, PSD), l'ancienne ministre des Finances Manuela Ferreira Leite, surnommée la Dame de fer, se sont affrontés dans un débat télévisé au cours duquel le Premier ministre a défendu son bilan à la tête du pays tandis que Manuela Ferreira Leite assurait qu'aucune entente politique n'était possible entre le PSD et le PS "Je ne crois pas que José Socrates ait convaincu les indécis de gauche de voter pour lui, ce qu'il aurait dû faire pour accroître son avance" a analysé le politologue Antonio Costa Pinto.

Longtemps en tête des enquêtes d'opinion, le PS au pouvoir a durant l'été et notamment après les élections européennes du 7 juin 2009 été devancé par le PSD. A une semaine du scrutin, l'issue est plus indécise que jamais, les socialistes ayant récemment amorcé une remontée dans les sondages jusqu'à reprendre la tête des intentions de vote.

Scandale médiatique

La campagne, déjà assez dure, s'est emballée après la suppression le 3 septembre du Jornal de sexta présenté par la journaliste Manuela Moura Guedes des programmes de la chaîne de télévision TVI. Cette dernière a argué de sa volonté d'homogénéisation de ses programmes pour justifier sa décision. En tête des audiences dans le pays, le Jornal de sexta a diffusé plusieurs reportages sur l'affaire Freeport, supposée affaire de corruption dans laquelle serait impliqué le Premier ministre. José Socrates est soupçonné d'avoir facilité la construction de l'un des plus grands centres commerciaux d'Europe, Freeport, en modifiant la zone de protection spéciale de l'estuaire du Tage par un décret sans lequel ce centre n'aurait pu être construit. Le Chef du gouvernement sortant a toujours nié les accusations portées contre lui. En avril dernier, il avait accusé la chaîne TVI, propriété de Media capital, filiale du groupe espagnol Prisa, de "se livrer à une chasse à l'homme" et dénoncé "l'acharnement dont il faisait l'objet".

La suppression du Jornal de sexta a entraîné la démission en bloc de la direction de l'information de la chaîne dont Manuela Moura Guedes est la sous-directrice. Elle a provoqué un tollé au sein de la classe politique et des médias. Les partis de droite ont crié à la censure. "Il s'agit de l'un des plus grands attentats à la liberté de l'information depuis le 25 avril (1974, date de la chute d'Antonio Oliveira Salazar qui avait institué un régime dictatorial au Portugal en 1932)" a déclaré José Pedro Aguiar Branco, vice-président du PSD. Le Premier ministre José Socrates a nié toute intervention dans cette décision qui, selon lui, "ne porte préjudice qu'au PS". "Cette décision est exclusivement de la responsabilité du groupe. Ni moi ni le Parti socialiste ni le gouvernement n'avons rien à voir avec cette décision" a souligné le Chef du gouvernement.

Le PS a tenté de désamorcer l'affaire : plusieurs dirigeants ont ainsi dénoncé l'amnésie de la droite et rappelé le prix payé par les socialistes dans le combat pour la liberté et la démocratie. "Ceux qui parlent d'asphyxie démocratique n'ont jamais élevé la voix quand le pays vivait en dictature" a indiqué l'ancien député européen Francisco Assis (PS). "Dans le passé, des gens ont été emprisonnés pour des mots, sont morts pour des mots" a rappelé Alberto Martins, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée de la République et ancien leader étudiant incarcéré sous la dictature. Le nouveau journal de la chaîne, présenté par une jeune journaliste embauchée par TVI, a cependant poursuivi la diffusion des reportages consacrés au dossier Freeport.

Rassembler la gauche, objectif n° 1 de José Socrates

Arrivé au pouvoir en févier 2005, José Socrates a entrepris de grandes réformes de société et mis en œuvre une politique d'austérité économique afin de faire du Portugal une nation compétitive. Le gouvernement a réduit le nombre des fonctionnaires, réformé les retraites, introduit davantage de flexibilité dans le code du travail, poursuivi les privatisations, augmenté la TVA, etc. Cette rigueur avait permis la réduction du déficit budgétaire (de 6,1% en 2005 à 1,8% en 2007) mais la crise économique internationale a quasiment réduit à néant les efforts des Portugais. Le pays devrait connaître une croissance négative en 2009 et quasi nulle l'année suivante. Son taux de chômage s'établit à 9,1% de la population active, soit le plus élevé depuis 1986.

José Socrates a souvent dû faire face au mécontentement de ses administrés (étudiants, policiers, enseignants mais aussi salariés du privé et du public) qui ont organisé grèves et manifestations contre sa politique.

Le PS s'est ainsi coupé des enseignants avec ses réformes de l'éducation (comprenant entre autres la mise en place d'une évaluation des professeurs et modification de la gestion de la carrière). La ministre de l'Education, Maria de Lurdes Rodrigues, a commis la faute de jouer les parents contre les enseignants en dénonçant le corporatisme et l'absentéisme de ces derniers. "J'ai perdu les professeurs mais j'ai gagné les familles" avait-elle déclaré au début de 2008, une phrase qui avait donné lieu à une vive réaction de la part des différentes fédérations syndicales enseignantes qui avaient alors uni leurs forces en lançant une véritable déclaration de guerre au gouvernement. "Ces élections législatives sont importantes pour mettre en échec les politiques du gouvernement" souligne Francisco Braz, secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs-Intersyndicale nationale (CGTP-IN) de l'administration locale. "Il ne s'agit plus seulement de résister mais également d'agir face aux attaques d'un gouvernement, qui est mauvais pour les salariés et qui a la phobie de l'administration publique et de l'Etat de droit" ajoute-t-il.

Seule bonne nouvelle pour le gouvernement : l'Institut national des statistiques (Ine) a indiqué le 13 août que, contrairement aux prévisions et après 3 trimestres consécutifs de baisse, le Portugal avait enregistré une légère croissance lors du 2e trimestre de cette année (+ 0,3%). Mais il n'est pas certain que ce redressement suffise à José Socrates et aux socialistes pour sortir vainqueurs des élections législatives.

Le PS a présenté début août son programme électoral qui comprend plusieurs mesures sociales (aide aux handicapés et aux familles vivant sous le seuil de pauvreté, réduction de moitié du salaire minimum requis pour qu'un immigré ait droit à une carte de résident) et un accroissement des investissements publics dans des projets d'infrastructures (train à grande vitesse entre Lisbonne et Madrid, reliant donc le Portugal au reste de l'Europe, et construction d'un nouvel aéroport). Les sociétés ACS, Sacyr Vallehermoso et FCC, choisies pour construire le futur train à grande vitesse, suivront avec grand intérêt le scrutin législatif à venir, le PSD ayant déclaré qu'il renoncerait à ce projet – évalué à 4,4 milliards € – en cas de victoire. La leader du PSD, Manuela Ferreira Leite, affirme en effet que ce projet est trop onéreux pour le Portugal et ne fait que servir les intérêts espagnols. "Je n'aime pas que les Espagnols se mêlent de la vie politique portugaise" a-t-elle affirmé. José Socrates, qui a fait de ses relations avec l'Espagne la priorité de son mandat en politique étrangère (en 2005, le Premier ministre avait affirmé que ses 3 priorités en matière de politique étrangère étaient "l'Espagne, l'Espagne et l'Espagne"), a accusé sa rivale de faire de la "politique de bas étage". Le ministre espagnol en charge des Infrastructures s'est déclaré inquiet du discours de Manuela Ferreira Leite. "Nous aurions à gérer un véritablement retournement de situation, ces voies ferrées sont très importantes pour l'intégration de la péninsule ibérique au réseau à haute vitesse européen" a-t-il indiqué

Le Premier ministre sortant ne manque pas une occasion de se positionner sur la gauche de l'échiquier politique dans l'objectif de parvenir à rassembler sur son programme tous ceux qui pourraient être tentés par l'extrême gauche. En effet, la Coalition Parti communiste-Verts (CDU) dirigé par Jeronimo de Sousa et le Bloc des gauches (BE) de Francisco Louca ont réalisé une percée lors du scrutin européen de juin dernier, recueillant ensemble 21,35% des suffrages. Le résultat de ces 2 partis, qui ont officiellement exclu de participer à un gouvernement dirigé par le PS, constituera l'un des enjeux majeurs des élections législatives.

La droite peut tirer profit du mécontentement social

Les partis de droite espèrent tirer profit à la fois du mécontentement social et de la division de la gauche.

Dans son programme, le PSD s'engage à réduire le rôle de l'Etat dans l'économie et à mettre un frein aux investissements publics dans les grands projets d'infrastructure afin de ne pas augmenter la dette publique. " Le pays est extrêmement endetté et notre niveau de dette est insoutenable. C'est pourquoi je me bats contre la politique "Titanic" de nouveaux projets d'infrastructure" a déclaré Manuela Ferreira Leite qui accuse le Premier ministre sortant d'avoir "un projet personnel pour rester au pouvoir et aucun pour le pays". Elle a également indiqué que les baisses d'impôts étaient impossibles à court terme mais a promis de réduire les taxes dès que la conjoncture le permettra. Pour relancer la croissance, le PSD souhaite donc réduire les dépenses publiques, stimuler l'investissement privé et soutenir les petites et moyennes entreprises.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Marktest pour le quotidien Diario Economico et la radio TSF, le PS serait en tête des intentions de vote avec 36,7% des suffrages pour 32,4% pour le PSD. Le Bloc des gauches arriverait en 3e position avec 16,2% des voix, suivi par la Coalition Parti communiste-Verts 6,9% et le Parti populaire (PP) dirigé par Paulo Portas, 5,21%.

Aucun des 2 grands partis ne semblent en mesure d'obtenir la majorité absolue des suffrages. "Je ne suis pas totalement convaincue qu'une majorité absolue soit nécessaire. Il y a eu des gouvernements minoritaires dans le passé qui ont gouverné jusqu'à la fin de leur mandat" a déclaré Manuela Ferreira Leite lors du débat télévisé du 12 septembre dernier.

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