Entretien d'Europe"Arithmétiquement, l'option la plus réaliste serait un accord entre Conservateurs et Libéraux"
"Arithmétiquement, l'option la plus réaliste serait un accord entre Conservateurs et Libéraux"

Démocratie et citoyenneté

Pauline Schnapper

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10 mai 2010
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Schnapper Pauline

Pauline Schnapper

Professeur de civilisation britannique contemporaine à l'Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 et membre de l'Institut universitaire de France. A publié Le Royaume-Uni doit-il sortir de l'Union européenne ?, La documentation française, 2014

"Arithmétiquement, l'option la plus réaliste serait un accord entre Conservateur...

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1. Le mode de scrutin britannique – uninominal majoritaire à un tour- a toujours favorisé les deux grands partis politiques, le parti travailliste et le parti conservateur. Pensez-vous dans ces conditions que le parti libéral-démocrate et son leader Nick Clegg, crédité pendant la campagne de plus de 30% des voix par de nombreux sondages, avait une chance de remporter les élections législatives du 6 mai ? Autrement dit, le " phénomène Clegg " peut-il se reproduire et, à terme, faire voler en éclat le traditionnel système bipartisan ?

Non, il n'avait aucune chance de remporter ces élections en raison du mode de scrutin. Il n'en espérait d'ailleurs pas tant. En revanche, il espérait peser suffisamment, en nombre de voix sinon en termes de sièges, pour empêcher l'un des deux partis d'obtenir une majorité absolue au Parlement et/ou pouvoir négocier une réforme du mode de scrutin qui leur est si défavorable. En ce sens, le résultat du scrutin est à la fois un succès et un échec pour les Libéraux-démocrates : leur score est bien inférieur à ce que leur prédisaient les sondages après le succès de Nick Clegg dans le premier débat télévisé (ils ont même perdu des sièges par rapport à 2005), mais ils restent " faiseurs de roi " et pourraient obtenir soit des travaillistes soit des Conservateurs une réforme électorale pour prix de leur soutien.

Pour ce qui concerne le mode de scrutin, le faible score des Libéraux-Démocrates pourrait sembler éloigner la perspective d'une réforme. Mais je crois que les esprits ont beaucoup évolué et que le système actuel est largement discrédité, y compris au-delà des cercles qui le critiquent depuis longtemps. Je ne serais donc pas étonnée qu'il y ait une réforme dans les années qui viennent, quel que soit le gouvernement.

2. Au cours de la campagne, les médias ont évoqué la perspective de coalitions " lib-lab " ou " con-lab ", au cas où aucun des trois partis ne parviendrait à obtenir la majorité absolue, ce qui est aujourd'hui le cas. Quel est votre pronostic pour les jours à venir : Gordon Brown va-t-il démissionner ? David Cameron s'il est appelé au poste de Premier Ministre va-t-il se résoudre à une coalition avec les Libéraux-Démocrates ? Quel est votre pronostic sur les chances d'avenir d'une telle coalition gouvernementale ?

Les jeux sont très ouverts encore à l'heure où je réponds à votre question. La seule option qui semble exclue est celle d'une coalition entre les Conservateurs et les Travaillistes. Je ne pense pas non plus que Gordon Brown ait la moindre chance de rester Premier ministre, car même si une coalition Travailliste-Libérale était formée, ce serait très probablement avec un autre leader travailliste : Clegg et Brown s'entendent très mal et Brown est politiquement discrédité à l'issue du scrutin. Arithmétiquement, l'option la plus réaliste serait un accord entre Conservateurs et Libéraux, qui ne sont pas non plus très éloignés sur un certain nombre de sujets importants comme la réduction du déficit, l'éducation ou la défense des libertés individuelles. En revanche ils sont en désaccord total sur l'immigration et surtout sur l'Europe, ce qui serait un obstacle difficile à surmonter. Par ailleurs, les élus et militants libéraux sont généralement plutôt de centre-gauche et pourraient avoir du mal à accepter une telle alliance. Il n'est donc pas impossible que les Travaillistes réussissent à convaincre les Libéraux-démocrates ainsi qu'un certain nombre de petits partis (nationalistes écossais et gallois, le SDLP d'Irlande du Nord, la nouvelle élue des Verts à Brighton, Caroline Lucas) à former une alliance " progressiste ". Dans les deux cas, cette coalition serait probablement instable et de nouvelles élections pourraient bien avoir lieu dans l'année ou les deux années qui viennent.

3. La situation économique du Royaume-Uni est critique : le pays a enregistré cette année la plus forte contraction de son PIB depuis 1949 (-4.8%), son déficit budgétaire a atteint 193 milliards € et le chômage pourrait flirter d'ici quelques mois avec les 10%. Cela ne compromet-il pas la perspective de réformes politiques d'envergure ?

Les avis sont partagés sur cette question. Les opposants à une réforme du système électoral, particulièrement au sein du parti conservateur, expliquaient effectivement qu'un gouvernement de coalition, hétérogène et instable par nature, ne serait pas en mesure de prendre les mesures urgentes et impopulaires qui seront nécessaires pour réduire le déficit public, ce qui va être la priorité de tout gouvernement. Ils ajoutaient que les marchés financiers réagiraient de façon très négative et attaqueraient la livre sterling. D'autres au contraire pensent qu'une coalition de partis qui représenterait une grande majorité des électeurs aurait davantage de légitimité pour imposer ces mesures difficiles dans les semaines et mois à venir. Il n'y a pas d'antécédent au Royaume-Uni qui permette de trancher cette question !

4. On connaît les citoyens britanniques pour leurs " réflexes insulaires " qui débouchent sur une certaine méfiance à l'égard de l'Europe, voire l'europhobie. L'Europe a-t-elle été au cœur de la campagne électorale et des préoccupations des candidats ? On a considéré que Nick Clegg était un europhile convaincu... Qu'en est-il selon vous ?

Comme c'était déjà le cas en 2005, l'Europe a été quasiment absente de la campagne électorale. Les électeurs ne s'y intéressent guère et aucun parti n'a vraiment intérêt à en parler. Les partis " europhiles ", travailliste et libéral-démocrate, savent que l'électorat est plus eurosceptique qu'eux et qu'il n'y a donc guère de voix à remporter en soulevant la question. On pourrait penser que les Conservateurs, plus en phase avec l'électorat sur l'Europe, l'auraient évoqué davantage mais l'expérience de l'élection de 2001 les en a dissuadés. Ils avaient en effet fait du maintien de la livre sterling, contre le projet alors proclamé de Tony Blair d'adopter l'euro, l'un de leurs principaux arguments de campagne mais n'en avaient tiré strictement aucun bénéfice électoral. Dans ces conditions, les références à l'Union européenne ont été rares, sauf pendant le second débat télévisé où les trois leaders se sont contentés de résumer en quelques minutes leur attitude générale vis-à-vis de l'Europe, Cameron étant le plus négatif des trois comme on pouvait s'y attendre, et les deux autres lui reprochant d'avoir retiré les députés européens conservateurs du PPE pour s'allier avec des formations politiques peu recommandables.

En revanche, l'Europe pourrait jouer un rôle important dans les négociations actuellement en cours pour former une éventuelle coalition Conservateurs-Libéraux, car c'est un sujet sur lequel les Conservateurs refusent pour l'instant de faire des concessions. Or les Libdems peuvent difficilement accepter de travailler avec un parti qui non seulement exclut toute adoption de l'euro à l'avenir mais veut aussi renationaliser un certain nombre de politiques communautaires, au risque de créer un conflit avec les partenaires de l'Union.

Quant à Nick Clegg, c'est certainement le plus europhile des dirigeants politiques britanniques actuels, à la fois par son parcours personnel (ancien collaborateur de Leon Brittan à la Commission européenne, puis député européen lui-même) et dans la tradition de son parti, qui a toujours été le plus européen des trois principaux partis britanniques. Cela dit, le parti a depuis quelques années atténué la dimension européenne de son discours pour s'adapter à la réalité électorale du Royaume-Uni : il ne s'affiche plus comme fédéraliste et se montre très prudent sur l'euro, même s'il continue à défendre l'éventualité de l'adopter un jour, après un référendum.

5. Quelles seraient selon vous les conséquences de la désignation de David Cameron comme Premier ministre sur la politique européenne du Royaume-Uni ? Doit-on se préparer à une " politique de la chaise vide ", comme l'ont soutenu les adversaires du camp conservateur lors de la campagne ? La crise (et les coupes budgétaires qu'elles imposent notamment en matière de défense) ne peut-elle au contraire ouvrir une nouvelle ère de coopération avec les Etats memebres de l'Union ? David Cameron ne sera-t-il pas obligé d'être plus européen qu'il le dit ?

La réponse à cette question dépend de la formation ou non d'une coalition avec les Libéraux. Si les Conservateurs parviennent à former un gouvernement minoritaire, sans l'appui officiel d'un autre parti (autre que les unionistes d'Irlande du Nord, qui votent traditionnellement avec eux), David Cameron tentera d'appliquer la politique européenne sur laquelle il s'est engagé. Ce serait alors non pas une " politique de la chaise vide ", lui-même et William Hague l'ont promis à leurs partenaires, mais le parti tenterait d'obtenir, du moins le prétend-il, la renationalisation d'un certain nombre de politiques communautaires et refuserait toute nouvelle avancée dans le processus d'intégration. Des tensions pourraient donc se faire jour avec l'Allemagne et la France en particulier, même si le discours eurosceptique conservateur est au moins autant à usage interne qu'externe [1]. On peut imaginer que, même dans ces circonstances, la pratique du pouvoir rendrait Cameron plus pragmatique et plus mesuré, mais ce n'est pas du tout la teneur du message qu'il envoie pour l'instant à ses troupes.

Si une coalition est formée avec les Libéraux, ce serait certainement une meilleure nouvelle, car Nick Clegg n'accepterait sûrement pas de créer des tensions inutiles avec les partenaires de l'Union européenne pour faire plaisir à l'électorat conservateur et Cameron pourrait nuancer sa rhétorique anti-européenne et se faire plus accommodant.

6. A l'instar d'autres pays européens, le Royaume-Uni connaît une montée de courants xénophobes et extrémistes. Lors des élections européennes de juin 2009, le BNP de Nick Griffin a remporté 6.2% des voix et obtenu 2 députés pour la première fois de son histoire. Comment expliquez-vous ce phénomène contre lequel on aurait pu croire le Royaume-Uni immunisé ? Après le Parlement européen, pensez-vous que le BNP a quelques chances de faire un jour son entrée à la chambre des Communes du Parlement de Westminster ?

Le BNP a obtenu, contrairement à ce qui était annoncé par les sondages, de très mauvais résultats, qui tranchent évidemment avec ceux qu'il avait obtenu il y a quelques mois seulement aux élections européennes : environ 500 000 voix au niveau national, soit moins de 2% des voix. A Barking, son leader, Nick Griffin, est finalement arrivé 3e avec moins de 15% des voix. Ces résultats s'expliquent pour partie par le mode de scrutin, qui incite au vote utile et a toujours empêché l'élection de partis extrémistes, à l'inverse des élections européennes qui se jouent au scrutin proportionnel et favorise les petits partis protestataires. Le BNP a aussi pâti de problèmes internes pendant la campagne et de divisions qui ont terni son image. Cela dit, il ne faut pas se faire d'illusions : les idées défendues par le BNP sur l'immigration sont partagées par plus d'électeurs que ne le montrent ces résultats. La crainte de l'immigration a été l'un des principaux thèmes soulevés par les électeurs pendant la campagne, comme l'illustre l'incident qui a opposé Gordon Brown à une retraitée qui l'a interpellé à ce sujet à Rochdale.

7. En quoi les débats télévisés qui constituaient une première pour ce scrutin ont eu une influence sur les résultats de ces élections ?

On a eu l'impression pendant la campagne électorale que ces débats allaient être décisifs, surtout lorsque Nick Clegg a, si je puis dire, " crevé l'écran " pendant le premier débat et que la popularité des Libéraux-démocrates est montée en flèche dans les sondages. Mais avec le résultat des élections maintenant connu, on s'aperçoit qu'ils sont très proches de ce que les sondages annonçaient avant le premier débat. Je serais donc tentée de répondre que l'impact de ces débats télévisés a été finalement très limité sur le vote. En revanche, et c'est un point très positif, ils ont augmenté l'intérêt des électeurs pour l'élection et l'ont rendue beaucoup plus vivante. On peut penser qu'ils ont été à l'origine de l'augmentation du taux de participation d'environ 4 points par rapport à 2005, ce qui est, bien sûr, une bonne nouvelle.

[1] Cf. Agnès Alexandre-Collier, Les habits neufs de David Cameron, Presses de Sciences Po

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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