Entretien d'EuropeProstitution ou traite des êtres humains ?
Prostitution ou traite des êtres humains ?

Santé

Béatrice Houchard

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28 octobre 2002

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Houchard Béatrice

Béatrice Houchard

Le débat est ouvert dans l'Union européenne : entre la Suède, qui a interdit la prostitution, l'Allemagne et les Pays-Bas, qui la réglementent ou la France qui, en attendant le projet de loi Sarkozy, cultive une certaine ambiguïté, les législations sont très diverses. Culture et histoire de chaque pays obligent.

Un débat moral et philosophique a rejailli en France au cours de l'été 2002 : il faut rouvrir les maisons closes, disent en substance un certain nombre d'élus à l'instar de Françoise de Panafieu (UMP). Laissons les femmes qui veulent se prostituer continuer à le faire, mais luttons contre l'esclavage, répond la philosophe de gauche Elisabeth Badinter.

Mais la cohabitation entre ce qu'on appelle « le plus vieux métier du monde » et une véritable traite des femmes organisée devra forcément amener l'Union européenne à prendre des décisions communes.

La prostitution est, en effet, l'un des effets pervers de la mondialisation.

Même si la traite des femmes existait déjà au Moyen-Age, il est évident que l'ampleur actuelle du phénomène rend inévitables des décisions fortes : la prostitution est devenue une organisation criminelle internationale. Les intérêts économiques sont puissants, les flux financiers énormes. L'Office central pour la répression des trafics d'êtres humains (Ocreth) parle même de « mafias », celles-là même qui contrôlent aussi le marché des armes et celui de la drogue. La prostitution sert alors au blanchiment de l'argent sale.

L'Ocreth estime que les plaques tournantes sont essentiellement Moscou, Kiev et Prague pour les trafics asiatiques ; la Grèce, l'Italie et l'Autriche pour le Moyen-Orient ; et surtout les Balkans (Kosovo, Albanie).

Les ministres de l'Intérieur et de la Justice des pays du G8 ont abordé le problème lord d'une réunion à Milan, en février 2001. Le 19 mai 2000, le Parlement européen avait adopté une résolution en faveur de « nouvelles actions dans la lutte contre la traite des femmes ». En décembre 2000, enfin, la Commission européenne avait réclamé l'harmonisation des législations des pays membres de l'Union contre l'exploitation sexuelle des mineurs et la traite des êtres humains.

La coexistence d'une prostitution « traditionnelle » et d'un véritable esclavage pourrait amener prochainement les pays européens à prendre deux types de décisions : d'une part, à l'image des Pays Bas et de l'Allemagne (que pourraient suivre l'Autriche, la Grèce et le Royaume-Uni) une reconnaissance du métier de prostituée pour celles qui sont volontaires, avec application en leur faveur des lois sur le travail. D'autre part une sévérité accrue envers la traite des femmes venues d'Afrique et des pays de l'Est, et surtout contre ceux qui organisent cet esclavage

La France, l'Italie, L'Espagne, le Portugal, la Belgique, le Luxembourg et le Danemark tolèrent la prostitution sans la reconnaître officiellement. Ces pays sont signataires de la Convention des Nations Unies de 1949 : « La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».

Mais dans ces pays en apparence plutôt abolitionnistes, si les prostituées ne bénéficient pas des lois sociales, l'Etat ne refuse pas l'impôt qu'elles lui doivent...

France : Des réformes à venir

La définition de la prostitution a été établie dans un décret du 5 novembre 1947 : la prostitution est « l'activité d'une personne qui consent habituellement à des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d'individus moyennant rémunération ». Par la loi du 15 avril 1946 (dite loi Marthe Richard) les maisons closes avaient été fermées, le fichage par la police supprimé et la lutte contre le proxénétisme avait été renforcé. La loi du 30 juillet 1960 allait un peu plus loin pour permettre à la France d'appliquer la Convention des Nations unies de 1949, en autorisant le gouvernement à prendre certaines mesures par ordonnances. Le nouveau Code pénal entré en vigueur en 1994 renforce encore la lutte contre le proxénétisme et punit « le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles ». Fiscalement, les prostituées françaises déclarent leurs revenus dans la rubrique « bénéfices non commerciaux ».

Les municipalités de droite (Bordeaux) comme de gauche (Paris) se préoccupent de plus en plus du problème qui trouble l'ordre public dans leurs villes. Les élus des deux villes semblent vouloir passer par la punition du client pour tenter de venir à bout du problème. Le tribunal de Bordeaux a déjà rendu des jugements en ce sens. Le député socialiste Christophe Caresche, qui est aussi adjoint à la sécurité à la mairie de Paris, a déposé à l'Assemble nationale une proposition de loi visant à sanctionner les clients.

La législation française va prochainement évoluer avec le projet de loi de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, sur la sécurité, adopté le 23 octobre en Conseil des ministres. Le texte, à propos de la législation en vigueur, évoque un arsenal juridique « parfois inadapté, souvent insuffisant ». Face à ce que le ministre de l'Intérieur appelle « l'explosion de la prostitution », le projet de loi prévoit la suppression de la distinction entre racolage actif et racolage passif, « qui gêne considérablement les poursuites ». Parallèlement, « les moyens de lutte contre les proxénètes et les réseaux d'exploitation d'êtres humains seront considérablement renforcés ; en s'attaquant aux profits tirés de la prostitution, la loi permettra de lutter contre le proxénétisme et protégera donc indirectement les prostituées ». De simple contravention, le racolage (actif ou passif) serait désormais qualifié de délit, avec six mois d'emprisonnement à la clé.

Suède : l'interdiction pure et simple

Depuis le 11 janvier 1999, la prostitution est interdite en Suède. Les clients sont menacés du paiement d'une amende, voire d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu' à six mois. En réalité, aucune peine de prison n'a été prononcée depuis l'entrée en vigueur de la loi. Seules quelques centaines d'amendes ont été infligées aux clients. Philosophie de la loi suédoise : la prostitution est assimilable à une violence faite aux femmes.

La loi a eu des conséquences très rapidement : la demande ayant chuté, le nombre de prostitués lui-même a diminué de près de 50%. Il n'y aurait plus, dans les rues de Stockholm, qu'une centaine de femmes qui se prostituent, contre 250 avant la loi de janvier 1999.

Le Code pénal suédois a également été enrichi d'un nouvel article le 1er juillet 2002, qui punit « le trafic d'être humains à des fins d'exploitation sexuelle ». Risque encouru : dix ans de prison. Au-delà de la punition, des campagnes de communication contre la prostitution et leurs clients qui tentent de dissuader les éventuels clients. Tout cela n'empêche évidemment pas la prostitution clandestine.

Pays-Bas : De véritables contrats de travail

Le terme de « prostitution » lui-même ne figure pas dans le Code pénal néerlandais : il ne s'agit pas d'une infraction. La nouvelle loi réglementant la prostitution est entrée en vigueur aux Pays-Bas le 1er octobre 2000. Elle supprime l'infraction de proxénétisme, mais alourdit les peines pour « proxénétisme par coercition » et l'exploitation des mineures. Objectifs avoués de la nouvelle législation : mieux contrôler la prostitution, empêcher la prostitution involontaire, protéger les jeunes femmes mineures, améliorer le statut des prostituées.

La loi du 28 octobre 1999 (entrée en vigueur un an plus tard) joue en quelque sorte la carte de la décentralisation, en imposant aux communes de délivrer les autorisations nécessaires à l'ouverture et à l'exploitation des établissements d'hébergement des prostituées volontaires. La prostitution n'est donc autorisée que si elle ne s'apparente pas à de la « traite des êtres humains ».

Le statut des prostituées a également été adapté : celles qui travaillent dans des clubs ou autres « Eros centers » sont considérées comme salariées. Leur employeur doit leur établir un contrat de travail et est soumis aux cotisations sociales légales. En contrepartie, elles bénéficient d'une couverture sociale, des allocations chômage et d'une retraite. Lorsqu'elles exercent leur activité sans employeur, elles sont, aux yeux de la loi et du fisc, assimilées à des travailleurs indépendants.

Allemagne : Un métier presque comme un autre

En Allemagne aussi, la loi a changé : un texte entré en vigueur le 1er janvier 2002 a supprimé la notion d' « activité contraire aux bonnes mœurs ». Les quelque 50.000 prostituées d'Allemagne ont désormais un statut, celui de travailleuses indépendantes ou de salariées ayant un contrat de travail avec les patrons des « Eros centers ». Mais la loi ne concerne que les prostituées volontaires allemandes. Cette nouvelle prostitution admise et réglementée est presque assimilée à un « métier comme un autre » (l'expression avait été retirée in-extrémis de la loi votée par le SPD et les Verts). Demeure, parallèlement, l'activité des prostituées clandestines et souvent contraintes venues des pays de l'Est.

Italie : Prostitution et immigration

Le Premier ministre Silvio Berlusconi avait lui-même donné le ton, le 4 janvier 2002 : « J'ai honte de me promener dans la rue avec mes enfants...Des prostituées partout (...) sans aucune retenue. Il faudra sans doute rouvrir les maisons closes ».

Depuis, une nouvelle législation est envisagée en Italie, où un modus vivendi avait souvent été trouvé entre les grandes villes et les prostituées : d'accord, mais pas trop près du centre-ville, pour protéger la tranquillité des touristes et la réputation de Rome, Venise ou Florence.

Les maisons closes, qui avaient été fermées en 1958, seraient rouvertes, avec certificats sanitaires et contrôles divers. La défense absolue de se prostituer dans un lieu public serait inscrite dans la loi. Mais comme il y aurait, en Italie, 40.000 prostituées étrangères, sans papier, sans statut, le règlement de la prostitution semble être lié à celui de la politique d'immigration.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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