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Entretien d'EuropeGalileo : Un enjeu économique et politique majeur
Galileo : Un enjeu économique et politique majeur

Industrie

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11 février 2002

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A l'occasion du 40ème anniversaire du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) célébré à la Sorbonne le 18 décembre dernier, le Président de la République a évoqué le risque de « vassalisation » qu'encourrait l'Europe en matière spatiale après le refus par six pays dont l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède de financer lors du Conseil transport de l'Union Européenne du mois de décembre le projet Galiléo de satellites de navigation et de positionnement concurrent du GPS américain.

La question de la navigation et du positionnement par satellite est au cœur du débat relatif à l'Europe spatiale : elle conditionne, pour une part, l'indépendance de celle-ci tout en l'interrogeant sur son cadre institutionnel ; elle teste son degré de volontarisme politique tout en évaluant sa capacité à se penser en terme de puissance et à raisonner en termes économiques ; elle traduit son aptitude à se doter de priorités tout en mesurant sa disposition à faire de la technologie, à l'instar des Etats-Unis, sa nouvelle frontière permanente et toujours recommencée.

Dossier central de la politique spatiale, Galiléo est porteur d'enjeux économiques, industriels et stratégiques majeurs (I). Il s'inscrit dans un contexte international marqué par le monopole américain (II). Il soulève plusieurs questions quant à sa mise en œuvre (III).

I – GALILEO : Des enjeux économiques, industriels et stratégiques

Le programme Galiléo, fondé sur une constellation de 20 à 30 satellites en orbite moyenne (23000 km), vise à relever le défi d'un système européen indépendant. Au regard du savoir-faire industriel de l'Europe spatiale, la faisabilité programmatique ne fait aucun doute. Horloges atomiques, réalisation de véhicules spatiaux, techniques de télécommunication et de traitement du signal de navigation, l'industrie européenne maîtrise l'ensemble des technologies nécessaires afin de développer et de déployer la constellation.

1. L'enjeu économique et industriel

Dans le but de cerner les enjeux économiques et industriels dont Galiléo est porteur, il convient de se pencher sur deux paramètres :

- la marché des équipements et des services ;

- la prééminence évidente conférée à l'industrie américaine par le monopole du GPS.

En ce qui concerne le premier élément, les études effectuées par la Commission européenne, l'Agence spatiale européenne et le CNES soulignent la croissance exponentielle du marché mondial. Ces chiffres sont supérieurs à l'investissement dans le spatial. L'étude la plus récente confiée par la Commission européenne à un groupe d'experts indépendants conduit par Pricewaterhouse-Coopers conclut que Galiléo offrira un bon ratio coût-bénéfice, de l'ordre de 4,6. Aucun projet d'infrastructure européen n'atteint un tel ratio. Cette expertise relève l'intérêt financier du projet, estimant les bénéfices à 17,8 milliards d'euros pour un coût de 3,2 milliards d'euros. Sur la période 2005-2023, d'autres analyses avancent que le bénéfice induit par Galiléo pourrait atteindre 80 milliards d'euros. Toujours selon les mêmes études, Galiléo créerait 140.000 emplois.

Au regard des évaluations du marché global, on comprend mieux les avantages que donnerait le projet européen aux industriels et aux utilisateurs. Il supprimerait l'avantage capital, que le contrôle du GPS par leur gouvernement, donne aux industriels américains, et particulièrement leur capacité d'anticipation dans le secteur de la normalisation et de la standardisation des équipements et des services. Ce qui se joue autour de Galiléo, c'est la présence et l'affirmation d'une ambition technologique européenne au sein de l'un des fondements des réseaux mondiaux sur lesquels se bâtit la société de l'information et de la mobilité.

2. L'enjeu stratégique

Le programme Galiléo pose une question fondamentale à l'Europe : doit-on accepter ou refuser un degré élevé de dépendance stratégique ?

Historiquement c'est une interrogation similaire qui se posa à la France et à l'Europe au début des années 60. Les Etats-Unis, alors, avaient proposé à l'Europe de mettre gratuitement en orbite tous leurs satellites. Le Général de Gaulle avait refusé, donnant son accord pour un programme de lanceurs dont Ariane constitue l'héritage.

Galiléo obéit tout d'abord à une exigence de cohérence de la politique spatiale européenne. L'autonomie d'accès à l'espace acquise par l'Europe grâce à Ariane suppose d'utiliser cette ressource stratégique que constitue le transport spatial afin de développer et d'accroître toutes les potentialités inhérentes aux technologies spatiales. Les lanceurs sont le moyen d'assurer la présence de l'Europe dans l'espace où se joue massivement la bataille pour la conquête, le traitement et la circulation de l'information. Accepter la dépendance américaine en matière de navigation et de positionnement par satellites revient à remettre en question la logique du programme spatial voulu par l'Europe depuis près de trente ans.

Galiléo offre ensuite un moyen d'action essentiel à une politique européenne de défense. Nous savons que l'autonomie militaire de l'Europe nécessite de détenir des moyens propres d'observation, de télécommunications et de navigation. La guerre du Golfe, le Kosovo, l'Afghanistan sont autant d'illustrations récentes de l'incorporation toujours plus intense des dispositifs spatiaux au sein des systèmes d'armes. Tant dans le secteur de l'observation que dans celui des télécommunications, l'Europe se dote de programmes aptes à répondre à cette exigence. L'un des enjeux de Galiléo consiste à renforcer, voire à parachever, cet impératif de cohérence de la démarche européenne de défense. Faut-il rappeler que de leur côté les Etats-Unis ont rendu obligatoire par un vote du Congrès l'incorporation du GPS au sein de tous les systèmes d'armes américains.

Galiléo enfin est un symbole de la volonté d'indépendance de l'Europe. L'acceptation du monopole américain affecterait profondément la crédibilité politique de l'Europe.

Enjeu stratégique pour l'Union Européenne, Galiléo l'est aussi plus largement pour l'ensemble de la planète et de ses équilibres.

Il va de soi que la continuité, la disponibilité et la sécurité du service ne sauraient dépendre que d'un seul centre de responsabilités. La redondance impliquée par Galiléo suppose d'assurer l'intéropérabilité avec le GPS au service de l'ensemble des usagers mondiaux et d'élaborer autour de ces deux dispositifs, principalement afin d'en asseoir la sécurité, une coopération étroite entre l'Europe et les Etats-Unis dans le respect de l'autonomie européenne.

II – Un contexte international caractérisé par le monopole américain

Les premiers programmes de navigation par satellites datent de 1965 : en effet, les satellites de navigation Transit permettaient aux bâtiments de l'US Navy de connaître leur position en mer avec une marge d'erreur inférieure à 100 m tout en diffusant le temps avec une précision de l'ordre de quelques micro-secondes. Si de son côté la France dispose des techniques et du savoir-faire nécessaires à la navigation et au positionnement, nos partenaires européens ont négligé ce champ de la technique spatiale.

1. Un dispositif dual

Sous le contrôle exclusif du DOD (Department of Defence) les Etats-Unis ont développé et déployé à des fins militaires un système de positionnement précis, le GPS (Global Positioning System). Ce dernier connaît aujourd'hui un accroissement certain du développement de ses usages à des fins civiles dans deux directions :

- le positionnement précis des mobiles (aéronefs, automobiles, taxis, navires, machines agricoles, etc…) ;

- la distribution précise du temps : ainsi la téléphonie mobile comme les transactions financières nécessitent désormais une synchronisation des installations terriennes assurant le fonctionnement en réseau de ces secteurs. Les signaux GPS permettent cette synchronisation.

Le GPS répond désormais à des besoins fondamentaux de la société civile. Pour autant, il conserve également sa dimension militaire en devenant un élément central des dispositifs d'armes. Il permet principalement des frappes de haute précision à grande distance. Il assure aussi à une petite unité, voire à un individu, évoluant en territoire hostile de se positionner avec exactitude.

En son temps, l'URSS avec GLONASS avait développé un dispositif militaire similaire au GPS mais la Russie ne paraît plus apte au maintien opérationnel de ce dispositif.

2. Monopole américain, dépendance européenne

Le GPS est en situation de monopole mondial.

Pour l'Europe se pose un double problème de dépendance :

- la dépendance des services civils envers un système militaire dont les caractéristiques ne sont pas a priori définies pour répondre aux exigences des usagers civils. Ainsi la garantie d'intégrité du service, essentielle par exemple pour l'aviation civile comme la précision du signal, laquelle peut-être à tout moment l'objet d'une dégradation volontaire sont largement tributaires de la défense américaine. Certes, les Européens ont développé un complément européen avec le programme EGNOS. Ce dernier fournit en temps réel l'information correspondante indispensable aux exigences en matière de transport et d'aviation civile. Il ne dote pas néanmoins l'Europe de capacités autonomes en matière de navigation, de positionnement et de datation.

- la dépendance qui consiste à confier à un système sous contrôle étranger le fonctionnement de réseaux stratégiques de transport et de télécommunications, tant civils que militaires. Ainsi que le souligne un récent rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques :

« l'acceptation de cette dépendance dans la conception de la politique spatiale serait complètement incohérente avec l'objectif d'autonomie qui sous-tend le programme de lanceurs »

La fin de cette double dépendance est indissociable de la mise en œuvre d'un système autonome européen, délivrant les mêmes services que le GPS : c'est la raison d'être du programme Galiléo.

III – GALILEO : Une mise en œuvre difficile

Les blocages qui entravent à ce jour une mise en œuvre définitive de Galiléo sont de plusieurs ordres : la relation avec les Etats-Unis explique pour une part la difficile maturation du programme ; la structure de gestion de projet (Union Européenne / Agence Spatiale Européenne) pose encore quelques difficultés de détail ; des modalités de réalisation de la constellation restent à préciser.

1. La relation avec les Etats-Unis

Les Etats-Unis cherchent à préserver leur monopole. Si certaines des raisons qui obéissent à cet objectif ne sont pas illégitimes, d'autres le sont moins.

Il va de soi que l'existence d'un système global de navigation échappant au contrôle direct des Etats-Unis engendre, de facto, pour ceux-ci un souci de sécurité nationale que l'Europe se doit naturellement de faire sien. L'usage à des fins hostiles (le guidage d'un missile de croisière par exemple) devra être prohibé afin de préserver l'intégrité du système contre toute agression. Cette exigence d'interopérabilité du GPS et de Galiléo est réaffirmée dans un document publié par la Commission Européenne :

« … les autorités américaines ont fait valoir que Galiléo n'offrirait pas des conditions de sécurité satisfaisantes. Ces critiques ne sont pas justifiées dès lors qu'un cadre approprié de sécurité est expressément prévu et que l'ensemble des services fournis par Galiléo restera in fine contrôlé par les autorités politiques. De plus, des solutions flexibles dans l'utilisation du spectre de radiofréquence tiennent compte des préoccupations américaines.»

Cet impératif, légitime, de sécurité des autorités américaines dissimule sans doute des motivations moins avouables. Avant le Conseil Transport de l'Union du mois de décembre, le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz a écrit aux ministres européens de la défense en soulignant que la dimension civilo-militaire de Galiléo pourrait être détourné par un pays ennemi en cas de conflit, ce qui menacerait la sécurité « des futures opérations de l'OTAN ». Cet impressionnant lobbying américain est surtout le produit d'une conception politique érigeant l'espace en un instrument privilégié d'hégémonie mondiale. Dès 1992, le Space Policy Advisory Board affirmait explicitement :

« les Etats-Unis sont le leader mondial dans les technologies spatiales et la conversion des ressources de la défense pour protéger ce leadership serait un moyen efficace de renforcer la compétitivité américaine. »

Le maintien du monopole s'impose en conséquence comme un objectif fort pour les autorités américaines :

« Si les Etats-Unis continuent à fournir un signal gratuit de haute qualité, il est douteux que quiconque veuille engager les dépenses nécessaires pour bâtir un système spatial global comparable. »

Afin de justifier la supériorité du GPS, l'argument relatif à la gratuité de ce dernier par rapport à Galiléo constitue l'ultime obstacle opposé à la mise en œuvre du programme européen de navigation. Cette critique ne résiste pas à la réalité des faits : tout comme celui du GPS, l'usage de Galiléo sera gratuit pour les utilisateurs de base. Seuls certaines applications particulières seront payantes : elles requièrent une haute qualité de services que le GPS actuel n'offre pas, principalement en terme d'intégrité et de continuité du signal reçu.

2. La gestion du projet

La nature du programme et ses enjeux commandent un contrôle politique de ses orientations ainsi qu'un contrôle civil gouvernemental de sa mise en œuvre. Les structures de l'Union Européenne y sont impliquées, de façon centrale.

Le développement du programme doit se dérouler en quatre phases : définition jusqu'en mars 2002, développement de 2002 à 2005, déploiement en 2006 et 2007 et enfin opération et exploitation à partir de 2008. Le coût total du programme est estimé à 3,2 milliards d'Euros, dont 1,1 pour la phase de développement.

a) la Commission Européenne est responsable de l'architecture générale du système (y compris l'intégration de EGNOS), du plan de fréquences, de la définition du service offert, de la prise en compte des aspects sécuritaires, du schéma de financement et de l'organisation institutionnelle du programme. Elle négocie des accords de coopération avec les Etats-Unis et la Russie afin d'assurer l'interopérabilité de Galiléo avec les systèmes existants, ainsi que l'entrée éventuelle de pays tiers dans le programme.

b) L'Agence Spatiale Européenne, pour sa part, développe le segment spatial et l'infrastructure au sol associée. Les agences spatiales nationales, dont le CNES, apportent une assistance technique à la Commission dans la gestion de ses contrats industriels. En outre, le CNES participe au groupe de travail interministériel français sur Galiléo et collabore étroitement avec la DGA sur des études préparant la définition du système, notamment dans sa dimension duale.

Sur le plan industriel, l'ensemble des sociétés européennes concernées, Alcatel Space Industries, Astrium, Alenia Spazio se sont regroupées en consortium pour mener les travaux de la phase de définition. Alcatel Space Industries est chef de file de l'étude de définition de l'architecture d'ensemble Galiléo, alors qu'Alenia dirige l'étude de définition du segment spatial Galiléosat.

Cette structure de la gestion du projet traduit une implication toujours plus grande de l'Union Européenne dans les affaires spatiales. Elle constitue, ainsi, l'une des premières pierres de la nouvelle stratégie spatiale européenne élaborée en commun par l'Union et l'ESA. Cette avancée positive, pour autant, pose problème puisque l'Agence Spatiale Européenne a voté un crédit de 550 millions d'euros lors de son Conseil Ministériel à Edimbourg (novembre 2001) alors que le Conseil des Transports de l'Union Européenne a refusé au moins de décembre d'allouer les mêmes crédits indispensables au démarrage du projet.

3. Des modalités de réalisation à préciser

Les points essentiels qui restent à définir portent sur le financement de la constellation et sur l'organisation du programme pour les phases de développement et de déploiement.

De nombreux Etats ont pu voir en Galiléo un investissement à caractère industriel et économique, dont le financement doit être assuré par le secteur privé. D'autres Etats, dont la France, considèrent que, face à la concurrence d'un GPS modernisé et gratuit, l'hypothèse d'un financement privé substantiel n'a de sens que pour la réalisation de compléments régionaux et locaux destinés à offrir des services de valeur ajoutée à des utilisateurs spécifiques. Suivant cette approche, le développement de la constellation ne peut raisonnablement être envisagé qu'à travers un important investissement public, justifié par les objectifs stratégiques et politiques du programme. Cela suppose que la constellation puisse fournir un service de positionnement à accès réservé pour des applications de type gouvernemental.

S'agissant de l'organisation, un large consensus se dégage pour qu'un organe spécifique soit rapidement mis en place afin d'assurer le rôle de maître d'ouvrage du système et de garantir la gestion rationnelle du programme et la prise en compte des dimensions sécuritaires et de dualité. Pour autant, les modalités de mise en œuvre de cette démarche ne sont toujours pas arrêtées. Les discussions portent sur une proposition de la Commission Européenne suggérant la mise en place d'une Entreprise Commune (au sens du traité de l'Union Européenne), regroupant la Commission, l'ESA, et éventuellement des Etats-membres et des entreprises privées.

Au Conseil Européen de Laeken, les Chefs d'Etat et de Gouvernements ont demandé au Conseil des ministres des Transports de prendre une décision définitive sur le financement du programme et sur l'entreprise commune lors de leur prochaine réunion du mois de mars 2002.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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