Démocratie et citoyenneté
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ENIntroduction
Cette introduction synthétise les propos de Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), Hans Joachim Wilms, Vice-Président du Comité Economique et Social européen et Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman, qui a notamment présenté une synthèse des enquêtes d'opinion récentes sur l'Europe.
La fracture démocratique entre le monde politique et les citoyens est plus que jamais au cœur du débat public. Peur du déclassement, sentiment de mise à l'écart vis-à-vis des lieux de pouvoir et de ceux qui les occupent : force est de constater qu'un climat de défiance règne désormais au sein de la société civile européenne. Le désamour de l'Europe n'est pourtant pas inéluctable. Des solutions sont à trouver, afin de susciter une nouvelle énergie citoyenne, une adhésion renouvelée à la cause européenne et au projet de société qu'elle porte. Il s'agit ainsi de réconcilier performance économique et performance sociale.
A l'instar de la stratégie Europe 2020, les réponses aux défis actuels de l'Europe doivent s'inscrire dans le temps long et se détacher des seuls calendriers électoraux. Il convient pour ceci de dresser un bilan de l'opinion publique et de se pencher sur les enquêtes récentes de l'Eurobaromètre. Ce bilan chiffré pourra servir de point de départ à la réflexion. Les résultats des enquêtes d'opinion révèlent combien, au tournant du XXIème siècle, les définitions de la démocratie se brouillent, et l'exercice des droits démocratiques fondamentaux prend des allures parfois surprenantes. Trois questions peuvent être posées pour démêler au mieux les données statistiques dont on dispose sur l'opinion de la société civile : l'Union européenne est-elle perçue comme un espace démocratique ? Le fonctionnement de ses institutions est-il vécu comme performant ? Et, enfin, quelle place y a-t-il pour des corps intermédiaires dans cette définition nouvelle de la démocratie européenne ?
1. l'Union européenne est-elle démocratique ?
Contrairement à certaines idées reçues, les enquêtes montrent que les Européens estiment à 60% que l'Union européenne est démocratique. La démocratie serait en effet l'une des valeurs qui incarne le mieux l'Union européenne, après la paix et la défense des droits de l'Homme. On pense alors à l'article 2 du Traité sur l'union européenne, qui dispose que "L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. (...)"
2. S'agit-il alors d'une mise en cause du fonctionnement des institutions européennes ?
Si l'Europe est vécue comme une entité démocratique, c'est son fonctionnement institutionnel qui ne satisfait pas. 44% des Européens interrogés répondent que le fonctionnement de la démocratie européenne n'est pas satisfaisant. On fait donc face à une crise de confiance dans les institutions, qui trouve son origine dans l'idée selon laquelle "ma voix ne compte pas" (52% des citoyens) mais aussi dans le sentiment d'une Union éloignée des citoyens (55%) ou encore dans l'impression d'une Union trop complexe (seuls 29% des citoyens européens estiment être bien informés sur l'Union européenne) et peu transparente (34% estiment que les institutions européennes sont transparentes). L'ensemble de ces réponses confirment l'état de défiance du corps citoyen vis-à-vis des élites européennes.
3. Quelle place enfin pour les corps intermédiaires que sont les CES dans cette nouvelle équation?
Ce sujet a été au cœur de ce colloque. Dans le cadre d'une pratique démocratique renouvelée, le rôle des Conseils économiques et sociaux est à redéfinir. Ces derniers doivent dorénavant se donner les moyens de devenir de véritables arènes de la recherche du consensus citoyen.
Force est de constater que de nouvelles formes de délibération démocratique ont déjà été expérimentées dans d'autres pays européens, proposant ainsi des outils alternatifs dans la recherche du consensus citoyen. Ainsi, l'Irlande a mis en place en 2012 une Convention chargée de trancher, dans un délai d'un an, huit sujets polémiques (parmi lesquels le mariage des couples de même sexe, l'augmentation de la participation des femmes en politique ou encore la réduction du mandat présidentiel à cinq ans). Cette Convention, composée de 100 citoyens (dont 66 étaient tirés au sort sur les listes électorales, et 33 étaient des parlementaires désignés par leurs groupes politiques) a travaillé pendant un an de manière transparente, et a présenté à l'issue de cette période trente-huit recommandations. Le gouvernement irlandais se doit par la suite d'y répondre, soit par un débat dans l'Assemblée soit, là où il soutiendrait les recommandations, par un référendum.
La Belgique a lancé l'initiative "G1000" en 2011, qui se déroule en plusieurs étapes : tout d'abord une consultation publique via une plateforme en ligne où chacun pouvait apporter sa contribution. Suite aux différentes propositions, 25 thèmes récurrents ont été retenus, et plusieurs centaines de citoyens ont par la suite été tirés au sort pour participer à la phase de discussion. La troisième phase avait pour objectif de formuler des recommandations par le biais d'un panel citoyen. Dans cette "conférence de consensus", les participants choisissaient la formulation des questions à aborder, leur méthodologie et proposaient les conclusions à porter au débat public.
Enfin, l'organisation transpartisane allemande Mehr Demokratie, créée en 1988 travaille depuis des années sur la facilitation de l'expression directe des citoyens en démocratie, en particulier par le biais des référendums et de propositions de réforme du droit électoral. Afin d'atteindre cet objectif, Mehr Demokratie propose et soutien des campagnes, donne des avis et des analyses scientifiques, et rédige des propositions législatives sur des questions de démocratie. Ainsi, Mehr Demokratie a initié 19 Initiatives Citoyennes en Allemagne et en Europe. Elle a, entre autres, initié une plainte constitutionnelle soutenue par 37 000 personnes contre le Mécanisme Européen de Solidarité et le Pacte budgétaire.
Ces différentes initiatives européennes peuvent ainsi nourrir la réflexion sur le rôle et la démarche des Conseils économiques et sociaux.
I - La fracture démocratique en Europe : déficit de représentation, populismes et question sociale
Cette première table ronde avait pour objet d'évoquer les différentes formes de la fracture démocratique en Europe. La crise de légitimité politique de l'Union, la montée des populismes et des extrémismes dans le contexte de crise économique et sociale actuelle et le désamour plus général des citoyens européens à l'égard des élites, autant de composantes de la fracture politique, ont ainsi été débattues par Pascal Perrineau, Professeur des Universités à Sciences Po ; Christophe Quarez, membre du Conseil économique, social et environnemental français, Rapporteur de l'avis "l'UE à la croisée des chemins" ; Antonio Marzano, Président du CNEL d'Italie, et Radowlas Markowski, Professeur de l'Université des Sciences sociales et des Humanités à Varsovie, membre de l'Académie des Sciences de Pologne.
1. Un climat de défiance à l'égard des élites politiques européennes et nationales
a. Une défiance forte des citoyens vis-à-vis des responsables politiques
La défiance envers les élites politiques s'exprime de plus en plus clairement dans l'ensemble des pays de l'Union. Adressée tant aux responsables politiques nationaux qu'européens, elle témoigne du détachement des citoyens à l'égard des personnalités occupant les lieux de pouvoir, qu'ils estiment de plus en plus indifférents à leurs intérêts. Selon la vague 5 de l'étude "Baromètre de la confiance politique" réalisée en janvier 2014 par le CEVIPOF en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental français, 36% des Français éprouverait avant tout de la défiance à l'égard du monde politique. Fin 2013, 87% d'entre eux estimaient que ces élites ne se préoccupaient que peu, voire pas du tout, de ce qu'ils pensaient.
b. De vives critiques à l'égard du fonctionnement général des institutions démocratiques
Toujours selon l'étude "Baromètre de la confiance politique", 69% des Français estiment que la démocratie fonctionne mal. Les attentes formulées en matière de représentativité, de démocratie participative, de modernisation plus générale des fonctionnements institutionnels ne semblent donc pas avoir trouvé de réponses dans les politiques actuelles. Toutefois, ce désarroi n'est pas lié à un parti politique en particulier : en effet, il semblerait que 60% des citoyens de l'Hexagone n'aient confiance ni en la gauche ni en la droite pour gouverner le pays. La défiance de la société civile, particulièrement visible à travers la forte abstention et l'explosion des votes populistes aux dernières élections européennes, ne trouve donc pas son origine dans des configurations purement partisanes.
c. Une confiance encore présente, néanmoins, des citoyens les uns vis-à-vis des autres
L'étude "Baromètre de la confiance politique" met paradoxalement en lumière la confiance des citoyens entre eux et le sentiment de proximité sociale qui est encore très présent. En effet, 94% des personnes interrogées semblent avoir confiance en leurs familles et leurs proches, 74% ont confiance en leurs voisins, 66% accordent enfin leur confiance aux personnes issues d'une autre culture religieuse. Ainsi, la confiance continue de s'exprimer "en bas", au sein même de la société civile. Ces résultats semblent inviter les responsables politiques et économiques à réinvestir ce capital de confiance disponible.
2. De fortes incertitudes en l'avenir
a. La crise économique récente, véritable catalyseur des incertitudes citoyennes
La crise économique et sociale traversée par les pays européens depuis 2009 a catalysé les angoisses citoyennes et alimenté les appréhensions envers l'avenir. L'augmentation drastique du chômage, et plus particulièrement du chômage des jeunes, est un facteur majeur d'incertitudes. Les politiques menées par les gouvernements nationaux sont vécues comme largement court-termistes, calquées sur des calendriers électoraux et donc peu soucieuses de présenter au citoyen des programmes économiques et sociaux de moyen et long-termes. Ce manque de visibilité des citoyens européens quant à leur avenir participe naturellement de la perte de confiance caractéristique de nos sociétés. Il s'agit désormais donc de se détacher d'une gestion de court-terme tributaire du calendrier électoral, et présenter de vrais scénarios de moyen et long-termes.
b. Un leadership difficile à renouveler : quelle "relève" à Bruxelles ?
L'Union européenne souffre d'une crise profonde de leadership. La relève ne semble pas se présenter, et le corps citoyen considère les responsables de la politique communautaire comme trop technocratiques et largement éloignés de leurs préoccupations. S'ajoute à cet enjeu celui de l'impératif de voir émerger des corps intermédiaires efficaces jouant le rôle de relais entre décideurs européens et citoyens, de plus en plus exigeants, mieux informés, et aux revendications plus sophistiquées.
3. La technicité croissante des discours et des mécanismes européens
Le débat qui a précédé les dernières élections européennes n'a pas laissé aux questions proprement européennes la place qu'elles méritaient : en France, aucun débat n'a été diffusé en "Prime Time", ce qui n'a pas permis aux citoyens par conséquent de disposer d'un présentation claire des processus institutionnels et des enjeux politiques et budgétaires européens. A l'hyper-politisation des discours nationaux se superpose la technocratisation des discours européens, nuisant ainsi doublement à l'intelligibilité de l'Europe aux yeux de tout un chacun. Les politiques nationaux doivent assumer l'Europe afin, à terme, de la rendre plus accessible et donc plus attractive.
II - Quelles réponses collectives à la fracture démocratique en Europe ?
Dans le prolongement de l'état des lieux formulé au cours de la première table ronde, des propositions concrètes ont alors été présentées quant à la résorption de cette fracture démocratique en Europe. De quels leviers concrets dispose-t-on pour établir une plus grande proximité entre les élites politiques et les citoyens ? La fracture démocratique en Europe constitue une crise européenne réelle mais c'est également une crise interne aux Etats membres. Comment en est-on arrivé à cette fracture ? Daniela Schwarzer, Directrice du German Marshall Fund, Berlin ; Joao Diogo Pinto, Représentant du Groupe de liaison, Comité économique et social européen ; Jean-Marc Roirant, Conseiller CESE France, Associations, Ligue de l'enseignement, et Stefano Palmieri, Président du Comité de pilotage Europe 2020, Comité économique et social européen, ont répondu à ces interrogations.
1- Mieux comprendre les origines de la fracture pour mieux définir les réponses collectives
a. De la construction de l'Europe à sa gouvernance
Dans les années 50 et après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, l'idée de construire "l'Europe" reposait sur un réel consensus. La validité du projet n'était alors pas discutée, et les citoyens semblaient généralement adhérer au processus de construction. C'est ce qui a été appelé le "consensus permissif". Il en résultait l'existence d'une chaîne de légitimité démocratique entre les citoyens et l'Union européenne. A cet instant de l'histoire du projet européen, les élites politiques et administratives n'ont, semble-t-il, pas rempli leur mission de justification auprès des citoyens. La société civile s'est par conséquent démobilisée à son tour, se sentant mise à l'écart du projet européen : c'est ce qu'a révélé le référendum sur l'adoption du Traité constitutionnel pour l'Europe en 2005. Les "non" néerlandais et français ont mis en lumière la perte de repère des citoyens à la suite des élargissements consécutifs de l'Europe. Ce décalage caractéristique de l'Europe actuelle fragilise le consensus historique sur le projet européen.
b. Une Union qui manque de moyens
Si les pays européens sont parvenus à créer un ensemble institutionnel doté d'une organisation et de compétences précises, ils n'ont pas dégagé pour autant les moyens nécessaires au bon fonctionnement de cette Union. L'instauration d'une zone monétaire, associée à la création d'une Banque Centrale Européenne, désormais en charge de la politique monétaire constitue une avancée sans précédent. Toutefois, la politique économique européenne ne dispose que d'un cadre trop limité, à l'instar des difficultés des gouvernements à s'accorder sur une politique fiscale commune. De plus, son budget demeure très insuffisant au vu des compétences larges et complexes qui lui sont accordées.
Ce fossé existant entre les tâches attribuées aux institutions et les moyens très limités dont elle dispose effectivement contribue à creuser la fracture démocratique.
c. La perte de vue des objectifs fondamentaux ?
S'ajoute à cette question purement budgétaire le non-respect trop fréquent des objectifs pourtant inscrits dans le Traité. Ainsi, l'article 3 du Traité sur l'Union européenne de 2009 établit que "l'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples", qu'elle "offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice (...) au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes", qu'elle "œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement". Or depuis cinq ans, l'Union européenne traverse une crise plurielle: déflation, accroissement du chômage, précarité des jeunes, etc. Les décideurs européens semblent avoir cherché prioritairement à garder la confiance des marchés plutôt que celle des citoyens. Ainsi, les objectifs sociaux et sociétaux inscrits dans les textes européens sont loin d'être atteints.
2. Des leviers possibles pour rétablir la confiance : écouter, faire participer, repenser l'action politique
a. Repenser le rôle des acteurs politiques
Les partis politiques européens, supposés faire le lien entre les citoyens et l'Union du fait des élections au suffrage universel direct, ne disposent pas encore d'une réelle identité. Ces partis européens, qui se réduisent encore à une réunion de partis nationaux, voient leur importance minorée du fait de leur quasi inexistence dans le débat politique national. En conséquence, les citoyens n'interagissent avec ces partis qu'une fois tous les cinq ans à l'occasion des élections européennes. Il est en effet essentiel que la vie démocratique ne soit pas réduite à l'exercice du droit de vote mais puisse s'exprimer de façon plus régulière et sous des formes plus diverses.
Néanmoins, un pas important a été franchi lors des élections européennes des 22-25 mai 2014 avec la mise en avant des "Spitzenkandidaten". Cette expression fait référence aux candidats que les partis allemands mettent en avant pour des fonctions politiques telles que Chancelier. Repris dans le contexte européen, ce terme désigne les candidats nommés par chaque parti européen pour la présidence de la Commission. La mise en œuvre de la procédure du Spitzenkandidat a renforcé la dimension partisane du choix du Président de la Commission puisque Jean-Claude Juncker a été désigné en qualité de chef de file du Parti Populaire européen (le PPE) arrivé en tête des élections européennes de mai 2014. Ce processus a permis plus de visibilité, et a procuré un léger gain d'intérêt pour le scrutin. Il sera difficile de revenir en arrière.
b. A l'écoute de la société civile
La remobilisation des citoyens autour du projet européen doit s'appuyer dans un premier temps sur une meilleure écoute. Paradoxalement, alors qu'émergent çà et là des affaires de corruption et des scandales financiers, de plus en plus d'Initiatives Citoyennes sont créées. Ces "objets sociaux non identifiés" devraient être davantage pris en compte. Les Conseils économiques et sociaux gagneraient particulièrement à s'associer à ces nouveaux acteurs, afin de renforcer leur légitimité dans l'avenir. Une attention toute particulière devra être accordée en la matière aux jeunes générations qui ont grandi dans une Europe déjà construite où la liberté de circulation est une évidence.
Cette prise en compte des Initiatives Citoyennes est d'autant plus importante qu'il est impossible pour les institutions européennes d'être directement en relation avec les 500 millions d'Européens. Il faut alors donner le relais à la société civile, qui est la mieux "placée" pour jouer le rôle d'intermédiaire. En effet, les associations composant la société civile permettent une représentation des citoyens dans leur diversité. Jusqu'alors, la démocratie ne s'est concentrée que sur la représentation de la majorité. L'échelon local doit par ailleurs être davantage valorisé dans la communication citoyenne, étant en soi plus adapté aux relations directes avec les citoyens.
Finalement, la formation et la sensibilisation des citoyens ne doivent pas être négligées. La méconnaissance de l'Europe engendre en soi de la défiance. Il est donc important de permettre aux citoyens de s'approprier l'histoire de l'Europe et son fonctionnement. Une curiosité à l'égard de la culture et de la langue des autres Etats membres gagnerait également à être encouragée. L'apprentissage des langues constitue évidemment une solution peu coûteuse et essentielle en la matière. Enfin, encourager la mobilité des jeunes, la formation professionnelle dans d'autres pays peuvent également permettre un rétablissement de la confiance dans le projet communautaire.
III - Quel rôle les CESE et le CES européen peuvent-ils jouer pour redonner la confiance en l'Europe ?
Les Conseils économiques et sociaux, en tant que lieux de dialogue entre différentes catégories socioprofessionnelles mais aussi de représentation citoyenne, gagneraient à se positionner davantage comme acteurs phares de la résolution de cette crise de confiance. Cette crise, toute comme la faiblesse du dialogue social dans de nombreux pays européens, invite à rénover les méthodes de la démocratie participative. C'est dans ce contexte actuel d'absence de proximité entre le citoyen et les institutions que la question du dialogue civil et du renforcement des partenariats doit guider la gouvernance européenne, sur fond de consultation et de participation accrue. Par quels moyens les CES nationaux et le CES européen peuvent-ils contribuer à la réduction de la fracture démocratique ? Marcos Pena Pinto, Président du Conseil économique et social espagnol ; Lalko Dulevski, Président du Conseil économique et social bulgare ; Paul Windey, Président du Conseil national du travail (CNT) de Belgique, et Evelyne Pichenot, membre du Conseil économique, social et environnemental français et du Conseil économique et social européen ont apporté de précieuses contributions.
I. Les Conseils économiques et sociaux : arène de la recherche de consensus
Les Conseils économiques et sociaux doivent être l'arène de la recherche de consensus économiques, sociaux, environnementaux et sociétaux. En s'appuyant sur une vision globale de la situation et surtout sur une forte représentation de l'ensemble des groupes socioprofessionnels, les Conseils économiques et sociaux doivent relever le défi de la pédagogie et de la communication sur l'ensemble des enjeux complexes dont ils ont à traiter. La production normative européenne, le budget de l'Union, les particularités de la nouvelle Commission de Jean-Claude Juncker sont autant de thèmes que les CES doivent rendre plus intelligibles auprès de la société civile. Afin de continuer à défendre le modèle de culture sociale qu'ils incarnent, ces organisations représentant les forces vives doivent parvenir à s'imposer comme espace privilégié d'échange - de savoirs, mais aussi de savoir-faire, de pratiques politiques, d'expertises - et de codécision entre les différents acteurs de la société civile.
II. Combler le fossé entre préoccupations locales et politiques européennes
La perte de confiance qui a été identifiée ne trouve pas sa source uniquement dans le chômage de masse, mais aussi dans une désillusion plus générale. Le positionnement des Conseils économiques et sociaux comme plateforme des débats publics dépend de la capacité de ces derniers à combler le fossé existant entre problématiques locales et européennes. Les Conseils économiques et sociaux gagnent notamment à organiser des débats à l'échelle régionale afin de mettre à contribution citoyens et partenaires sociaux dans la formulation de propositions concrètes. Par un travail minutieux de communication et de simplification, les Conseils économiques et sociaux doivent inviter chaque citoyen à se saisir des sujets européens et appréhender leur contenu proprement multi-niveau, du fait même de l'existence du principe de subsidiarité en droit communautaire. Les nouvelles technologies et Internet peuvent constituer, sur ce thème, des leviers d'action non négligeables, afin d'assurer une large diffusion des idées et d'assurer une participation maximale.
III. Incarner une vision moderne de la démocratie : participative, multiple, transversale
Les problématiques sont devenues plus nombreuses et ont changé de nature. Le citoyen est travailleur, mais aussi consommateur, producteur, acteur associatif. Cette architecture plus complexe renforce les missions potentielles des Conseils économiques et sociaux.
Afin de porter réellement des projets de démocratie participative et délibérative, les Conseils économiques et sociaux doivent investir des nouveaux espaces de dialogue et de consultation, en s'associant à des structures de plus petite taille, déjà existantes et relayant l'information à différents niveaux (ville, quartier, école, hôpital). Les grands débats internationaux doivent être mieux anticipés, afin que les CES puissent faire entendre en amont une voix propre de la société civile européenne. Enfin, les Conseils économiques et sociaux doivent s'engager dans des projets proprement pluridimensionnels, à l'instar des politiques européennes actuelles ainsi que des nouvelles préoccupations citoyennes de plus en plus transversales et plurielles.
IV : Comment mieux organiser la participation citoyenne aux institutions européennes ?
La période actuelle se caractérise par une baisse de la confiance des citoyens européens vis-à-vis des institutions de l'Union. La montée de l'euroscepticisme, voire de l'europhobie dans certains Etats membres, constitue un symptôme de ce fossé entre les citoyens et les lieux de décisions européens. Au lendemain du renouvellement des institutions communautaires (Parlement, Commission et Président du Conseil européen), comment encourager chacun à se saisir des enjeux politiques à Bruxelles et à Strasbourg ? 4 députés européens ont participé à ce d"bat : Maria Joao Rodrigues, S&D ; Pascal Durant, Verts/ALE ; Sylvie Goulard, ALDE, et Constance Le Grip, PPE.
1. L'identification des problèmes à résoudre
Plusieurs problèmes structurels et politiques ont été mis en avant, et mériteraient une attention particulière afin que la participation citoyenne aux institutions européennes soit plus active.
a. Problèmes structurels
Le manque de moyens de l'Union européenne a déjà été soulevé lors des précédentes tables-rondes. L'Europe dispose de larges compétences, mais d'un levier d'action insuffisant pour permettre une action efficace dans ses domaines d'intervention. Un exemple déjà cité est celui de la zone euro, qui doit être approfondie afin de surmonter son inachèvement. Dans le contexte actuel de crise économique, la coopération doit être renforcée afin de définir des stratégies de croissance communes et de remédier ensemble à des problèmes d'ordre financier.
b. Problèmes politiques
De nombreux facteurs politiques peuvent expliquer les difficultés à participer au processus décisionnel européen. Tout d'abord, la superposition des discours participe au flou politique qui caractérise l'environnement électoral européen. Les décalages restent importants entre les promesses de campagnes et les activités concrètes de Bruxelles. Cela contribue à démobiliser les citoyens, qui perdent confiance en leurs élus. Afin d'impliquer davantage les citoyens, la classe politique doit faire preuve de davantage de transparence ou d'exemplarité. Pour ce faire, elle gagnerait à sonder régulièrement la société civile, reflet de l'opinion citoyenne.
c. Rétablir la confiance
Tout d'abord, le manque d'optimisme généralisé freine, au sein de l'Union européenne, l'engagement citoyen.
L'absence de volonté politique, l' "esprit de négation", constituent les entraves les plus concrètes à cet engagement. Si des mécanismes sont créés çà et là, la volonté d'agir à l'échelle européenne fait défaut. Il en va de la responsabilité des décideurs politiques nationaux de manifester un réel courage européen et de se défaire d'une part de souveraineté au profit d'une énergie collective à l'échelle de l'Union. C'est un problème dont l'importance n'est pas à négliger. Il faut éviter que l'Union européenne ne perde son socle fondamental, ses valeurs et les origines de sa construction, à l'heure où la guerre est aux portes de l'Union.
Néanmoins, au milieu de cette atmosphère de morosité, des mécanismes institutionnels ont récemment été développés, améliorant la visibilité et l'impact de la participation citoyenne dans le renouvellement des institutions.
2. Vers une démocratie parlementaire ?
Ces derniers mois, de nouveaux outils institutionnels ont été mis en place et méritent d'être mieux exploités afin d'aider à la réduction de la fracture démocratique.
L'article 17 paragraphe 7 du Traité sur l'Union européenne dispose qu' "en tenant compte des élections au Parlement européen (...), le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent". Mais jusqu'à présent, l'exigence de tenir compte des élections au Parlement européen" était restée sans conséquences précises. Les élections européennes de mai 2014 lui ont donné tout son sens, en imposant un candidat à la tête de chaque parti, qui, dès lors que son parti obtient la majorité des voix, sera présenté comme candidat à la présidence de la Commission. Ces candidats ont été le centre de gravité de la campagne électorale. Le Parti Populaire européen (PPE) est arrivé en tête aux élections, et son chef désigné, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a été par la suite officiellement désigné candidat par le Conseil européen. Cette désignation a été entérinée par le vote du Parlement européen en juillet. Ainsi, par cette utilisation à la lettre de l'article 17(7) du Traité, un début de démocratie parlementaire a été amorcé, où les nominations sortent du simple jeu politique de Bruxelles, pour se rapprocher des citoyens. Avec cette désignation parlementaire, Jean-Claude Juncker est à présent "responsable" devant l'Assemblée de Strasbourg. Il est en revanche regrettable que la désignation des autres commissaires n'ait pas suivi cette même démarche puisque ces derniers continuent d'être proposés par les Etats.
Annexe : programme du colloque
9h00 : Ouverture
Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental français Hans Joachim Wilms, Vice-Président du Comitél économique et social européen
9h15 : Introduction
Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman"Présentation d'une synthèse des enquêtes d'opinion récentes sur l'Europe"
9h30 : Table-ronde n°1 : La fracture démocratique en Europe, déficit de représentation, populismes et question sociale
Modérateur : Yves Veyrier, Président de la section "Affaires européennes et internationales" du Conseil économique, social et environnemental français "présentation des résultats de l'enquête par questionnaire auprès des 22 CES nationaux et du CES européen"
Pascal Perrineau, Professeur des Universités à Sciences Po Christophe Quarez, membre du Conseil économique, social et environnemental français, Rapporteur de l'avis "l'UE à la croisée des chemins" Antonio Marzano, Président du CNEL d'Italie Radowlas Markowski, Professeur de l'Université des Sciences sociales et des Humanités à Varsovie, membre de l'Académie des Sciences de Pologne
11h15 : Table-ronde 2 : Quelles réponses collectives à la fracture démocratique en Europe ?
Modérateur : Gabriele Bischoff, Membre du groupe des salariés dit "groupe II" du Comité économique et social européen
Daniela Schwarzer, Directrice du German Marshall Fund, Berlin Joao Diogo Pinto, Représentant du Groupe de liaison, Comité économique et social européen Jean-Marc Roirant, Conseiller CESE France, Associations, Ligue de l'enseignement Stefano Palmieri, Président du Comité de pilotage Europe 2020, Comité économique et social européen
14h : Table-ronde 3 : Quel rôle les Conseils Economiques et Sociaux nationaux et le CES européen peuvent-ils jouer pour redonner confiance en l'Europe ?
Modérateur : José Isaias Rodriguez Garcia-Caro, Vice-président du groupe des employeurs dit "groupe I" du Comité économique et social européen
Marcos Pena Pinto, Président du Conseil économique et social espagnol Lalko Dulevski, Président du Conseil économique et social bulgare Paul Windey, Président du CNT de Belgique Evelyne Pichenot, membre du Conseil économique, social et environnemental français et du Comité économique et social européen
15h45 : Table-ronde 4 : Comment mieux organiser la participation citoyenne aux institutions européennes ?
Modérateur : Luca Jahier, Président du Groupe des Activités diverses dit "groupe III" du Comité économique et social européen
Maria Joao Rodrigues, Députée au Parlement européen, S&D Pascal Durant, Député au Parlement européen, Verts/ALE Sylvie Goulard, Députée au Parlement européen, ALDE Constance Le Grip, Députée au Parlement européen, PPE
17h30 : Clôture
Harlem Désir, Secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental français
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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