Le défi de l'immigration clandestine en Méditerranée

Élargissements et frontières

Jean-Dominique Giuliani

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13 avril 2015
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Giuliani Jean-Dominique

Jean-Dominique Giuliani

Président de la Fondation Robert Schuman

Le défi de l'immigration clandestine en Méditerranée

PDF | 159 koEn français

Le nombre de déplacés dans le monde ne cesse de s'accroître [1]. La violence et les conflits en sont les causes premières L'Europe, riveraine de nombre d'entre eux, admet chaque année plus de 1,5 million de migrants réguliers [2], mais recensait déjà au troisième trimestre 2014, 128 725 séjours irréguliers sur son territoire [3]. Le nombre de demandeurs d'asile pourrait bondir à 700 000 (+28%). De 276 113 en 2014 [4], le nombre estimé d'entrées irrégulières sur le territoire européen (dont 60 000 par la mer) pourrait encore augmenter. Le flux d'immigration clandestine détectée n'a jamais été aussi élevé qu'en 2014, en hausse, de 170% par rapport à 2013. Il devrait bondir encore en 2015 dont les deux premiers mois révèlent une augmentation de plus de 200% par rapport à 2014!

Depuis 1988, selon les ONG, près de 20 000 personnes seraient décédées aux frontières extérieures de l'Union européenne. En 2014, le nombre des victimes a dépassé 3 500 [5].

90% des migrants clandestins ont emprunté la voie maritime en mer Méditerranée. L'immigration irrégulière détectée s'est accrue de 8 fois en Italie, de deux fois en Grèce et de 50% aux frontières espagnoles [6]. En 2011, année déjà exceptionnelle, ce phénomène migratoire s'expliquait principalement par la situation économique de certains pays riverains du Sud de l'Europe. Ce sont maintenant les conflits et l'instabilité politique qui poussent les populations de l'Asie centrale, du Moyen-Orient, du Maghreb et de l'Afrique à tenter l'aventure en Europe. La Méditerranée est au cœur de cette nouvelle problématique.

Cette pression d'une ampleur nouvelle a conduit l'Union et ses Etats membres à mettre en œuvre des réponses communes ou spécifiques qui n'ont pas réussi à enrayer ce flux et à sécuriser nos voies d'accès maritimes. La question est posée d'une politique plus efficace.

L'immigration clandestine : de la terre vers la mer

Alors que les frontières terrestres avaient été depuis les années 2000 le lieu privilégié de l'immigration clandestine, notamment pour les pays frontières que sont la Hongrie, la Bulgarie, la Grèce et l'Italie, ce sont désormais les espaces maritimes qui font l'objet d'une immigration nouvelle. Le renforcement des frontières terrestres et des contrôles aux points de passage identifiés, notamment avec l'aide de l'Union et de Frontex, a conduit ceux qui choisissent la voie clandestine à tenter de traverser la Méditerranée en s'en remettant à des passeurs, le plus souvent à la solde d'organisations criminelles structurées et puissantes. Près de 220 000 immigrants maritimes clandestins auraient été comptabilisés en 2014.

Trois routes principales apparaissent :

- La route de l'Est (Grèce, Chypre, Bulgarie, Roumanie). Jusqu'en 2012, elle était la principale source d'immigration clandestine, avec près de la moitié des immigrants. Elle est aujourd'hui la seconde. Depuis 2000, près de 3 millions d'immigrants sont entrés clandestinement en Europe par la Grèce. Après la construction d'un mur de 18 km sur le fleuve Evros, c'est sur la mer Egée que se développent les traversées clandestines. Le nombre de migrants interpellés empruntant cette voie a triplé en l'espace d'un an : ils étaient plus de 2 863 au premier trimestre 2014, plus de 10 445 au premier trimestre 2015. Durant le mois de mars 2015, 6 493 migrants sont passés par les différentes îles, essentiellement celles de l'est de la Grèce, proches des côtes turques, qui sont le principal point d'embarquement des navires de passeurs. Le taux d'accident s'est dramatiquement accru de 56% d'une année sur l'autre et le nombre de naufrages s'établirait pour 2014, au cours de laquelle on compte déjà 50 décès en mer, à près de 700. Ce sont les îles du nord (Lesbos, Chios et Samos) qui sont les principales concernées avec l'utilisation nouvelle de la technique des "go fast", petites embarcations rapides. Mais l'ensemble des îles grecques de la mer Egée paraît désormais concerné. Le pays avait connu en 2012 des succès dans sa lutte contre les réseaux criminels turcs et grecs de passeurs. En 2014, plus de 1000 personnes ont été interceptées chaque mois, marquant une reprise à la hausse de leurs activités. Des embarcations parties de Turquie traversent désormais les eaux grecques pour atteindre directement l'Italie. L'apparition des "cargos fantômes", ces navires achetés à la casse en Turquie pour environ 300 000 euros et abandonnés sans équipages au large des côtes italiennes, a amplifié ce phénomène. La crise syrienne a "dopé" ces trafics difficiles à enrayer, surtout dans un pays en proie à de réelles difficultés économiques.

Les accords de réadmission entre la Grèce et la Turquie (2002) ainsi que celui signé entre l'Union européenne et la Turquie, ne semblent pas en mesure d'y remédier, leur application n'étant que marginale. Une coopération policière s'est mise en place avec la Turquie et, désormais des actions spécifiques sont mises en place pour surveiller les "vieilles coques" susceptibles d'être utilisées par des trafiquants de plus en plus audacieux qui n'hésitent plus à ouvrir le feu sur les forces de police, comme cela a été constaté pour la première fois récemment.

- La Méditerranée centrale (Libye, Italie, Malte, Tunisie) est devenue depuis 2013 la principale voie par laquelle se lancent les immigrants clandestins à destination de l'Europe.

Les chiffres s'affolent qui proviennent principalement d'Italie. Le nombre de migrants naufragés secourus en 2014 a dépassé 170 000, dont 30 000 par les garde-côtes, autant par des navires marchands et 70 000 par l'opération Mare Nostrum, lancée par le gouvernement italien le 18 octobre 2013 après le drame de Lampedusa. Le nombre de détections de franchissement illégal des frontières s'est élevé à 134 272 entre janvier et septembre 2014, c'est-à-dire six fois plus qu'en 2013 et deux fois plus qu'au moment du Printemps arabe. Les migrants viennent toujours des pays d'Afrique sahélienne, principalement de Libye (90%), désormais pays de transit, mais aussi désormais de Syrie via l'Egypte (5%) où la situation des réfugiés syriens est précaire [7]. On compte aussi nombre d'Erythréens, installés en Libye et désireux de fuir l'instabilité et les violences apparues dans le pays.

Rien qu'au deuxième trimestre 2014, 51 000 naufragés ont été sauvés au cours de 274 opérations de secours d'urgence conduites par les autorités italiennes, coordonnées par Frontex ou faisant intervenir des navires de commerce. On note par ailleurs une pression nouvelle qui s'exerce sur les Pouilles et la Calabre (près de 10 000 interpellations en 2014) où les réseaux criminels de la mafia italienne, profitant d'un Etat de droit défaillant, paraissent organiser un quasi-trafic de main d'œuvre en provenance des Balkans occidentaux et à destination de l'Italie du Nord et de l'Europe centrale.

- La route de l'Ouest (Espagne, Portugal, Maroc, Sénégal, Sahara). Une pression nouvelle s'y fait sentir, provenant de pays africains en difficulté, notamment du Mali. Mais la tendance générale est à la stabilisation du fait des accords passés entre l'Espagne, le Maroc et le Sénégal et des efforts marocains et algériens pour lutter contre les réseaux de passeurs. Il n'en demeure pas moins qu'on constate une recrudescence des tentatives d'immigration par voie de mer (6 131 interpellations entre janvier et septembre 2014), l'étroitesse du détroit de Gibraltar permettant l'usage d'embarcations de toute dimension. Et les franchissements "en groupe" des frontières des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, situées en territoire marocain, sont de plus en plus spectaculaires.

La Méditerranée et ses espaces maritimes sont donc devenus en 2014 les voies principales d'immigration clandestine vers l'Europe. Elle est largement aux mains d'organisations criminelles qui s'adaptent aux moyens mis en œuvre pour y faire échec et qui utilisent toutes les ressources du droit de la mer pour accomplir leur sinistre besogne au mépris de la vie humaine. La majorité des 2 641 arrestations de passeurs réalisées au second trimestre 2014 aux frontières extérieures de l'Union, ont eu lieu en Méditerranée où les interpellations se sont accrues de 50% depuis un an. Près de 112 000 détections d'entrées illégales ont été détectées fin 2014 dont 98 000 par la mer.

Les migrants poussés vers l'Europe fuient la violence et les conflits. De la Syrie au Mali, en passant par l'Erythrée, l'Afghanistan, la Libye, ce ne sont pas les plus pauvres qui prennent le risque de l'immigration, mais souvent des familles entières, issues de classes moyennes n'ayant pas accès au droit d'asile ou se heurtant à des politiques migratoires restrictives.

Ces évolutions interpellent donc l'Union européenne. Nombre d'autorités morales, à l'image du Pape, de l'ONU, d'ONG ou de responsables politiques, se sont émus du nombre de victimes aux frontières extérieures de l'Europe, qui sont aujourd'hui les plus nombreuses (10 fois les décès constatés à la frontière américano-mexicaine). Les professionnels de la marine marchande, armateurs et personnels navigants, viennent de lancer un SOS aux chefs d'Etat et de gouvernements pour qu'ils agissent devant l'explosion du nombre de naufrages d'embarcations clandestines les ayant conduits à sauver de la noyade plus de 40 000 personnes en 2014 [8]. De fait, 2014 a enregistré en Méditerranée plus de 15 000 opérations de secours en mer.

D'autres voix s'élèvent contre l'augmentation de l'immigration, poussées par les mouvements populistes, principalement hostiles aux immigrés, mais aussi désireuses d'instituer un contrôle aux frontières plus efficace. Or s'il est difficile d'ériger des murs et des contrôles terrestres, il est quasiment impossible d'instituer des barrages étanches sur les espaces maritimes. Les réponses apportées jusqu'ici par l'Union européenne et ses Etats membres n'ont pas été en mesure de stabiliser cette poussée migratoire.

Les efforts européens : sauvetage ou contrôle des frontières ?

Pas moins de 9 opérations de l'agence européenne Frontex, créée en 2004, ont été lancées pour venir en aide aux pays confrontés à cette nouvelle immigration maritime. Des côtes grecques au littoral espagnol, Frontex a mis au point un dispositif dénommé European Patrol Network qui permet une coopération opérationnelle et une meilleure communication entre les autorités nationales. Elle n'hésite pas à pallier les carences de certains en subventionnant l'acquisition de matériels (patrouilleurs maltais, avions de patrouille maritime) qui sont ensuite ponctuellement mis à la disposition de l'Agence. Frontex n'est donc pas un corps de garde-côtes européen et cette fonction n'entre pas juridiquement dans les missions de l'Union européenne. Dotée d'un budget de 120 millions € et d'un siège à Varsovie, elle intervient aux côtés des Etats membres qui, selon les traités, demeurent seuls responsables du contrôle des frontières de l'Union.

Le droit de l'Union en dispose ainsi, le droit international aussi. Les conventions SOLAS (Safety of Life At Sea- 1960 et SAR (Search And Rescue), fixent aux Etats des obligations impératives de secours à la mer et organisent sur l'ensemble de la planète la coordination entre les Etats, autour de MRCC (Maritime Rescue Coordination Center), qui concilient la souveraineté des Etats et la sureté maritime. Ces accords ont été maintes fois révisés et améliorés pour tenir compte des nouveaux phénomènes de migrations par voie maritime. Ils s'inscrivent dans le droit maritime traditionnel désormais codifié par la Convention des Nations Unies pour le Droit de la Mer et les protocoles qui s'y rattachent. Tout navire se doit de porter assistance à une embarcation en difficulté. La lutte contre le trafic d'immigrants est reconnue comme légitime mais se doit de respecter l'Etat de pavillon en haute mer. Les pouvoirs de police en mer et donc le contrôle de l'immigration par voie maritime ne peuvent être exercés que par les Etats.

Les efforts visant à mutualiser les moyens européens en la matière se heurtent donc au droit international et ne peuvent que faire appel aux Etats pour se coordonner, et intervenir en mer. D'autres questions juridiques plus essentielles font aussi obstacles à l'exercice de contrôles rigoureux. Ainsi, par exemple, un clandestin ne peut être ainsi qualifié que lorsqu'il pose un pied à terre. En mer, il n'est pas en situation irrégulière. En effet, malgré de récentes évolutions, la notion de frontière maritime n'existe pas en droit international. La mer est un espace libre où le droit de passage inoffensif doit être respecté, y compris dans les eaux territoriales. Et s'il est autorisé de lutter contre les trafics, et donc celui de migrants, dans la mer territoriale, celui-ci doit être avéré et prouvé. Le droit de la mer ne facilite pas la lutte contre l'immigration clandestine par voie maritime.

Les tragiques évènements survenus à Lampedusa en octobre 2013, dans le détroit de Sicile en juin 2014 et au moyen de cargos abandonnés à l'hiver 2014-2015, ont accentué la pression européenne en faveur d'opérations de sauvetage destinées à éviter les naufrages répétés que des passeurs sans scrupule n'hésitent plus à organiser dès qu'apparaissent des navires occidentaux. Coincées entre l'émotion légitime qu'engendre ces drames et la nécessité rappelée par les Etats de contrôle aux frontières, les institutions européennes ont tenté de répondre sur les deux fronts à la fois, en mobilisant les moyens dont elles disposent. Une impression largement injuste d'inefficacité en est résultée, victime quant à elle de l'inquiétude des Européens devant l'augmentation de la pression migratoire.

Des Etats membres ont entrepris des efforts louables pour maîtriser leurs espaces maritimes. L'Espagne en concluant des accords avec des pays tiers méditerranéens ou africains, la Grèce en 2012, suivie par l'Italie en 2013 avec l'opération Mare Nostrum, qui a mobilisé les moyens de la Marine nationale italienne. Cette dernière opération a montré les limites de ce qu'il est possible de réussir sur mer en matière d'immigration clandestine. Elle a permis le sauvetage de près de 90 000 personnes embarquées sur des navires de fortune, mais a incontestablement favorisé le travail de réseaux criminels organisés et l'augmentation significative de l'immigration clandestine en provenance d'Afrique du Nord. C'était prévisible en l'absence d'autres mesures européennes coordonnées [9], ce ne peut pas être moralement condamné.

L'opération Mare Nostrum, d'un coût estimé à 9 millions € par mois par les autorités italiennes, a pris fin le 31 octobre 2014. L'opération européenne Triton, dotée de 1,9 million € par mois lui a en quelque sorte succédé. Elle se cantonnera à des patrouilles n'excédant pas 30 milles nautiques des côtes et mobilisera de nouveaux moyens de surveillance mis au point par l'Union. A ce jour, elle n'a pas tari le flux d'immigration.

Le système européen de surveillance des frontières EUROSUR est devenu opérationnel le 2 décembre 2013. Il s'inscrit dans le cadre du programme CISE (Common information and Sharing Environnement) et vise à faciliter la mise en commun d'informations de toutes origines (satellites, drones, sémaphores, etc.) au profit des différentes autorités en charge du contrôle des frontières. En la matière, les modèles européens sont très divers. Peu d'Etats membres sont dotés du système français de l'Action de l'Etat en Mer (AEM) qui, sur un mode interministériel, mobilise sous l'égide unique du Premier ministre et des Préfets maritimes tous les moyens civils et militaires (Marine, Douanes, Affaires maritimes, Police, etc.). Certains confient cette mission à leurs garde-côtes, d'autres à leurs forces de police, d'autres à leur marine. Mais la tendance est au regroupement sous l'égide d'autorités uniques en charge d'une "Fonction garde-côtes" désormais reconnue par la stratégie maritime de l'Union européenne (juin 2014) et le plan d'action qui la décline.

Quels moyens de lutte contre l'immigration clandestine ?

L'Union européenne est devenue le 1er continent d'immigration. Les conflits à ses frontières et dans les zones plus lointaines où elle dispose d'intérêts stratégiques ne vont pas cesser de rendre la question plus épineuse et plus difficile à résoudre.

Les moyens traditionnels sont déjà utilisés même s'ils peuvent être renforcés.

Des moyens exceptionnels sont nécessaires.

L'aide aux pays de départ des immigrés clandestins choisissant la voie maritime est une nécessité. L'Union européenne y est très présente, souvent au tout premier plan mondial comme au Maghreb. La coopération policière s'y développe et rencontre un certain nombre de succès, comme avec l'Algérie, le Maroc ou certains Etats africains. Fixer les populations par une assistance économique, se tenir aux côtés des Etats qui reconstruisent une démocratie politique, sont déjà des efforts européens systématiques, qu'il convient d'accroître, mais qui ne sauraient suffire. La conclusion d'accords de réadmission est nécessaire et l'une des missions de Frontex est justement d'aider à leur mise en œuvre. Mais l'exemple turc démontre qu'ils peuvent aussi n'être pas appliqués, volontairement ou sous la pression du nombre de réfugiés de conflits environnants. La Turquie est ainsi devenue le premier pays au monde pour l'accueil de réfugiés, estimés à au moins 1,6 million.

Faut-il aller jusqu'à conditionner ces aides à une meilleure coopération contre les réseaux criminels de passeurs qui ont souvent partie liée avec des acteurs du crime organisé dans d'autres domaines, voire avec le terrorisme ? C'est une piste que l'Union explore même si elle est contraire aux canons de son Soft Power.

Nombre de responsables politiques, à commencer par le Parlement européen et la nouvelle Commission européenne, plaident pour un renforcement de l'Agence Frontex et militent pour la création, à terme, d'un corps de garde-côtes européen. Si le renforcement de Frontex, déjà engagé, est nécessaire, créér une administration européenne spécifique conduirait à confondre les moyens avec l'objectif. Les premiers sont pour l'instant limités par le droit international et le droit de la mer, consacrés par l'autorité de l'ONU. L'objectif d'une politique migratoire commune aux Etats membres de l'Union est, en revanche la priorité, rappelée par Jean-Claude Juncker, le président de la nouvelle Commission européenne qu'il a dotée d'un Commissaire aux Migrations, le Grec Dimitris Avramopoulos. Elle ne pourrait contribuer à limiter l'immigration illégale qu'en ouvrant des perspectives d'immigration légale, acceptée et organisée strictement. Un continent qui doit perdre 50 millions d'habitants d'ici 2050 selon les prévisions démographiques, peut et doit se doter d'une politique ordonnée d'immigration. La contrepartie en est une lutte accrue contre l'immigration illégale.

Elle ne peut être pour l'instant le fait d'un corps européen, faute d'une autorité politique démocratique responsable de moyens coercitifs efficaces et surtout d'une politique clairement définie qui fasse l'unanimité dans l'Union. S'agira-t-il d'abord de sauver la vie des migrants clandestins ou sa mission sera-t-elle de contrôler plus rigoureusement l'accès à son territoire par la voie maritime ? Il n'y a pas de consensus européen certain sur les objectifs à fixer à un tel corps. L'accroissement des moyens de Frontex, qui va certainement être décidé sous la pression de l'émotion va lui permettre d'augmenter ses missions de sauvetage et, vraisemblablement à la marge d'aider les Etats membres à se doter d'équipements de contrôle de leurs espaces maritimes. C'est déjà un progrès et d'autres peuvent encore être produits dans le même sens.

Mais c'est par une coordination renforcée entre Etats membres, soutenue et supportée par l'Union, que des solutions nouvelles pourraient être avancées pour mieux lutter contre l'immigration clandestine en Méditerranée. Une action plus résolue pourrait être engagée avec les Etats côtiers riverains de la Méditerranée pour les inciter, voire les contraindre à prendre toute leur part dans la lutte contre l'immigration clandestine. Force est de reconnaître qu'ils font déjà de gros efforts en ce sens.

Se pose alors la question des Etats défaillants comme la Libye.

L'Union et ses Etats membres pourraient ainsi faire appel à l'ONU pour que soit constatée l'ampleur inédite des drames humains survenus en mer, l'impossibilité d'Etats défaillants à coopérer efficacement pour les limiter et se voir conférer un mandat pour les aider à l'exercer ou le faire à leur place. Patrouiller dans les eaux libyennes sous mandat de l'ONU pourrait s'avérer plus efficace pour empêcher le départ d'embarcations qui mettent en danger la vie humaine. Organiser l'accueil et le retour des clandestins, pas forcément sur le territoire européen, est aussi une hypothèse qui devrait engager la communauté internationale. Mais cela ne saurait résoudre le fond de la question qui exige la stabilisation, forcément à long terme, des Etats riverains du Sud méditerranéen et au-delà, du Sahel et du Moyen-Orient. Une fois encore cela nécessitera des moyens bien supérieurs à ceux d'une simple mission de police, dont relève et relèvera toujours la lutte contre l'immigration irrégulière en Méditerranée.

Le défi à relever est considérable.

Comment l'Europe peut-elle se mobiliser, avec la communauté internationale pour éviter le drame qui pousse des familles entières à tout tenter pour assurer leur survie ?

Comment l'Union peut-elle être un relai politique et financier pour améliorer encore tout ce qui est déjà entrepris ?

Comment les Etats membres doivent-ils agir et coopérer pour empêcher ces transferts de population ?

Comment expliquer en interne que cette immigration ne saurait être éviter dans le court terme, qu'elle exige une action résolue dans la durée, et comment en assumer le poids politique dans une période de regain des populismes et de difficultés économiques, sans remettre en cause la libre circulation et les accords de Schengen qui, contrairement aux discours politiques, fonctionnent correctement?

Nous devons nous attendre à ce que la question migratoire gagne encore du terrain en politique. Puisse l'Europe y répondre avec intelligence en refusant les amalgames et les discours simplistes, en étant fidèle à ses valeurs, notamment en matière d'asile, mais en étant plus efficace.


[1] : 51,2 millions en 2014 dont 33,3 millions de déplacés intérieurs (http://www.internal-displacement.org/)
[2] : (1 693 900 en 2012)
[3] : Eurostat, http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=migr_eipre&lang=fr
[4] : DG migration, http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/irregular-migration-return-policy/index_en.htm
[5] : Soit 75% des décès enregistrés aux frontières dans le monde. Source : Office des migrations internationales (ONU).
[6] : Frontex Risk Anal¬ysis Network (FRAN) 2ème trimestre 2014
[7] : Frontex FRAN déjà cité
[8] : Lettre du 31.3.2015 de l'European Community Shipowners' association, de l'European Transport Workers' federeation, de l'International Chamber of Shipping et de l'International Transport Workers' federation.
[9] : Voir l'article de l'auteur "Contre l'immigration clandestine, il faut conditionner les aides au Maghreb", paru dans le Monde du 23 octobre 2013.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Le défi de l'immigration clandestine en Méditerranée

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