Budget et Fiscalité
Philippe Maystadt
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L'Union européenne est confrontée à une sévère crise de l'investissement et celle-ci pourrait avoir de sérieuses conséquences pour son avenir économique et social [1]. Les données les plus récentes montrent une chute de l'investissement en capital fixe telle que, six ans après le déclenchement de la crise financière et la récession qui a suivi, le niveau d'investissement est encore 16,9% inférieur à celui de 2007 [2]. L'investissement public a contribué à ce déclin : il est tombé à 2% du PIB.
L'augmentation du potentiel de croissance passe par la relance de l'investissement et, dans les circonstances présentes, le secteur privé ne le fera pas spontanément. L'érosion du capital public avec des infrastructures souvent obsolètes et une maintenance insuffisante justifie que l'on relance l'investissement public, y compris en Allemagne où, même depuis qu'on a réintégré les dépenses de recherche dans les dépenses d'investissement, l'investissement public (142 €/habitant) reste largement inférieur à la moyenne de la zone euro (226 €/habitant) [3]. Le FMI vient de le plaider avec de solides arguments. Dans les conditions actuelles de très bas taux d'intérêt (pour la première fois dans l'histoire, le taux sur l'OAT française et sur l'OLO belge à 10 ans est descendu en-dessous de 1%), de nombreux investissements publics ont un rendement économique supérieur au coût de leur financement. A court terme, ils ont un effet positif sur la demande. A moyen et long terme, si les investissements ont été bien choisis, l'effet d'offre prédomine. Ce qui est crucial, c'est l'effet d'entraînement sur l'investissement privé grâce à la hausse de la productivité engendrée par les investissements en infrastructure, en R&D et en capital humain.
Dans la présente note, je défends sept propositions. A dessein, dans un souci de réalisme politique, ces propositions recourent autant que possible à des institutions et instruments existants. C'est aussi à dessein que je ne commence pas par le financement même si de sérieux problèmes d'allocation de ressources se posent, car je suis convaincu qu'un cadre réglementaire incitatif est un préalable indispensable.
1. Poursuivre et améliorer la régulation de marchés spécifiques.
Investir, c'est projeter nos sociétés vers l'avenir. L'investissement doit anticiper les besoins et les produits d'avenir. Pour cela, il faut créer un espace de marché attractif afin d'inciter les entreprises à développer les biens et services socialement souhaitables, à les proposer aux meilleures conditions et à investir dans ce but.
Jean Tirole, Prix Nobel d'économie, a démontré qu'au-delà du droit général de la concurrence il y a un besoin de mesures propres à des industries spécifiques, en particulier les industries de réseau (électricité, télécommunications, transports). Ces industries reposent sur des infrastructures qui confèrent à leurs opérateurs une situation de "monopole naturel" : leur coût élevé rend en effet leur duplication indésirable et empêche donc une vraie concurrence, tout au moins sur ce segment de leurs activités.
D'où la nécessité de modes de régulation spécialement adaptés à cette situation et plus incitatifs, fondés par exemple sur des prix plafonds plutôt que sur le remboursement des coûts de manière à inciter à optimiser ces derniers, tout en organisant un contrôle de la qualité des services rendus.
De plus, dans certains cas, le fait que le marché intérieur n'est pas achevé et qu'il reste fragmenté en raison d'un manque d'harmonisation des normes et/ou d'un manque de coordination des politiques nationales, constitue un frein aux investissements. C'est ce qu'a souligné dans sa première interview le Commissaire européen à l'Energie, Miguel Arias Canete [4]. C'est aussi un point sur lequel la Commission insiste à juste titre dans sa communication sur le plan Juncker [5].
Enfin, on soulignera aussi l'importance de la continuité de la régulation si l'on veut inciter le secteur privé à investir à long terme. Le "stop and go" dans la régulation des marchés, comme on l'a trop souvent pratiqué dans le secteur de l'énergie, c'est un des moyens les plus sûrs de décourager l'investissement.
2. Intégrer explicitement la problématique des investissements publics dans le
"semestre européen".
Ceci aurait un double but. D'une part, il s'agirait d'éviter que, dans le souci d'atteindre leur objectif de déficit, les Etats membres ne sacrifient des dépenses d'investissement pourtant bien nécessaires. La tentation est forte et de nombreux gouvernements y ont succombé : comme le Pacte de stabilité et de croissance ne fait aucune distinction entre dépenses courantes et dépenses d'investissement, autant réduire d'abord ces dernières puisqu'il est électoralement moins dangereux de supprimer un investissement en recherche ou en infrastructure que de diminuer une allocation ou un subside de fonctionnement. Dans le cadre du "semestre européen", le Conseil adresse des recommandations à chaque Etat membre; celles-ci pourraient inclure une disposition sur le niveau minimum d'investissements publics à maintenir sur le moyen terme (pas nécessairement le même pour chaque Etat membre). Ensuite, dans l'avis qu'elle doit remettre à chaque Etat membre sur son projet de budget pour l'année à venir, la Commission pourrait vérifier si cette disposition est respectée. D'autre part, le traitement plus systématique et plus approfondi de la problématique des investissements publics dans le cycle budgétaire européen pourrait favoriser une meilleure coordination des programmes d'investissements nationaux. Ce serait particulièrement utile dans le secteur des transports.
3. Revoir les règles d'Eurostat pour éviter qu'elles ne pénalisent l'investissement public.
Plusieurs gouvernements viennent d'en faire l'amer constat : les conséquences sur l'investissement public de l'application stricte des normes comptables européennes SEC 2010 sont énormes. En effet, il est désormais obligatoire que les dépenses d'investissement soient imputées directement et en totalité sur le déficit de l'année durant laquelle ces dépenses sont réalisées. Il n'est plus possible de considérer que ces dépenses d'investissement puissent s'amortir sur plusieurs années.
Si l'on doit imputer sur une seule année le coût d'investissements amortis en moyenne sur 6 années, il est à craindre qu'à déficit constant, les investissements publics ne diminuent par un facteur 6. Bel exemple de schizophrénie européenne !
4. Déterminer une catégorie d'investissements publics prioritaires qui n'entreraient
pas en compte pour l'application de la règle de réduction de la dette fixée par l'article 4 du TSCG (l'écart par rapport à la valeur de référence - 60% du PIB - doit se réduire sur trois années à un rythme moyen d'un vingtième par an).
Pour entrer dans cette catégorie, un investissement public devrait satisfaire simultanément à trois critères :
1) un critère d'intérêt européen : l'investissement doit être considéré comme d'intérêt commun européen au sens de la communication de la Commission du 13 juin 2014, ce qui implique notamment qu'il contribue à la réalisation d'un ou plusieurs objectifs de l'Union européenne et qu'il présente un caractère transnational, le cas échéant avec la participation de plusieurs Etats membres ; 2) un critère de rentabilité économique : l'investissement doit atteindre un niveau minimum d'ERR (economic rate of return), calculé selon la méthodologie développée par la Banque européenne d'investissement (BEI); 3) un critère de soutenabilité : l'investissement doit faire appel aux technologies les plus avancées de manière telle qu'il limite autant que possible la consommation de ressources naturelles et l'émission de gaz à effet de serre.
La vérification de ces critères pourrait être confiée à un Comité budgétaire européen composé de représentants des institutions indépendantes chargées, au niveau national, de vérifier le respect des règles du TSCG (le Haut Conseil des Finances publiques en France ; le Conseil Supérieur des Finances en Belgique). Ce Comité rendrait compte à la conférence parlementaire visée à l'article 13 du TSCG (conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et des parlements nationaux).
En fait, en adoptant cette proposition, on reviendrait à une version limitée et encadrée de la véritable "règle d'or" : un Etat ne peut pas emprunter pour financer ses dépenses courantes ; en revanche, il peut emprunter pour financer des investissements productifs qui augmentent son patrimoine et surtout son potentiel de croissance à moyen et long terme.
Les propositions 2, 3 et 4 gardent toute leur importance même après le lancement du plan Juncker. En effet, les investisseurs privés n'ont souvent aucun intérêt à investir dans un bien public alors que les Pouvoirs publics y ont intérêt, notamment parce qu'ils peuvent récolter un bénéfice futur sous la forme de recettes fiscales lorsque ces investissements augmentent le potentiel de croissance de l'économie. Il est clair qu'une partie des investissements dont on parle (écoles, hôpitaux, infrastructures ferroviaires) ne peuvent être financés que sur fonds publics (ou par l'emprunt de fonds privés bénéficiant d'une garantie publique offrant aux prêteurs une protection autrement plus élevée que celle prévue dans le plan Juncker et entrant dès lors dans le périmètre de la dette du pouvoir public garant).
5. Mettre en commun des ressources et des compétences de la BEI et des banques publiques nationales (BPN).
Certaines BPN ont un bilan conséquent, de l'ordre de 20% du PIB de leur pays. Elles ont été construites sur des modèles de financement très variés, souvent en canalisant l'épargne populaire. Mais, à l'exception de la KfW et de quelques initiatives récentes, elles sont restées repliées sur "leur" territoire, ignorant les externalités transfrontalières.
Une de ces initiatives est le Fonds d'investissement Marguerite, constitué par la BEI, la CDC française, la KfW allemande, la CDP italienne, l'ICO espagnol et le PKO polonais. Il faudrait étendre cette expérience à d'autres projets communs. Et pourquoi pas au Fonds européen d'investissement ? Le FEI est actuellement une filiale de la BEI qui détient plus de 60% de son capital, le reste étant détenu par la Commission et, pour une petite part, par quelques institutions financières. Pourquoi ne pas faire entrer au capital du FEI les grandes institutions publiques nationales ? Cela présenterait au moins deux avantages : d'une part, augmenter les moyens du FEI en faveur des "start-ups" et des PME, sans mettre en œuvre des ressources budgétaires additionnelles ; d'autre part, rendre structurelle la coopération entre la BEI et les BPN en en faisant des coactionnaires.
Si cette proposition leur paraît trop ambitieuse ou si elles craignent la "domination" de la BEI, les BPN intéressées pourraient utiliser la nouvelle réglementation européenne sur les ELTIF (European long-term investment funds) et constituer entre elles un Fonds qui investirait en complément du nouveau Fonds prévu par le plan Juncker (EFSI (European Fund for Strategic Investments- voir proposition n°6). Bien entendu, pour que cette suggestion soit intéressante pour les BPN, il serait souhaitable que cet ELTIF bénéficie du même soutien du budget européen que l'EFSI, que les contributions éventuelles des Etats membres bénéficient du même traitement que leurs contributions à l'EFSI au regard des règles du Pacte de stabilité et qu'une articulation claire entre l'EFSI et cet ELTIF soit établie pour assurer que leurs interventions soient bien complémentaires.
Comme suggéré dans le plan Juncker, la BEI et les BPN pourraient aussi créer avec la Commission un "Investment Advisory Hub" en mettant en commun des expertises techniques et financières et en créant ainsi un point d'entrée centralisé pour les promoteurs de projets à la recherche d'une assistance [6]. Un site web commun à toutes les institutions participantes fournirait l'information nécessaire sur toutes les expertises disponibles. En effet, le manque de projets bien étudiés et bien structurés est une des raisons de l'insuffisance d'investissements publics. De nombreux pouvoirs publics n'ont pas la capacité de sélectionner, préparer et structurer les projets de manière à les rendre "bankable". Ce Hub pourrait les guider vers une assistance technique dans la conception et la préparation des projets et les orienter vers les sources et instruments de financement les plus appropriés.
6. Attirer des fonds privés en offrant des instruments financiers fondés sur le partage ou la garantie de certains risques.
C'est l'idée à la base des "obligations de projet" project bonds), à ne pas confondre avec les eurobonds. Une société en charge de la réalisation d'un projet d'infrastructure émet des obligations pour le financer. Pour que ces obligations atteignent le niveau de rating qui permet à des investisseurs institutionnels (compagnies d'assurance, fonds de pensions, fonds souverains, etc.) d'y souscrire, une tranche subordonnée est prise conjointement par la Commission européenne (dont le risque en "first loss" est plafonné au départ) et par la BEI (qui assume le risque résiduaire). Cette formule, que la Commission a soumise à consultation publique, a reçu des signes de vif intérêt de la part d'investisseurs institutionnels à la recherche de placements de long terme et de qualité. Encore faut-il que les nouvelles règles prudentielles de Solvency II ne découragent pas ce type de placements à long terme.
A l'initiative de l'ancien Commissaire Michel Barnier, l'entrée en vigueur de Solvency II, initialement prévue au 1er janvier 2014, a été reportée au 1er janvier 2016 et la directive a été modifiée afin d'introduire des mesures limitant l'excès de volatilité pour la détention de produits de placement jusqu'à maturité. Ces corrections sont-elles suffisantes ? Certains experts, dont Jacques de Larosière, en doutent ; ils estiment que la directive continue à pénaliser le long terme par une contrainte en capital trop forte (voir aussi proposition n° 7). En outre, les assureurs ont demandé à l'IASB, cet organisme international privé auquel l'Union européenne a délégué l'initiative en matière de normes comptables, de revoir leur récent projet de norme IFRS 4 parce que, dans sa version actuelle, elle ne refléterait pas correctement l'adossement de leurs actifs à leurs passifs et introduirait une trop grande volatilité.
La phase d'expérimentation des "project bonds", pour laquelle 230 millions ont été prévus dans le budget européen, pourrait permettre de financer 4 milliards d'investissements en infrastructures. On voit que l'effet de levier à partir d'une mise de fonds budgétaires relativement modeste est très important. Mais cette formule n'est applicable qu'aux investissements générant rapidement suffisamment de revenus pour assurer le service des "obligations de projet" (autoroute à péage, liaison ferroviaire "captive" entre un aéroport et sa métropole, etc.).
D'autres formules de partage des risques existent déjà ou pourraient être mises en œuvre dans d'autres domaines que l'infrastructure. C'est le cas en particulier de la recherche et de l'innovation. Suite à une première expérience positive avec la "Risk Sharing Finance Facility" (RSFF) qui a démontré l'intérêt du partage de risques pour le financement de projets de R&D (1,2 milliard de garantie de la Commission et de la BEI entraînant 11,3 milliards de prêts de la BEI pour 30 milliards d'investissements en recherche), la Commission et le Groupe BEI (BEI et FEI) ont décidé de lancer un programme plus ambitieux, à la fois dans sa durée (7 ans), dans sa dimension (près de 3 milliards de garanties devant entraîner plus de 18 milliards de prêts pour 48 milliards d'investissements) et dans sa portée (il pourra financer la recherche depuis les stades initiaux jusqu'à la commercialisation). A cela s'ajoute le "InnovFin SME Guarantee" géré par le FEI : celui-ci fournit des garanties et contre-garanties (9 à 10 milliards sur 7 ans) à des intermédiaires financiers pour leur permettre de financer les investissements d'innovation de PME sans que cela consomme trop de leur capital réglementaire. L'ensemble de ce programme, baptisé InnovFin, fait partie de "Horizon 2020". A nouveau, je signale l'effet de levier beaucoup plus important de ce type de programme par rapport au système traditionnel de subsides. Il est incontestable que ces nouveaux programmes basés sur le partage des risques représentent une utilisation beaucoup plus efficiente des moyens limités du budget européen. Avec un même montant, le budget européen soutient un beaucoup plus grand nombre d'investissements.
C'est sur base de ce constat que Jean-Claude Juncker propose de créer l'"(EFSI), avec une mise de fonds de 21 milliards (16 milliards récupérés au sein du budget européen et 5 milliards venant des fonds propres de la BEI). Il espère ainsi, avec un effet de levier de 1 à 15, pouvoir débloquer 315 milliards d'investissements additionnels sur l'ensemble de l'Union européenne, la BEI prêtant 63 milliards (3X21) et catalysant ainsi des financements privés pour atteindre le montant de 315 milliards (5X63). Cette initiative de la Commission tombe à point. Nous sommes en effet confrontés à la concomitance d'une surabondance de liquidités et d'un sévère rétrécissement des alternatives d'investissements. L'émission de titres représentant une alternative crédible, permettant à la fois une diversification du risque et une rémunération correcte, devrait donc être accueillie favorablement par les marchés.
Si la disponibilité de capitaux à la recherche d'un emploi productif ne fait aucun doute, le plan présenté par Jean-Claude Juncker soulève néanmoins trois questions importantes :
1° Pour avoir un impact sur l'économie, il doit s'agir d'investissements additionnels. Sera- ce bien le cas ? Une part encore non précisée des 16 milliards récupérés dans le budget européen proviendra de la "Connecting Europe Facility" et du programme Horizon 2020 ; il s'agit donc d'un transfert de moyens budgétaires déjà prévus pour supporter des instruments financiers avec un effet de levier important. Comment vérifiera-t-on qu'en les transférant dans le nouveau Fonds, ces mêmes moyens généreront un volume d'investissements nettement plus élevé ? La Commission annonce qu'elle procédera à cette vérification mais elle n'explique pas comment.
D'autre part, comment éviter que la BEI ne finance via ce Fonds des investissements qu'elle aurait de toute façon financés par ses opérations ordinaires ? Le critère doit être le degré de risque. Même si elle a bien évolué à cet égard, la BEI reste encore relativement "risk averse" de peur de perdre sa notation AAA et je comprends son souci à cet égard [7]. Mais la création de l'EFSI n'a de sens que si la BEI accepte que les 63 milliards de prêts supplémentaires soient octroyés avec un degré de risque plus élevé. Ceci devrait être possible, compte tenu de la marge de manœuvre dont dispose la BEI à la suite de la récente augmentation de son capital. A la fin 2013, la BEI avait un ratio de solvabilité, c'est-à-dire une proportion de fonds propres (58 MM.) par rapport au total des actifs pondérés par les risques, qui s'élevait à 26,1%, soit un ratio largement supérieur à celui des meilleures banques commerciales.
2° L'effet de levier - 1 à 15 - paraît fort élevé, surtout si l'on envisage de financer des investissements plus novateurs mais avec un degré de risque plus élevé. A mon avis, le facteur de 15 n'est atteignable qu'à deux conditions qui ne sont pas précisées dans le texte actuel du "Plan Juncker" :
1) Le Fonds accorde une garantie totale sur la "first loss", la première tranche de perte jusqu'à concurrence de 1/15 (soit 6,7%) du coût total de l'investissement; 2) Cette garantie est donnée aux investisseurs privés et non à la BEI ou, alternativement, comme c'est le cas pour les "project bonds", la BEI accepte de subordonner le remboursement de son cofinancement à celui procuré par le secteur privé.
Si une garantie de 6,7% est donnée aux investisseurs privés, on peut penser qu'elle rendra l'investissement plus attractif. Les experts du think tank Bruegel ont calculé que, si un projet a une probabilité de défaut de 10% et une perte attendue de 60% en cas de défaut, la garantie est équivalente à une réduction de 75 points de base du taux de retour demandé par les investisseurs pour participer à un projet risqué au lieu d'investir dans des actifs sûrs [8]. Ceci devrait avoir pour effet d'éviter un renchérissement inutile du coût des financements accordés par le secteur privé et donc une diminution de la rentabilité financière des projets.
Même si les deux conditions que j'ai mentionnées sont explicitées et appliquées, l'effet de levier annoncé sur la capacité du secteur privé reste très ambitieux.
3° Comment éviter que les investisseurs privés que l'on souhaite attirer ne privilégient les investissements dans les pays où ils se sentent plus à l'aise, où ils ont le sentiment de courir moins de risques, où ils s'attendent à une plus grande stabilité ? N'y a-t-il pas dès lors un risque de trop forte concentration dans quelques pays ? C'est un problème que la BEI a déjà rencontré avec la RSFF.
Certes le plan Juncker refuse toute pré-allocation géographique. Néanmoins, il s'agit d'un aspect auquel le comité de sélection des projets ne pourra pas rester indifférent car il ne serait pas acceptable qu'un plan européen aboutisse à accroître la fracture Nord-Sud. La cohésion économique et sociale reste un des objectifs majeurs de l'Union européenne.
7. Promouvoir la titrisation des créances de qualité des banques commerciales afin de leur permettre de prêter davantage à long terme.
Nombre d'investissements peuvent être financés par les banques commerciales. Toutefois, celles-ci atteignent vite les limites résultant des règles prudentielles, les ratios de capital imposés aux banques étant fondés sur l'idée que le long terme est nécessairement risqué. Il faut donc envisager des possibilités de titrisation de ces créances sous forme d'actifs qui pourraient être acquis par des investisseurs institutionnels à la recherche de produits d'excellente qualité et de long terme. Bien entendu, il faudra prévoir, sans doute sous la supervision de la BCE, une génération fortement standardisée de ces actifs. Il faudra aussi revoir les règles de CRD IV et de Solvency II qui pénalisent la détention de produits titrisés. En effet, si un titre de très bonne qualité n'entraîne qu'une faible contrainte en capital, tel n'est pas le cas d'un titre de même qualité mais résultant d'une titrisation, même si celle-ci a reçu l'estampille d'une Banque centrale. A qualité égale, c'est-à-dire avec une éventualité de défaut de 0,4% sur une période de plus de trois ans, sa détention coûte huit fois plus cher en capital. Ceci n'a aucune autre justification que la mauvaise réputation qui frappe la titrisation depuis le scandale des subprimes. Or, il est parfaitement possible de prévoir normes et procédures garantissant la qualité des produits titrisés. La règle devrait être : à qualité égale, charge en capital égale. Ceci me paraît tellement évident que je partage l'étonnement de spécialistes comme Jacques de Larosière (BNP Paribas) et Samir Assaf (HSBC): comment peut-on expliquer que ce verrou réglementaire (qui bloque aussi les tentatives de titrisation de portefeuilles de prêts aux PME) n'ait pas encore été levé ?
Ces sept propositions ne sont sans doute pas les plus structurantes - c'est le choix des projets qui sera déterminant à cet égard - mais elles sont, sur le plan de la technique budgétaire et financière, indispensables pour permettre la relance de l'investissement.
[1] Ce texte a été présenté initialement sous la forme d'une intervention de M. Philippe Maystadt, ancien Président de la BEI, dans le cadre d'un groupe de travail sur l'Union européenne, coanimé par Thierry Chopin et Christian Lequesne, au CERI-Sciences Po, avec le soutien du Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du ministère des Affaires étrangères et du Développement international.
[2] Il convient toutefois d'être nuancé en utilisant 2007 comme référence car une part significative de l'investissement à cette époque était liée à la bulle immobilière
[3] Même Otmar Issing le reconnaît "Public investment is seen as too low. Infrastructure shows signs of decay, streets and bridges need repair. No doubt, these and other deficiencies are strong arguments for increasing public investment" (Financial Times, 24/10/2014).
[4] "Completing the internal energy market is not just a matter of building interconnections and infrastructure, it also needs new rules. When I say rules - very specifically - we are having problems with network tariffs. The composition of tariffs should be transparent and based on common rules" (Financial Times, 14/11 2014).
[5] Voir la section 4.3 : "Reinforcing the level-playing field and eliminating barriers to investment in the Single Market".
[6] F. Dell et N. Lorach : "Les leviers d'une stratégie européenne d'investissement", France Stratégie, 2014, p. 4.
[7] Certains observateurs estiment que la BEI attache trop d'importance au maintien de sa notation AAA. Pourtant, une dégradation en AA ne serait pas sans danger : - Les obligations BEI ne seraient plus considérées comme "High Quality Liquid Asset" au sens de Bâle III et ne rempliraient plus les conditions requises par les "risk guidelines" des banques centrales. Or, les banques centrales du monde entier représentent la principale catégorie d'acheteurs d'obligations BEI. - Un grand nombre de détenteurs d'obligations BEI (450 milliards d'encours) doivent évaluer leur portefeuille "marked to market". La dégradation de la note de la BEI entraînerait une diminution de la valeur de marché de leur stock ; ils seraient souvent obligés d'en vendre une partie parce que des limites de leur gestion des risques seraient atteintes. Dans ces conditions, la possibilité de leur vendre de nouvelles émissions serait compromise. - La dimension du marché des obligations AA n'est pas connue. Il est possible que la BEI ne soit pas en mesure d'y placer 75 milliards par an. - De toute façon, une dégradation de la note de la BEI entraînerait une augmentation de son coût de financement (au moins 20 bp) et donc une augmentation du coût pour ses emprunteurs.
[8] Voir la démonstration de G. Claeys, A.Sapir et G.B. Wolff "Juncker's Investment Plan : no risk, no return" Bruegel 28 novembre 2014
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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