Démocratie et citoyenneté
Julien Zalc
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"Démocratie" fait partie de ces mots dont l'étymologie est généralement connue : il vient du grec dêmos, le peuple, et krátos, pouvoir. Le pouvoir au peuple, donc. Cependant ce mot peut avoir des significations sensiblement différentes. Parfois, il est utilisé pour désigner une forme de société ; d'autres fois, un système politique. Dans le premier cas, il désigne une société ayant pour valeurs la liberté et l'égalité. C'est l'usage qu'en fait Tocqueville, par exemple, qui s'attache au sens social du terme. Dans le deuxième cas, démocratie désigne un régime politique où le peuple est souverain. On est alors plus proche de la définition de Lincoln : "Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple". Cette distinction est importante au moment d'analyser la manière dont les citoyens européens perçoivent la démocratie dans l'Union européenne. L'Union européenne est-elle démocratique ? Si on se compare au reste du monde, la réponse semble évidente : oui, bien sûr ! Les valeurs de liberté et d'égalité sont primordiales dans l'Union, et sont d'ailleurs rappelées en préambule du TUE[2] : "(...) S'inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit". De leur côté, les institutions communautaires bénéficient d'une légitimité institutionnelle de type démocratique, quoique sous des formes différentes : par exemple, la légitimité démocratique des ministres qui siègent au Conseil, ainsi que des membres de la Commission européenne, proposés par des gouvernements issus d'un processus démocratique et, de surcroît, investis par les députés du Parlement européen, élus au suffrage universel. Pourtant, comme le montrent les analyses de l'opinion publique européenne, cette légitimité démocratique s'avère insuffisante. Dans un premier temps, notre analyse dresse un état des lieux de la perception par l'opinion publique de la démocratie dans l'Union européenne et met en évidence des résultats qui peuvent sembler paradoxaux : l'Union européenne est perçue comme démocratique, mais le fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne divise ; en outre, la très forte défiance actuelle de l'opinion publique à l'égard de l'Union européenne et de ses institutions pose la question de leur légitimité démocratique. Dans un deuxième temps, nous allons tenter de comprendre les raisons de ce paradoxe, et notamment du sentiment mitigé des Européens à l'égard du fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne. Nous verrons que les citoyens, mal informés sur les questions européennes, ont le sentiment de n'être pas écoutés par l'Union européenne, qu'ils jugent éloignée et peu transparente. Enfin, nous nous intéresserons à certaines initiatives mises en place par les institutions communautaires pour renforcer la démocratie dans l'Union européenne, en impliquant davantage les citoyens dans les prises de décisions. Bien perçues, mais peu connues, ces initiatives gagneraient en efficacité si elles étaient mieux expliquées. D'autres pistes visant à réduire la fracture démocratique de l'Union européenne seront enfin proposées.
1. LA DEMOCRATIE DANS L'UNION EUROPEENNE: ETAT DES LIEUX
a. L'Union européenne, comme espace de valeurs, est perçue comme démocratique
Pour les Européens, l'Union européenne est "démocratique". Ce terme s'applique bien à elle pour une large majorité de citoyens (60%) dans l'enquête Eurobaromètre Standard du printemps 2014[3].
Lorsqu'on analyse les différents "traits d'image" de l'Union européenne, "démocratique" est même le terme positif qui s'applique le mieux à l'Union, devant "moderne" (58%), "protectrice" (45%) et "efficace" (31%). Dans 26 Etats membres, une majorité de personnes interrogées considèrent que le mot "démocratique" décrit bien l'Union européenne, la Grèce et le Portugal étant les seules exceptions. Lorsque cette question est posée à propos du Parlement européen, on obtient un résultat comparable : dans une enquête Eurobaromètre de novembre-décembre 2012[4], 62% des Européens considèrent que le terme "démocratique" s'applique bien à lui. Le Portugal et la Grèce sont, là aussi, les deux seuls Etats membres à aller à l'encontre de l'opinion majoritaire. Et, comme pour l'Union européenne, "démocratique" est le mot positif qui s'applique le mieux au Parlement européen, devant "dynamique", et "à l'écoute des citoyens européens".
Par ailleurs, quand on leur demande quelles sont les valeurs qui représentent le mieux l'Union européenne, les citoyens européens placent la démocratie au troisième rang (30%), pas très loin derrière la paix (37%) et les Droits de l'Homme (34%).
Les citoyens européens semblent donc en phase avec l'article 2 du TUE : "L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités". La valeur démocratie est très fortement associée à l'Union, sans doute parce que la société européenne est perçue comme démocratique, surtout lorsqu'on la compare au reste du monde.
b. En revanche, le fonctionnement de la démocratie divise
Si la plus étroite des majorités se dit, au printemps 2014, satisfaite du fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne (44%), c'est plus de quatre Européens sur dix qui n'en sont pas satisfaits (43%), 13% disant n'avoir pas d'opinion sur cette question. L'opinion publique européenne est presque parfaitement partagée sur cette question. On note également que cette satisfaction est sensiblement inférieure à celle devant le fonctionnement de la démocratie dans le pays, même si cela résulte essentiellement d'un taux de "ne sait pas" plus important : 50% des Européens sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays, contre 48% "pas satisfaits", et 2% de "ne sait pas". Une analyse dans le temps montre que ce jugement sur le fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne s'est dégradé de manière importante à partir de l'automne 2009 (comme la plupart des indicateurs de soutien à l'Union).
Dans 18 Etats membres[5], la satisfaction du fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne est majoritaire, tandis que l'insatisfaction l'emporte dans les 10 Etats membres restants. On note à cet égard de fortes variations selon le moment de l'adhésion à l'UE : ainsi, dans les pays UE15[6], le fonctionnement de la démocratie dans l'UE est jugé plus sévèrement que le fonctionnement de la démocratie dans le pays, où la satisfaction l'emporte. C'est l'inverse dans les Etats membres les plus récents[7], très probablement parce que beaucoup d'entre eux ont connu, dans un passé proche, des régimes totalitaires : l'adhésion à l'Union européenne a sans doute représenté une rupture définitive avec le passé soviétique et une adhésion durable aux principes démocratiques : "La dynamique de l'élargissement s'est appuyée sur la diffusion des principes démocratiques et de l'Etat de droit ainsi que des pratiques de la démocratie constitutionnelle occidentale induite par les conditions d'adhésion posées par les traités."[8].
c. La confiance dans l'Union européenne et l'ensemble de ses institutions n'a jamais été aussi faible actuellement
S'intéresser à la démocratie dans l'Union européenne implique une analyse de la confiance des citoyens européens et ses institutions. En effet, comme le rappelle Bruno Cautrès, soutien et légitimité des systèmes politiques sont liés[9] : un système politique doit avoir le soutien d'une frange suffisante de citoyens pour que son action soit perçue comme légitime. Or cette confiance a récemment atteint ses étiages : un peu moins d'un tiers seulement des citoyens ont confiance dans l'Union (31% au printemps 2014). C'est le plus bas niveau jamais atteint par cet indicateur.
De la même manière, au printemps 2014, la confiance dans les institutions européennes est la plus faible jamais mesurée dans l'histoire de l'Eurobaromètre : 32% pour la Commission, 31% pour la Banque centrale et 37% pour le Parlement.
Une question portant sur la confiance dans les institutions européennes en général, posée juste après les élections européennes de 2009 et de 2014[10], synthétise bien la montée, ces dernières années, de cette défiance : dans l'enquête post-électorale de 2009, un Européen sur deux disait faire confiance aux institutions de l'Union (50%, contre 40% qui n'avaient pas confiance). En cinq ans, la situation s'est inversée, et c'est désormais une majorité absolue d'Européens qui ne font pas confiance aux institutions européennes (52%, contre 43%).
Avec de tels niveaux de confiance, c'est la légitimité et le fonctionnement démocratiques de l'Union européenne en tant que système politique qui sont remis en cause. Il existe donc un certain paradoxe entre, d'une part, l'Union européenne perçue comme démocratique, et de l'autre, un fonctionnement de la démocratie en Europe qui divise l'opinion publique, avec des niveaux de confiance qui posent la question de la légitimité démocratique de l'Union européenne. Comment expliquer de tels résultats ?
2. L'UNION EUROPEENNE ET SES CITOYENS : UN MANQUE D'INFORMATION, LE SENTIMENT QUE LEUR VOIX NE COMPTE PAS ET UN FOSSÉ QUI SE CREUSE
Plusieurs raisons contribuent à expliquer cette division de l'opinion publique européenne sur le fonctionnement de la démocratie au sein de l'Union européenne.
a. Le mauvais niveau d'information sur les questions européennes participe au sentiment que la démocratie fonctionne mal
Les Européens se sentent très mal informés sur les questions européennes : à l'automne 2013[11], 73% estiment que dans leur pays, les gens ne sont pas bien informés sur les questions européennes (contre 23% "bien informés") ; plus des deux tiers se jugent même personnellement mal informés (69% contre 29%). Or, plus on est informé, plus on est satisfait du fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne, comme le démontre le tableau suivant. Le faible niveau d'information des citoyens sur les questions européennes participe au sentiment que le fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne n'est pas satisfaisant.
b. Une majorité d'Européens pensent que leur voix ne compte pas dans l'UE
Malgré une très forte baisse de cette proportion, conséquence attendue des dernières élections européennes des 22-25 mai 2014 (-14 points de pourcentage dans l'Eurobaromètre Standard du printemps 2014 réalisée quelques jours après le scrutin européen), plus de la moitié des Européens considèrent que leur voix ne compte pas (52%, contre 42% qui estiment que leur voix est prise en compte). Si on met de côté cette dernière mesure du printemps 2014, fortement influencée par la proximité des élections, ce sont alors deux tiers d'Européens environ qui considèrent que leur voix n'est pas prise en compte (proportions variant entre 63% et 66% entre l'automne 2011 et l'automne 2013).
Cette opinion varie fortement d'un pays à l'autre : dans 16 Etats membres[12], une majorité de personnes interrogées estiment que leur voix ne compte pas. L'opinion inverse est majoritaire dans 12 pays. Le Parlement européen, pourtant perçu comme "démocratique", n'est jugé "à l'écoute des citoyens européens" que par un peu plus d'un tiers des Européens (35% en novembre-décembre 2012), tandis qu'une majorité absolue d'entre eux n'est pas d'accord avec cette proposition (55%). Cette perception, par les citoyens, de la manière dont ils sont écoutés par le Parlement européen s'est fortement dégradée ces dernières années : dans l'enquête post-électorale de 2014, 54% des personnes interrogées trouvent que le Parlement ne prend pas "bien en compte les préoccupations des citoyens européens" (contre 38%). La situation s'est inversée depuis 2009, où une majorité de citoyens considéraient que le Parlement européen prenait bien leurs préoccupations en compte (46% contre 41%).
Ce sentiment de n'être pas écouté par l'Union européenne et ses institutions est partagé par plus de la moitié des Européens. C'est certainement l'un des éléments majeurs qui explique ce fort scepticisme de l'opinion publique européenne sur le fonctionnement de la démocratie dans l'Union. Ne se sentant pas écoutés, les citoyens ont le sentiment que les décisions se prennent sans eux voire contre eux.
c. L'Union européenne est perçue comme lointaine, éloignée des citoyens
En corollaire de cette perception d'une Europe sourde aux préoccupations et aux aspirations des Européens, apparaît celle d'une Europe déconnectée des citoyens. Plus de la moitié d'entre eux considèrent en effet que le terme "éloignée" décrit bien l'Union européenne (55% dans l'Eurobaromètre Standard du printemps 2014, contre 31% d'un avis contraire).
Cette impression d'éloignement est encore renforcée par l'idée que le fonctionnement de l'Union européenne manque de transparence : en 2011, interrogés sur cette question[13], seuls 9% des Européens jugent "satisfaisante" la transparence de l'administration de l'Union ; 25% la jugent "moyennement satisfaisante", et 42% "pas satisfaisante".
Les citoyens Européens ont le sentiment de n'être pas entendus par l'Union européenne, car ils considèrent qu'elle est loin d'eux et de leurs préoccupations, et qu'elle fonctionne de manière opaque. Dans ce contexte, il est logique qu'ils hésitent à donner un satisfecit au fonctionnement de la démocratie européenne.
3. COMBLER LE FOSSÉ AVEC LES CITOYENS : QUELQUES PISTES
a. Des initiatives qui vont dans le bon sens, mais qui sont mal connues
Les institutions européennes semblent décidées à combler le fossé, actuellement profond, avec les citoyens. C'est une condition nécessaire pour que leurs décisions soient mieux comprises et acceptées par la population européenne. Plusieurs initiatives ont été mises en place, ces dernières années, comme autant de passerelles pour rapprocher les citoyens de leurs institutions. Intéressons-nous à trois d'entre elles : l'initiative citoyenne européenne, les dialogues citoyens, et les modalités nouvelles de désignation du Président de la Commission européenne. L'initiative citoyenne européenne, introduite par le Traité de Lisbonne, permet à un million de citoyens européens d'appeler la Commission européenne à soumettre une proposition sur un sujet relevant des domaines de compétence de l'Union européenne. Cette proposition vise à mettre les citoyens au coeur du processus décisionnel : en se regroupant, ils peuvent en effet influer sur la législation européenne. Le problème est que cette "initiative citoyenne" est mal connue des Européens. En juin 2012, quelques mois après son entrée en vigueur, un peu plus d'un quart des Européens en ont déjà entendu parler (26%) [14]. Dans le détail, 5% seulement savent ce dont il s'agit, et 21% ne savent pas vraiment ce que c'est.
Pourtant, après explication, elle est jugée positivement par l'opinion publique européenne deux tiers des Européens estiment que c'est une manière efficace de faire participer directement les citoyens européens aux décisions européennes (66% contre 23%, en juin 2012), même si elle leur semble difficile à mettre en oeuvre (il sera difficile de réunir 1 million de citoyens dans les Etats membres, 62%, contre 30%).
Est-ce cette difficulté perçue qui les décourage ? Seuls 21% des Européens jugent probable, dans l'Eurobaromètre Standard de l'automne 2013, de faire usage de l'Initiative citoyenne (contre 69%).
Les dialogues citoyens ont été lancés par la Commission européenne à l'occasion de l'Année européenne des citoyens, en 2013. Pendant un an et demi, 51 événements ont été organisés dans tous les pays de l'Union : les citoyens étaient invités à discuter avec des personnalités politiques des mesures à prendre pour "renforcer les structures démocratiques de l'Union". Le site Internet de la Commission européenne[15] présente l'événement de la manière suivante : "les dialogues avec les citoyens - votre voix compte en Europe" ; l'Union semble ainsi décidée à montrer aux Européens qu'elle est à leur écoute. Interrogés récemment sur ces dialogues citoyens dans le cadre d'une enquête qualitative[16], une large majorité des participants disent n'en avoir jamais entendu parler. Ils se montrent cependant généralement positifs à l'égard de ce projet, notamment parce que c'est selon eux un bon moyen de renforcer la proximité avec l'Union, comme l'illustre ce verbatim extrait d'un groupe de discussion[17].
Le processus de désignation du Président de la Commission a été modifié lors des dernières élections européennes : pour la première fois, les citoyens pouvaient, par leur vote, participer indirectement à la désignation du Président de la Commission européenne. La campagne de communication du Parlement européen avant les élections mettait l'accent sur ce changement institutionnel : "this time, it's different"[18]. Après qu'on leur ait expliqué ce qui allait changer, les Européens se montrent là aussi assez enthousiastes à l'égard de ce changement : en mars 2014[19], juste avant les élections, plus de la moitié d'entre eux y sont favorables (51%, contre 26% opposés), et cette opinion est majoritaire dans tous les Etats membres.
Dans un Eurobaromètre de juin 2013[20], les raisons évoquées pour justifier ce soutien indiquent que cette initiative est perçue comme renforçant la démocratie dans l'Union européenne : "les décisions européennes seraient plus légitimes aux yeux des Européens" (32%), et "cela renforcerait la démocratie au sein de l'Union" (30%) sont les deux premières réponses citées. Dans cette même enquête, les Européens souhaitent même qu'on aille plus loin et que dans un futur proche, le Président de la Commission européenne soit directement élu par les citoyens européens (70%, contre 17%).
Avec ces différentes initiatives, l'Union européenne tente d'impliquer davantage les citoyens dans la vie politique européenne et d'accroître leur rôle dans les prises de décisions. En développant la démocratie participative, elle cherche à répondre à la demande des Européens d'être davantage écoutés.
b. Comment répondre aux attentes en matière d'amélioration du fonctionnement de la démocratie dans l'Union européenne ?
Ces différentes initiatives européennes vont dans le bon sens pour les citoyens qui les perçoivent plutôt de manière positive. Elles restent cependant peu connues, ce qui nuit à leur efficacité. Cela renvoie à la question du déficit d'information sur les questions européennes précédemment mis en avant. C'est la première piste à aborder pour réduire le fossé entre l'Union et ses citoyens.
Une information plus claire, plus efficace
Informer, et communiquer, donc. Davantage ? Peutêtre. Mais surtout différemment, plus efficacement. Les différentes enquêtes Eurobaromètre sont formelles à cet égard : une très large majorité des Européens estiment que : "l'Union européenne a besoin d'un message plus clair" (79% au printemps 2014)[21]. Cette demande de clarté et de simplification ressort également de l'enquête qualitative "La promesse de l'UE" :
Le choix du médium utilisé a aussi son importance : la télévision est souvent privilégiée, car c'est la meilleure manière de toucher le plus grand nombre. Mais est-ce pour autant le média le plus pertinent ? Certains participants à l'enquête qualitative souhaitent que l'Union européenne communique davantage sur Internet.
Davantage d'interaction avec les citoyens
Davantage d'interaction avec les citoyensInternet, grâce notamment aux réseaux sociaux, permet également de répondre à l'une des demandes formulées dans les groupes de discussion : davantage d'interaction avec l'Europe. Certains participants estiment que les forums de discussion sur Internet devraient être utilisés pour communiquer certaines décisions importantes. D'autres réclament également que leurs députés européens soient plus visibles, plus présents.
Cette demande d'interaction conduit à un autre élément important pour renforcer la démocratie européenne : la nécessité d'une plus forte incarnation de l'Union.
Donner un visage à l'Union européenne
On manque de données quantitatives pour le mesurer, mais il est évident que la difficulté qu'ont les citoyens à "mettre des visages sur l'Europe" participe grandement à cette image d'une Union lointaine, complexe, voire obscure. Une nouvelle équipe vient d'être désignée à la Commission européenne : un nouveau Président (Jean-Claude Juncker), une nouvelle Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (Federica Mogherini), et de nouveaux Commissaires proposés par la plupart des Etats membres. Cela crée une réelle opportunité de faire connaître les dirigeants européens aux citoyens. Pourquoi ne pas imaginer un "tour d'Europe médiatique" de Jean- Claude Juncker, Frans Timmermans (premier Viceprésident), Federica Mogherini ? Cela permettrait à de nombreux Européens de mettre, enfin, des visages sur les dirigeants européens.
Tenir les engagements pris, et renforcer la transparence
Pour être crédibles, les initiatives européennes visant à renforcer la démocratie participative devraient s'appliquer de manière systématique, qu'elles aillent, ou non, dans le sens des intérêts des institutions européennes et des Etats membres. Deux exemples à cet égard : la Commission européenne a récemment rejeté une l'initiative citoyenne européenne sur le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP). Même si elle justifie sa décision par des raisons institutionnelles, cela a pu donner l'impression que pour avoir une chance d'aboutir, il était préférable qu'une initiative citoyenne européenne aille dans le sens de la politique menée par les institutions européennes. Autre exemple : après les élections européennes de mai 2014, il semblait acquis que Jean-Claude Juncker, le candidat du parti arrivé en tête (PPE), serait le prochain Président de la Commission européenne. Pourtant, en raison notamment de la franche opposition du Royaume-Uni, cette désignation a semblé, pendant quelques jours, incertaine. Là encore, ces tergiversations ont pu donner l'image d'une Union peu transparente, où les décisions se prennent en fonction des intérêts des Etats membres, sans tenir compte de la voix des citoyens. Les exemples des referendums de 2005 en France et aux Pays-Bas sont souvent utilisés par les eurosceptiques voire les europhobes pour stigmatiser une Europe qui se ferait, selon eux, sans, voire contre les citoyens. Pour combattre cette opinion, l'Union européenne se doit d'être exemplaire et de tenir les engagements qu'elle prend.
CONCLUSION
Si les Européens considèrent majoritairement que l'Union européenne est "démocratique", ils sont divisés au moment de juger la manière dont la démocratie fonctionne dans l'Union. Comme si les citoyens, convaincus que la société européenne est démocratique, l'étaient nettement moins par le caractère démocratique de l'Union en tant que système politique. Par ailleurs, les faibles niveaux de confiance des Européens dans l'Union et ses institutions posent la question de leur légitimité démocratique. Pour de nombreux Européens, l'Union européenne est déconnectée de sa population : ils estiment que leur voix ne compte pas dans l'Union, qu'ils jugent éloignée et peu transparente. Cela semble confirmer l'existence d'une fracture démocratique au sein de l'Union européenne. Fracture qu'il est important de résorber, ou du moins de réduire : l'Union a besoin de recréer du lien avec ses citoyens, de retrouver une légitimité démocratique, pour que ses décisions soient mieux comprises, acceptées et soutenues par la population. Les institutions communautaires ont engagé, ces dernières années, un certain nombre d'initiatives à cette fin. Lorsqu'elles sont expliquées aux Européens, ces actions recueillent généralement un accueil très favorable. Elles vont dans la bonne direction, mais souffrent d'un manque de notoriété qui nuit à leur efficacité. Un travail d'explication s'impose donc, l'information et la communication ont un rôle important à jouer à cet égard. Cependant, il semble nécessaire de modifier la manière d'informer et de communiquer. Il faut simplifier et clarifier les messages, pour qu'ils soient compris par le plus grand nombre, et éviter de donner l'impression que l'Union ne s'adresse qu'aux élites. Il faut également davantage utiliser des médias permettant aux citoyens d'interagir avec leurs institutions. Donner de l'information, certes, mais également montrer qu'on est à l'écoute des Européens. Ce travail sur la communication et l'information est essentiel, mais pas suffisant. L'Union européenne doit également démontrer qu'elle tient ses promesses et ses engagements, et que ses décisions s'appliquent de la même manière, pour tous, et dans tous les cas. Mais surtout, il faut incarner l'Union. Lui donner un visage. Les bénéfices seraient nombreux : permettre de recréer du lien entre l'Union et les citoyens ; combattre l'image d'une Union opaque, voire mystérieuse ; ou encore renforcer la force et la portée du discours européen. La nouvelle Commission présidée par Jean- Claude Juncker semble avoir conscience de ces enjeux : son programme s'intitule "Un nouvel élan pour l'Europe : mon programme pour l'Emploi, la Croissance, l'Equité et le Changement démocratique". Ce changement d'équipe représente une réelle opportunité de modifier les choses, en plaçant encore davantage le citoyen au coeur de l'Union. Elle doit saisir cette chance et réduire durablement la fracture démocratique européenne.
[1] Cette étude a été présentée le 14 novembre 2014 lors de la conférence "les Conseils economiques et sociaux face aux attentes de la société civile européenne".
[2] Traité sur l'Union européenne
[3] Standard Eurobaromètre du printemps 2014, juin 2014 : http://ec.europa.eu/ public_opinion/archives/eb/ eb81/eb81_publ_fr.pdf
[4] Enquête Eurobaromètre "Parlemètre", novembredécembre 2012 : http:// www.europarl.fr/fr/ ue_et_vous/eurobarometre/ eurobarometres_2012/ parlemetre_eb78.html
[5] Pologne, Malte, Lituanie, Danemark, Estonie, Roumanie, Lettonie, Bulgarie, Belgique, Luxembourg, Croatie, Irlande, Finlande, Suède, Slovénie, Pays-Bas, République tchèque, Hongrie.
[6] Etats membres de l'UE avant 2004 : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Finlande et Suède.
[7] Etats Membres ayant adhéré à l'UE depuis 2004 : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovénie, Slovaquie, Bulgarie Roumanie et Croatie.
[8] Thierry Chopin, "L'Union européenne : une démocratie sans territoire ?", Séminaire "Démocratie: déterritorialisation et reterritorialisation" Sorbonne Paris Cité/Cévipof, Sciences Po, 14 février 2014 ; à paraître dans la revue Cités, PUF.
[9] Bruno Cautrès, Les Européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? Réflexeeurope, La documentation française, 2014.
[10] Enquête post-électorale 2014, juin 2014. http:// www.europarl.europa.eu/ pdf/eurobarometre/2014/ post/post_2014_survey_ analitical_overview_fr.pdf
[11] Standard Eurobaromètre de l'automne 2013, novembre 2013 : http:// ec.europa.eu/public_ opinion/archives/eb/eb80/ eb80_publ_fr.pdf
[12] Chypre, Grèce, République tchèque, Lettonie, Italie, Estonie, Espagne, Royaume-Uni, Portugal, Irlande, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Slovénie, Lituanie, Pologne.
[13] Eurobaromètre spécial, Le Médiateur européen, février 2011 : http:// www.europarl.europa.eu/ pdf/eurobarometre/2011/ ombudsman/rappo eux considèrent en effet que le terme "éloignée rt_fr.pdf
[14] Eurobaromètre special, "A deux ans des élections européennes de 2014", juin 2012 : http://www. europarl.europa.eu/ aboutparliament/fr/00191b53ff/ Eurobarom%C3%A8tre. html?tab=2012_4
[15] http://ec.europa.eu/ debate-future-europe/ index_fr.htm
[16] Enquête qualitative : "La promesse de l'UE" : tous les verbatim utilisés dans cette analyse sont extraits de cette enquête.
[17] "Finlande, 35+, neutre" : indique que le verbatim est extrait d'un groupe réalisé en Finlande, que le participant était âgé de plus de 35 ans, et qu'il avait une attitude neutre à l'égard de l'UE.
[18] Cette fois, c'est différent.
[19] Eurobaromètre spécial "Les Européens en 2014", mars 2014 : http://ec.europa.eu/ public_opinion/archives/ebs/ ebs_415_en.pdf
[20] Eurobaromètre spécial "A un an des élections européennes de 2014", juin 2013 : http://www.europarl. europa.eu/aboutparliament/ fr/00191b53ff/ Eurobarom%20tre. html?tab=2013_3 Dans cette enquête, le soutien pour la désignation d'un candidat par les familles politiques pour les élections européennes était de 55% (contre 36%).
[21] Eurobaromètre Standard du printemps 2014, EB81
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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