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L'Union européenne face aux défis de l'extrémisme identitaire

Démocratie et citoyenneté

Magali Balent

-

12 juillet 2010

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Balent Magali

Magali Balent

L'Union européenne face aux défis de l'extrémisme identitaire

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Introduction

 

Les récents scrutins électoraux européens ont révélé la persistance de l'extrême droite dans de nombreux pays d'Europe [1]. Les exemples de la France, de l'Italie, de la Bulgarie, de la Hongrie et des Pays-Bas confirment son ancrage sur la scène politique européenne.

La définition du terme d'" extrême droite " ou d'" extrémisme de droite ", peine à faire consensus dans la communauté érudite [2], si bien qu'il est difficile d'arriver à un accord sur les critères permettant d'accoler cette étiquette polémique à des partis qui la refusent au demeurant. Pierre-André Taguieff a pourtant proposé une définition satisfaisante. Précisant que cette expression amalgame plusieurs traditions et sensibilités politiques apparues depuis la Révolution française, il la définit comme " le nationalisme xénophobe à base ethnique, fondé sur le principe du déterminisme biologico-racial ou historico-culturel, dont la xénophobie anti-immigrés représente la traduction politique la plus visible. Il s'articule souvent avec la diabolisation des élites et le recours à la théorie du complot " [3]. Cette tradition politique se retrouve aussi sous le terme de " national-populisme ". Ainsi définie, l'expression s'applique aux partis politiques européens situés à l'extrême droite de l'échiquier politique. Nombre d'entre eux ont des députés européens qui siègent soit chez les " non-inscrits " (21 députés sur les 27 qui composent le groupe, appartiennent à des partis d'extrême droite), soit au groupe " Europe, libertés, démocratie " (17 députés sur 32).

En outre, cette définition permet de focaliser l'attention sur la dimension identitaire du discours d'extrême droite en Europe, qui explique largement sa dynamique actuelle que les motivations socio-économiques ne peuvent à elles seules justifier. Elle permet également de mieux comprendre en quoi cette doctrine constitue un défi pour l'Union européenne, dont elle diabolise le projet et les intentions. Il n'est certes pas contestable que " les périodes de crise favorisent les réflexes de repli, les opinions xénophobes, les sentiments hostiles à l'immigration " [4]. Il faut cependant dépasser cette seule explication pour mieux comprendre la persistance du phénomène extrémiste dans le paysage politique européen depuis 30 ans. Sinon, comment expliquer que les populismes de la " nouvelle Europe " se soient développés précisément au moment où ces pays connaissaient une forte croissance économique lors de leur intégration à l'Union européenne [5] ? Comment comprendre le succès retentissant en Suisse, pays qui au demeurant ne subit guère la crise économique [6], de l'Union Démocratique du Centre (UDC) qui, aux dernières élections fédérales en 2007, a recueilli 29% des suffrages avant de parvenir en septembre 2009 à faire adopter par 57% de l'électorat une votation sur l'interdiction de construction des minarets ? Comment interpréter le succès du Parti pour la liberté (PVV) du Néerlandais Geert Wilders, arrivé en 3e position derrière les libéraux du VVD et les travaillistes du PvdA aux élections législatives du 9 juin dernier, dans un pays où l'impact de la crise sur la population est resté limité [7] ? La persistance du phénomène d'extrême droite ne serait donc pas tant l'expression d'une révolte conjoncturelle des perdants de la crise et de la modernisation économique, que le reflet plus profond d'une montée des revendications identitaires face aux défis socioculturels lancés par la mondialisation, à laquelle l'extrême droite associe étroitement l'Union européenne. Finalement, l'extrémisme de droite européen avec sa demande d'ordre et son refus de certaines évolutions traduirait d'abord " une attitude, celle de l'homme européen qui se sent menacé dans son identité et sa traditionnelle domination du monde " [8].

 

I- Etat des lieux de l'enracinement de l'extrémisme identitaire en Europe

 

1.1.  Du succès des partis d'extrême droite....

 

Les récents succès électoraux de l'extrême droite en Europe peuvent être analysés comme un nouveau témoignage de l'enracinement durable de ce courant politique en Europe dès les années 80. En effet, depuis la percée du Front national français aux élections municipales partielles de Dreux en septembre 1983, puis aux élections européennes de juin 1984 lors desquelles la liste FN totalise 11% des voix en France et fait entrer 10 députés au Parlement européen, l'extrémisme de droite s'est répandu progressivement en Europe occidentale, puis en Europe centrale et orientale, où l'adhésion à l'Union européenne a contribué à son essor. Le parti Samoobrona, qui se posait en champion des intérêts polonais face à Bruxelles, a ainsi obtenu 12% des voix aux élections législatives de septembre 2005, tandis que le parti Ataka en Bulgarie est arrivé en deuxième position à l'élection présidentielle d'octobre 2006 avec 21,5% des suffrages. Par ailleurs, il est important de souligner que plusieurs de ces mouvements d'extrême droite sont parvenus à entrer dans des gouvernements de droite au sein de leur pays respectif. Ce fut le cas en Italie, où l'Alliance Nationale de Gianfranco Fini et la Ligue du Nord d'Umberto Bossi ont rejoint le gouvernement de Silvio Berlusconi dès 1996 puis à nouveau en 2006 ; en Autriche, où le Parti de la liberté (FPÖ) a formé une coalition " noire-bleue " le 4 février 2000 avec la droite conservatrice de l'ÖVP, après avoir obtenu 27% des suffrages aux élections législatives de 1999 ; en Pologne, où les chefs des deux partis d'extrême droite, Samoobrona et la Ligue des familles (LPR) sont entrés dans le gouvernement Marcinkiewicz en mai 2006. Dans certains pays européens, les partis d'extrême droite sont désormais les premières ou deuxièmes forces du pays. C'est le cas de l'UDC en Suisse, qui compte 55 sièges sur 200 au Conseil National ; ou de la Norvège, où le parti du progrès (FrP) est arrivé en deuxième position aux élections législatives de septembre 2009 derrière les travaillistes, avec 22,9% des voix [9].   

 

Les élections européennes de juin 2009 ont constitué un nouveau témoignage de l'implantation durable de l'extrême droite en Europe. Celle-ci a en effet réalisé un score à deux chiffres dans sept Etats membres (Pays-Bas, Belgique, Danemark, Hongrie, Autriche, Bulgarie et Italie), et une performance entre 5 et 10% dans six autres Etats (Finlande, Roumanie, Grèce, France, Royaume-Uni et Slovaquie). Autre signe marquant, l'extrême droite a prospéré dans des pays où elle n'avait jusque-là guère réussi à percer. C'est le cas du Parti national britannique (BNP) et de l'Alerte populaire orthodoxe (LAOS) en Grèce qui sont parvenus à faire élire, chacun, deux députés européens. Dans l'ensemble, il convient de souligner la relative stabilité des scores de l'extrême droite aux élections européennes entre 2004 et 2009, puisqu'elle compte 38 députés européens contre 32 dans la précédente législature.   

 

Les scores conséquents de l'extrême droite européenne ont enfin été confirmés à l'occasion des dernières élections qui se sont déroulés dans différents Etats membres en 2010. En France, le FN de Jean-Marie Le Pen a opéré une remontée significative aux élections régionales de mars dernier, obtenant en moyenne 17,8% des suffrages au soir du second tour dans les 12 régions où il était parvenu à se maintenir. La Ligue du Nord d'Umberto Bossi a conforté ses positions lors des dernières élections régionales italiennes de mars dernier, en obtenant 12,7% des voix au niveau national, et en remportant deux régions parmi les plus riches du pays, la Vénétie et le Piémont. En Autriche, la candidate du FPÖ, Barbara Rosenkranz, est arrivée en deuxième position à l'élection présidentielle du 24 avril avec 15,62% des voix. Le parti Jobbik a opéré une percée significative lors des élections législatives du 25 avril en Hongrie, en se hissant à la troisième place (16,7%), derrière les partis FIDESZ et MSZP, tout comme le PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, qui est arrivé en troisième position aux élections législatives du 9 juin dernier, devenant ainsi une force incontournable dans les tractations qui se déroulent pour la formation du futur gouvernement.

 

1.2. ... à la récupération de leur discours par les droites traditionnelles

 

En outre, le succès que ses thématiques rencontrent auprès des partis de droite traditionnelle atteste la perméabilité idéologique de ces derniers. Ce phénomène, expliquant comment des alliances gouvernementales tactiques entre droite modérée et extrême droite [10] ont pu parfois se nouer, s'observe tout particulièrement dans les pays de l'ex-bloc soviétique où la nostalgie nationaliste et l'affirmation identitaire s'épanouissent de nouveau. Ainsi, la décision en mai dernier du nouveau Premier ministre hongrois et Président de la Fidesz, Viktor Orban, d'offrir la nationalité hongroise aux minorités magyarophones vivant dans les pays frontaliers de la Hongrie, atteste de cette proximité idéologique. En effet, la réunification de la nation hongroise démantelée en 1920 par le Traité de Trianon, qui amputa la Hongrie des deux tiers de son territoire passé sous domination roumaine et slovaque, est au coeur du programme de politique étrangère du parti d'extrême droite Jobbik, qui se présente comme le porte-parole du droit à l'autodétermination des communautés hongroises [11]. Le même phénomène a pu s'observer en Pologne où le défunt Président, Lech Kaczynski (2005-2010), avait fait siennes certaines des thématiques de la Ligue des familles (LPR), notamment celle dénonçant l'attitude des associations d'Allemands descendants des expulsés de Poméranie, accusés de vouloir récupérer la propriété des maisons de leurs ancêtres [12].

 

En matière de captation idéologique, les droites classiques de la " vieille Europe " ne sont pas en reste. On se souvient du " siphonage " d'une partie de l'électorat du FN en 2007 par Nicolas Sarkozy, alors candidat à l'élection présidentielle, grâce à la récupération des thématiques sécuritaires et migratoires du FN. Ainsi, lors d'un meeting à Toulon le 7 février 2007, il stigmatisait " ceux qui haïssent la France et son histoire, [...] ceux qui n'éprouvent envers elle que de la rancoeur et du mépris ", ajoutant que " personne n'est obligé de vivre en France contre son gré " [13]. Récemment, dans le cadre de la campagne législative du 6 mai dernier au Royaume-Uni, David Cameron a défendu la mise en place de quotas pour les immigrés non européens, " prenant en compte les conséquences qu'entraîne une augmentation de ces populations sur les services publics et les communautés locales " [14] ; un thème cher au BNP. C'est encore sur le même registre que le chef de file des libéraux néerlandais, Mark Rutte, vainqueur des élections législatives du 9 juin dernier, a voulu capter une partie de l'électorat du leader extrémiste Geert Wilders, en proposant de refuser aux immigrants défavorisés l'entrée sur le territoire national, et de cesser d'accorder aux immigrés le revenu minimal d'insertion, au cours des dix premières années de leur installation aux Pays-Bas [15].

 

Cet emprunt au discours extrémiste permettant de marginaliser un temps les partis extrêmes traduit à sa manière une banalisation de ces thématiques du fait de la séduction exercée par le " modèle de la société fermée ", incarné par l'extrême droite [16]; un modèle qui s'oppose en tous points au projet de " société ouverte " émancipée du cadre national, convaincue des bienfaits de la mondialisation et du processus d'intégration européenne, ainsi que de l'avènement des sociétés multiculturelles. Au contraire, le modèle de la " société close " repose sur la conviction que seule l'homogénéité ethnique des nations garantit leur survie et leur coexistence, et qu'il faut alors se recentrer sur le cadre national en se préservant du monde extérieur, " domaine illimité de toutes les peurs et de toutes les transgressions " [17]. Ce modèle revendiqué par les partis d'extrême droite européens s'appuie donc sur un discours défensif qui fait de la conservation de l'identité nationale la substance de sa rhétorique.

 

II- La substance du discours extrémiste : le nationalisme identitaire

 

2.1. Un nationalisme fermé d'exclusion

 

Le nationalisme des partis d'extrême droite européens renvoie à un " nationalisme fermé " [18]. Cette idéologie politique moderne revendique la défense inconditionnelle de l'identité nationale supposée menacée de l'intérieur comme de l'extérieur. Elle est fondée sur la conviction de l'existence d'un devoir des peuples à demeurer eux-mêmes, et sur la peur du métissage qui ne peut conduire qu'à l'altération des qualités innées de ce peuple et à sa mort programmée. Elle puise sa réflexion dans le postulat que l'identité est héritée et intangible, et ne se construit pas dans l'échange, mais s'affermit plutôt dans l'affrontement. Elle focalise ainsi son discours sur l'invasion étrangère et une rhétorique anti-immigrés, ces derniers étant accusés de vouloir imposer leur propre identité au mépris des spécificités culturelles du pays d'accueil. Cette idéologie repose donc sur une vision " ethnique " et non " politique " (ou " civique ") de la nation, qui valorise l'ascendance commune des individus, façonnant leur identité culturelle et déterminant leur façon d'être, tandis que la nation " politique " ambitionne de transcender " par la citoyenneté [et la volonté des hommes] les enracinements concrets " [19]. Jean-Marie Le Pen exprime cette dimension ethnique de la nation lorsqu'il la compare à une communauté close composée d'" héritiers d'un patrimoine immense, intellectuel, artistique, juridique, social, qui a été constitué, non par nous, mais, [...] par le travail, les efforts, les souffrances des générations qui nous ont précédés et que nous avons le devoir sacré de transmettre à nos enfants et à ceux qui naîtront d'eux " [20].

 

Les facteurs expliquant la séduction exercée en Europe par ce nationalisme clos et exclusif varient selon les situations nationales. Pour certains pays, il est possible de parler d'un " extrémisme de la prospérité " [21]. Cette logique s'observe notamment en Belgique flamande, aux Pays-Bas, en Suisse ou en Italie du Nord. Ici, la réaction identitaire s'explique par l'inquiétude réelle ou fantasmée que provoque l'arrivée massive d'immigrés sur le sol national, perçue comme une menace pour la prospérité économique relative du pays et un risque de déclassement. A cela s'ajoute le " syndrome du petit pays " arc-bouté sur la préservation de son identité qu'il craint de voir disparaître et submergée par la " déferlante migratoire ". Pim Fortuyn, ancien leader du Vlaams Blok aux Pays-Bas, avait fait part de cette inquiétude en déclarant que les Pays-Bas étaient " pleins ". Pour d'autres pays, il est plus approprié de parler d'un " nationalisme des exclus ", comme en France et en Autriche, où la réaction identitaire et xénophobe concerne plus particulièrement les classes populaires et ouvrières qui vivent l'immigration comme une concurrence, dans un contexte économique et social difficile, et militent pour que les bénéfices de l'Etat providence soient réservés aux seuls " nationaux ". A cet égard, il n'est que de vérifier l'origine socio-professionnelle des électeurs qui ont voté en faveur du FN aux dernières élections régionales, pour s'apercevoir que ce parti est un parti ouvrier [22]. En Autriche, le FPÖ a recueilli jusqu'à 50% des voix ouvrières aux élections d'octobre 1996. En Scandinavie, la poussée récente de l'extrême droite identitaire est le résultat du choc provoqué par l'arrivée de populations d'origine musulmane dans des sociétés longtemps demeurées ethniquement et culturellement homogènes, et habituées à vivre en vase clos. Dès lors, le débat public accorde désormais une place croissante à la dérive multiculturelle et à la menace que cette dernière fait peser sur la perpétuation de l'identité des nations scandinaves. Les derniers sondages effectués en Norvège avant les élections législatives de septembre 2009 sont révélateurs des préoccupations principales des Norvégiens : la sécurité dans les écoles, eu égard à la difficile intégration des jeunes issus de l'immigration non-européenne (Somaliens et Pakistanais) arrivait en tête devant les enjeux environnementaux, la santé et le chômage [23]. Enfin, le nationalisme identitaire qui sévit dans les pays d'Europe centrale et orientale s'appuie sur la stigmatisation des minorités nationales (Roms, Tsiganes et Turcs) jugées inassimilables dans des Etats longtemps tenus en sujétion sous l'ère soviétique, et qui revendiquent le droit du sang, entreprenant de se recentrer sur leur communauté ethnique d'origine en référence à un passé idéalisé et mythifié.

Ainsi, quelles que soient les situations nationales, les crispations identitaires, attestant d'une réaction défensive face à l'évolution démographique des sociétés européennes, constituent la pierre angulaire du discours des partis extrémistes de droite. Elles reflètent la peur d'une dénaturation de l'identité nationale au contact des populations étrangères et l'angoisse de disparaître.

 

2.2. Est versus Ouest ?

 

Il est possible d'envisager plusieurs versions du nationalisme identitaire permettant de distinguer les partis extrémistes d'Europe occidentale et ceux d'Europe centrale et orientale. Selon Dominique Schnapper, qui a travaillé sur l'idée moderne de nation, cette différence relèverait de l'inégal achèvement du processus de construction des Etats-nations. Ainsi en Europe occidentale, la prise de conscience nationale a souvent précédé la construction de l'Etat, tandis que l'unité politique et culturelle s'est faite progressivement, participant ainsi à l'enracinement d'une conscience historique commune et permettant la mise en place d'Etats-nations stables et homogènes. Ce processus s'observe en France, au Royaume-Uni et en Espagne. Il est possible d'y inclure l'Italie et l'Allemagne, où la conscience nationale a pu aussi s'épanouir grâce au sentiment de partager une culture et un passé communs, en dépit d'une construction étatique qui s'est imposée tardivement au XIXe siècle. En Europe centrale et orientale, la construction des Etats s'est faite beaucoup plus brutalement après le démantèlement des Empires multinationaux, s'imposant à des peuples qui ne partageaient aucun projet national commun, ni désir de vivre ensemble, et que l'enchevêtrement ethnique caractéristique de cet espace avait pourtant rassemblé [24]. Durant toutes ces années de sujétion, qui incluent également l'ère soviétique, ils n'ont cessé de défendre leurs particularismes culturels, religieux et linguistiques, donc ethniques, pour mieux se distinguer de l'identité des autres minorités qu'ils côtoyaient. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les partis d'extrême droite n'ont eu aucun mal à exploiter les cicatrices de l'histoire dans des sociétés où la peur de disparaître en tant que nation, identité et culture est encore vivace, et l'hostilité aux minorités ethniques résidant sur le territoire national toujours très présente. On peut parler d'un nationalisme " völkisch " pour qualifier cette doctrine organique, essentialiste et impérialiste, qui revendique la réunification des communautés ethniques d'origine [25]. Aussi, les partis d'extrême droite d'Europe centrale et orientale tiennent, à peu de choses près, tous le même discours, revendiquant chacun l'homogénéité ethnique pour leur nation, comme c'est le cas du Parti national (SNS) qui réclame la " Slovaquie aux Slovaques ", ou du parti Jobbik, qui prône " la défense des intérêts de la nation magyare " et la reconstitution de la grande Hongrie d'avant le traité de Trianon [26]. Les populations victimes de cette exacerbation du sentiment xénophobe sont plus particulièrement les Roms et les Tsiganes, mais aussi les Juifs. Les exactions et les actes discriminatoires se multiplient à l'égard des Roms en Slovaquie, Bulgarie, Croatie et Hongrie, où ils sont accusés de vivre de la criminalité. En Bulgarie, le leader du parti Ataka, Volen Siderov, est connu pour ses violentes diatribes contre les Roms, dont il menace de " faire du savon " et qu'il accuse d'être des " voleurs " et des " paresseux " [27]. Deux d'entre eux ont été assassinés en février 2009 dans une petite ville de Hongrie [28]. En Roumanie, le parti Romania Mare fait campagne en faveur de la ghettoïsation des populations tsiganes, afin qu'elles cessent de terroriser la population [29].

 

Rien de tel en Europe occidentale où les Etats-nations se sont constitués de longue date et où une conception politique, ou civique, de la nation s'est imposée dès la fin du XVIIIe siècle. L'apparition du nationalisme ethnique, resté minoritaire dans la société, a coïncidé avec les premiers mouvements migratoires de la fin du XIXe siècle au moment de la seconde révolution industrielle, puis avec l'arrivée par vagues successives depuis les années 50 de populations extra-européennes originaires d'Asie et d'Afrique. Selon les statistiques internationales, l'Europe est devenue le premier continent d'immigration au monde, une situation qui concerne plus particulièrement l'Europe occidentale [30]. Dans ce contexte, les partis d'extrême droite ont développé depuis les années 80, puis de manière beaucoup plus virulente après les attentats du 11 septembre 2001, un discours anti-islam stigmatisant cette communauté qu'ils jugent incapable de s'intégrer. Dans la plupart des pays, le débat s'est concentré sur l'incompatibilité de l'islam avec les valeurs culturelles du pays d'accueil, signe d'une crise d'identité de ces mêmes pays qui ne se reconnaissent plus dans un projet de société commun. Aux Pays-Bas, Geert Wilders, auteur d'un film anti-islam " Fitna " diffusé sur Internet en mars 2008, assimile l'islam à une religion fasciste et réclame l'interdiction du Coran qu'il compare au Mein Kampf d'Adolf Hitler. Il voit en elle une religion inassimilable aux Pays-Bas, et dénonce le sexisme des musulmans et leur rejet des valeurs démocratiques [31]. Il faut dire que depuis l'assassinat du cinéaste Theo Van Gogh par un islamiste radical en novembre 2004, le débat identitaire est exacerbé dans un pays où les immigrés de confession musulmane représentent désormais 60% des étrangers non occidentaux. En Scandinavie, où la population étrangère représente une faible partie de la population en Finlande (3%) et au Danemark (6,4%), alors qu'elle atteint 18% de la population suédoise, les musulmans sont aussi stigmatisés. Au Danemark, où furent publiées les caricatures du prophète Mahomet en 2006 qui ont provoqué une polémique mondiale, le parti du peuple (DF) de Pia Kjaersgaard les compare à une " tumeur cancéreuse " et les présente comme la principale menace contre l'identité danoise, en référence au port du voile et à la construction des mosquées, dans un pays très attaché aux traditions luthériennes. En Suède, le parti SD (Démocrates de Suède), qui pourrait faire son entrée au Parlement en septembre 2010, encense les traditions culturelles et religieuses, ainsi que le folklore local, accusant les élites au pouvoir d'être aveugles " face aux dangers que représente l'islam " pour la culture nationale [32]. Le BNP britannique a focalisé son attention sur les musulmans qui " colonisent " le pays et l'Europe. Il estime qu'un élément distingue fondamentalement l'immigration musulmane des autres populations immigrées, à savoir leur refus d'adopter la culture du pays d'accueil et leur acharnement à importer leur propre modèle (vestimentaire, social, religieux...), contribuant à créer un Etat dans l'Etat. Là aussi, c'est la survie du modèle britannique qui est en jeu, selon le BNP [33].

 

Ces différents exemples prouvent que ce n'est pas le racisme biologique en tant que tel qui est à l'œuvre dans le discours des mouvements d'extrême droite d'Europe occidentale, mais plutôt une forme de xénophobie à dominante culturelle, désignée ici sous le terme de doctrine " différentialiste ". Pour Pierre-André Taguieff, cette rhétorique est le produit " d'un bricolage idéologique portant sur deux schèmes fondamentaux : la défense des identités culturelles et l'éloge de la différence, tant interindividuelle qu'intercommunautaire, retraduit en droit à la différence ". En faisant l'éloge des identités culturelles, la rhétorique différentialiste conduit à absolutiser les différences, permettant de présenter comme une évidence l'idée que certains groupes sont inassimilables du fait des ces différences. Reconnaître la différence, c'est désormais " exiger la séparation ou l'exclusion de ce qui diffère absolument, en raison de cette absolue différence, de cette différence de nature " [34]. Reconnaissons pourtant que la frontière est mince entre le racisme à caractère biologique et la xénophobie à dominante culturelle, dans la mesure où cette dernière traduit tout autant la hantise du contact et du mélange, qui est au cœur du racisme. Or face à ce discours, l'Union européenne peine à apporter des réponses satisfaisantes, hésitante dans la définition de son identité et de ses valeurs culturelles, ce qui alimente la rhétorique des partis d'extrême droite européens qui l'accusent d'être un agent de l'étranger.

 

III- Les ressorts du discours extrémiste: rejet de l'Union européenne et défense d'une Europe des Etats culturellement homogène

 

3.1. Le rejet de l'Union européenne

 

Compte tenu de leur défense du cadre national perçu comme la forme la plus performante pour défendre l'identité des peuples d'Europe et la seule entité souveraine légitime, les partis d'extrême droite européens ont développé une vive hostilité à l'encontre de la construction européenne depuis que celle-ci a accéléré le transfert de certaines compétences nationales vers des instances fédérales à partir du Traité de Maastricht en 1992. Cette critique s'inscrit en réalité dans une condamnation plus générale de l'ouverture provoquée par la mondialisation, à laquelle l'Union européenne est supposée avoir fait allégeance. Cette ouverture est à la fois économique avec l'accélération des échanges internationaux et une compétition beaucoup plus rude entre les économies nationales ; elle est politique avec l'essor des organisations supranationales qui relativisent les souverainetés nationales ; elle est enfin culturelle, la croissance des flux migratoires provoquant une fragmentation ethnico-religieuse des sociétés. Or dans la vision du monde de l'extrême droite identitaire, le "projet mondialiste" conduit par les Américains, devient une idéologie "totalitaire" reposant sur l'uniformisation des esprits et la négation des identités. Selon le Front national, ses objectifs sont à la fois de " détruire les nations, [...] mélanger les peuples et les cultures, [...] balayer les barrières dans un effort pour effacer toutes les différences et finalement détruire le moindre sens de l'identité " [35]. A ce stade, il est révélateur de souligner que ce discours, analysant l'Union européenne comme l'instrument du "mondialisme", est un parti pris idéologique en opposition radicale avec les intentions réelles du projet européen tel que l'ont conçu ses pères, qui souhaitaient grâce à lui définir l'identité régionale et valoriser la spécificité économique et géopolitique de l'Europe pour qu'elle continue de peser sur la scène internationale [36].

 

Pour l'extrême droite, l'Union européenne, loin d'être un rempart de protection contre la mondialisation, est considérée comme une institution servile, qualifiée  de " cheval de Troie du mondialisme " [37] ou de " Super Etat orwellien " [38]. Aussi, tous ces partis s'opposent au processus d'intégration européenne qu'ils perçoivent comme un processus anti-national, qui prive les peuples de leur souveraineté et de leurs droits à conduire leurs affaires intérieures. Dans ce contexte, le phénomène migratoire, décrit comme une " invasion ", devient un instrument aux mains des élites européennes, employé pour accélérer cette destruction nationale planifiée, en permettant, selon la Ligue du Nord, de transformer " nos nations, démographiquement, culturellement et politiquement en appendices de pays n'appartenant pas au continent européen " [39]. Il vise ainsi à uniformiser l'espace européen qui deviendra à terme une "société multiethnique" bientôt happée par le reste du monde. Cette analyse rappelle la dimension protestataire "anti-élites" du discours d'extrême droite, qui s'acharne sur les élites européennes accusées d'avoir par leur renoncement, voire leur "collaboration", vendu leur patrie aux intérêts étrangers. Cette critique renvoie au fantasme de l'"Establishment", sorte de " mafia " constituée des " établis " (politiques, médias), qui " bénéficient des privilèges conférés par un statut qui leur permet d'œuvrer pour des puissances étrangères " [40]. Le BNP ne dit pas autre chose lorsqu'il accuse les " partis de Westminster " de tromper le peuple britannique, en laissant croire qu'ils ne renonceront pas à la souveraineté du pays face à Bruxelles, dont ils sont accusés d'être " les agences de collaboration " [41]. L'UDC en Suisse s'inscrit aussi dans cette veine idéologique lorsqu'elle vitupère les hommes politiques, qui " tous rêvent [...] de dissoudre la Confédération dans l'Union européenne et la mondialisation ", et veulent instaurer " une République qui ne serait plus qu'internationale [...], composée d'une population cosmopolite dont aurait disparu tout caractère suisse " [42]. Par ailleurs, cette rhétorique, qui traduit le refus catégorique de reconnaître l'existence d'autres acteurs politiques souverains aux côtés des nations, relève du parti pris idéologique. En effet, pour l'extrême droite, le monde extérieur, par opposition au territoire national, est défini comme celui des rapports de force irréductibles entre Etats, ce qui rend vain les efforts destinés à en faire un espace de paix intégré. Aussi, toute entreprise supranationale est-elle systématiquement discréditée et accusée de comploter contre la nation.

 

L'extrême droite tire profit des doutes qui se manifestent dans les opinions publiques à l'encontre de la construction européenne, dont le record d'abstention aux dernières élections européennes de juin 2009 peut constituer un témoignage. Celle-ci a atteint 43% en moyenne dans l'Union, mais fut beaucoup plus élevée dans les seuls pays d'Europe centrale et orientale, (Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), où elle a oscillé entre 71 et 79% [43]. Dans ces Etats-membres, l'intégration a provoqué une radicalisation des opinions publiques, amenant A. Guillemoles à soutenir que le populisme à l'Est est "l'enfant difforme de l'intégration européenne, le négatif d'un processus qui avait pourtant toutes les apparences d'un extraordinaire succès" [44]. En effet, alors que l'intégration a suscité beaucoup d'espoir, elle a finalement provoqué bien des frustrations, du fait des effets pervers de l'adhésion, comme l'augmentation des prix et la croissance des inégalités. Les résultats d'une étude Eurobaromètre de mai 2006 attestent que, pour ces populations, l'entrée dans l'Union européenne signifiait à la fois une amélioration du niveau de vie, un recul de la corruption, une hausse des salaires et la création d'emplois. L'étude souligne aussi que la mondialisation et l'ouverture des frontières sont spontanément évoquées par les opinions publiques pour expliquer la crainte d'une dilution des identités nationales et d'une perte des repères et des valeurs [45]. Ainsi, le discours de l'extrême droite européenne est d'une certaine manière en résonance avec les inquiétudes des opinions publiques européennes vis-à-vis des conséquences possibles du processus d'intégration communautaire. Bien plus, le nationalisme identitaire, qui s'arc-boute sur la défense des identités nationales, se nourrit du déficit d'identité dont souffre l'Union européenne, qui peine à se définir sur les plans culturel et géographique et n'a pas su offrir aux Européens un autre cadre de référence auquel s'identifier. Cette situation est en partie due à l'élargissement continu à de nouveaux Etats, sans que soit jamais clairement tranché le débat sur les limites extérieures de l'Union européenne. L'extrême droite européenne a profité de ce flou en se focalisant sur l'entrée de la Turquie dans l'Union, qui viendrait grossir la communauté musulmane d'Europe de 75 millions d'individus supplémentaires. Ce déficit identitaire prend également racine dans l'absence de relations affectives que les citoyens européens entretiennent avec l'Union européenne, empêchant l'édification d'un " nous " communautaire. Pour l'universitaire britannique Tony Fahey, les leaders politiques européens portent une lourde responsabilité dans cette situation, n'ayant pas su se rapprocher des citoyens européens et les sensibiliser aux enjeux des débats communautaires et de l'intégration, de sorte que l'Union européenne est restée " un mystère, l'opposé d'une réalité familière et vécue " [46]. Au contraire, les extrêmes droites européennes offrent une définition plus concrète de l'Europe qu'elles appellent de leurs vœux, antithèse d'une Union européenne ouverte, intégrée et multiculturelle.

 

3.2. L'Europe dans l'imaginaire de l'extrémisme identitaire

 

La critique adressée à l'Union européenne intégrée ne signifie pas que l'extrême droite européenne refuse toute légitimité au cadre européen, qu'elle perçoit non seulement comme espace identitaire de seconde appartenance des peuples européens, mais aussi comme espace de coopération interétatique. " The BNP loves Europe but hates the EU " lit-on en tête du programme européen de ce parti. Cette Europe est d'abord perçue comme une communauté de civilisation rassemblant des peuples qui partagent une culture et un passé communs. En premier lieu, l'Europe se définit par une culture ancrée dans l'héritage du monde antique et de la chrétienté. Pour le FPÖ autrichien, cet héritage fonde l'unité intellectuelle de l'Europe qui se nourrit de l'héritage de l'humanisme et du siècle des Lumières. Les églises chrétiennes sont les remparts de la conservation et de la perpétuation de ces valeurs [47], auxquelles le monde arabo-musulman est totalement étranger. L'Europe est également un espace doté de frontières " naturelles " inextensibles. Cet espace est délimité " par la croix " selon les mots du FN. " Ses frontières s'arrêtent ainsi au Sud là où commence l'aire du croissant, et à l'Est là où commencent la Russie et au-delà l'influence de Bouddha " [48]. Il s'agit bien d'une vision culturelle de l'Europe qui permet de définir les contours d'une identité qui se pose en s'opposant, en établissant une claire distinction entre " nous " et les autres. Pour l'extrémisme identitaire, c'est cette vision qui octroie sa légitimité à l'Europe dans la mesure où elle permet de justifier l'impossible intégration des peuples non-européens. C'est au nom de cette " identité-altérité " que la Ligue du Nord a décidé de lancer dès les années 90 une " croisade " contre " le nouveau colonialisme sous la bannière de l'islam ", qui ne peut que déboucher sur la constitution de ghettos, et partant, sur la multiplication des conflits sur le continent. Cette définition chrétienne et antique de l'Europe n'est pourtant pas spécifique à l'extrême droite. Elle fut déjà promue par des personnalités telles que Paul Valéry ou l'écrivain Louis Dumont-Wilden au début du XXe siècle, sans que ces derniers n'y voient la preuve d'une impossible intégration des peuples non-européens.

 

Cette Europe défendue par les extrêmes droites européennes a aussi un rôle de bouclier protecteur des nations d'Europe face aux dangers communs, rappelant que c'est dans l'adversité que l'Europe s'est construite et a insufflé une conscience européenne à ses peuples. En ce sens, elle est perçue comme un espace de coopération entre nations qui partagent une origine commune et se lient pour affronter des défis communs. C'est la définition d'une Europe des patries qui conservent chacune leur souveraineté, et s'associent face aux menaces de puissances étrangères accusées de vouloir s'emparer du territoire européen pour le réduire au rang de colonie. Cette association à l'échelle du continent n'interdit pourtant pas la conclusion d'accords à un niveau régional, comme le propose le parti hongrois Jobbik, qui souhaite définir une politique extérieure commune à l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale. Dans tous les cas, il est important de reconnaître que l'Europe a d'abord une fonction instrumentale pour l'extrême droite européenne, offrant aux nations un bouclier protecteur supplémentaire pour la préservation de leur indépendance et de leur identité. En outre, son destin est largement confondu avec celui des nations qui la composent, de sorte qu'elle n'est pas considérée comme une entité concurrente pour les nations, mais bien comme un prolongement des identités nationales. L'Europe peut aussi jouer à l'occasion un rôle de " tremplin " pour l'expression de la puissance nationale, chaque parti espérant toujours promouvoir la place singulière de son pays et faire valoir sa supériorité vis-à-vis des autres nations d'Europe. Elle apparaît alors comme un moyen d'amplifier la voix des nations en Europe et dans le monde. En dernier ressort, cette attitude, que l'on retrouve tant au FPÖ, qui prétend valoriser le rôle de médiateur de l'Autriche, qu'au FN, qui définit la France comme le fédérateur des valeurs européennes, rappelle que le nationalisme nourrit deux attitudes finalement complémentaires : l'instinct de protection vis-à-vis de l'extérieur, et l'ambition expansionniste pour la plus grande gloire de la nation. 

 

Conclusion

 

La nouvelle poussée de l'extrême droite sur la scène européenne ne doit pas être interprétée comme un phénomène conjoncturel voué à disparaître lorsque la situation socio-économique des populations vivant sur son territoire se sera améliorée. Elle est plutôt l'expression d'un mouvement identitaire de réaction au processus d'ouverture des frontières à l'échelle internationale, qui fragilise les souverainetés et les identités nationales. Si la mondialisation est désignée comme le principal instigateur de cette " mise à mort des nations ", l'Union européenne est stigmatisée pour avoir fait allégeance à cette idéologie, et doit pour cette raison être combattue. L'Europe n'en apparaît pas moins comme une réalité charnelle aux yeux des partis d'extrême droite, qui tire son existence de cette culture propre aux nations du continent et dont la finalité est de les défendre contre les menaces qui pèsent sur leur identité. Aux ambitions fédéralistes affichées par l'Union européenne, ils opposent le retour à une Europe de la coopération entre Etats souverains.  

Il y a pourtant tout lieu de croire que ce défi lancé par l'extrémisme identitaire à l'Union européenne peut être l'occasion pour elle de s'interroger sur la responsabilité qu'elle porte dans cette nouvelle percée qui est, d'une certaine manière, le reflet de son incapacité à convaincre les citoyens de la finalité de son projet, et de sa frilosité à affirmer ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas. Dans ces conditions, l'Union européenne ne pourra faire l'impasse d'un débat sur son identité et ses limites géographiques, afin de prouver sa singularité et ainsi contredire ceux qui l'accusent d'être aux ordres d'un projet d'uniformisation des cultures et des identités à l'échelle mondiale. Elle gagnera aussi à étendre ses compétences en matière de sécurité et de défense communes, pour mieux satisfaire ce besoin de sécurité des citoyens européens, dont l'extrémisme identitaire l'estime pour le moment incapable.


[1] Pour des raisons historiques évidentes, certains pays européens tels l'Allemagne, l'Espagne ou le Portugal, n'ont pas connu de nouvelle poussée extrémiste depuis l'effondrement des régimes de dictature. Ils ne seront donc pas évoqués ici.
[2] Pour une mise au point des controverses sur le qualificatif d'extrême droite, voir U. Backes, " " L'extrême droite : les multiples facettes d'une catégorie d'analyse ", in P. Perrineau (dir.), Les croisés de la société fermée. L'Europe des extrêmes droites, Paris, Editions de l'aube, 2001, pp. 13-29.
[3] P-A. Taguieff (dir.), Le retour du populisme. Un défi pour les démocraties européennes, Paris, Encyclopedia Universalis, 2004, p. 178.
[4] D. Reynié, " Mauvais temps, mauvaises pensées. Les Européens dans la crise : où en est l'opinion xénophobe ?", L'opinion européenne en 2010, Paris, Lignes de repères, 2010, p.17.
[5] Voir à ce sujet l'étude de A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", Politique Internationale, n°114, hiver 2006/2007, pp. 329-342.
[6] Selon l'Office fédérale de la statistique, la Suisse a connu des années de forte croissance économique entre 2004 et 2008, puis un ralentissement de celle-ci au dernier trimestre 2008 (1,8% de croissance en fin d'année contre 3,6% pour les années 2006 et 2007). Pour plus d'informations, consulter le site de l'Office fédérale de la statistique : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/04/01/pan.html
[7] Selon l'historien Christophe de Voogd, les Pays Bas n'ont pas connu de véritable dépression économique comme d'autres pays européens. Ils devraient même enregistrer une croissance positive de leur PIB en 2010. Evoquant les résultats du sondage Eurobaromètre standard 72 réalisé à l'automne 2009, l'auteur souligne également que les Pays-Bas sont le pays où le sentiment de bien-être est l'un des plus élevés d'Europe. Voir C. de Voogd, Pays-Bas : la tentation populiste, Publications de la Fondapol, mai 2010.
[8] E. Lecoeur (dir.), Dictionnaire de l'extrême droite, Paris, Larousse, 2007, p. 18.
[9] Sur l'extrémisme en Europe du Nord, voir l'article récent d'Antoine Jacob, " L'Europe du Nord gagnée par le populisme de droite ", Politique internationale, n° 127, printemps 2010, pp. 221-238.
[10] Tel fut le cas de la Pologne, de la Slovaquie, de la Lituanie. A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", op.cit., p. 339.
[11] Voir à ce sujet le programme en ligne sur le site du Jobbik : http://jobbik.com/en_pol_foreign.html
[12] A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", op.cit., p. 339.
[13] http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1838
[14] Voir plus en détail le programme du parti conservateur britannique sur la question migratoire : http://www.conservatives.com/Policy/Where_we_stand/Immigration.aspx
[15] http://www.la-croix.com/La-crise-domine-la-campagne-electorale-aux-Pays-Bas/article/2428123/4077
[16] P. Perrineau (dir.), Les croisés de la société fermée : l'Europe des extrêmes droites, op.cit. Les concepts de " société ouverte " et " société fermée " ont été forgés par le philosophe autrichien, Karl Popper, in The Open Society and its Enemies, London, Routledge, 1945.
[17] R. Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Ed du Seuil, 1986, p. 128.
[18] M. Winock, " Nationalisme ouvert et nationalisme fermé ", in Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Le Seuil, 1992, pp. 11-40.
[19] D. Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994, pp. 178 et 180.
[20] J.-M. Le Pen, discours de clôture prononcé lors de la fête nationale du FN en novembre 2006 : http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=51
[21] E. Lecoeur (dir.), Dictionnaire de l'extrême droite, op.cit., p. 18.
[22] P. Perrineau, " Front national : un regain de vitalité fragile ", Le Figaro, 4 mai 2010. L'auteur se base sur un sondage OpinionWay réalisé le 14 mars 2010, qui révèle que 19% des ouvriers ont choisi les listes FN au second tour, 27% les listes du PS, et 19% les listes de l'UMP.
[23] A. Jacob, " L'Europe du nord gagnée par le populisme de droite ", op.cit., p. 238n.
[24] D. Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation, op.cit.
[25] Le nationalisme völkisch considère la nation comme une entité fermée et immuable, une communauté de sang qui repose sur un substrat biologique dont sont issues ses spécificités culturelles, historiques et géographiques. Par conséquent, cette forme de nationalisme exclut toute possibilité d'intégration des minorités ethno-culturelles. La pensée völkisch a été minutieusement analysée par Thomas Lindemann dans son ouvrage, Les doctrines darwiniennes et la guerre de 1914, Paris, Economica, 2001.
[26] C. Bayou (et alii), " Populisme et extrémisme en Europe centrale et balte, Le courrier des pays de l'Est, n°1054, mars-avril 2006, pp. 27-42.
[27] A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", op.cit., p. 339.
[28] http://www.presseurop.eu/fr/content/article/79231-comment-endiguer-la-violence-anti-roms
[29] A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", op.cit., p. 337.
[30] L'Europe accueille chaque année 1,4 millions de personnes (contre 0,9 millions pour l'Amérique du Nord). Cependant, on observe un décalage important entre l'Europe de l'Ouest, où le solde migratoire est positif, et l'Europe de l'Est où celui-ci est globalement négatif. Voir J-C Victor, V. Raison et F. Tétard, Le dessous des cartes 2. Atlas d'un monde qui change, Paris, Tallandier, 2007. Voir aussi L'état de l'Union 2010. Rapport Schuman sur l'Europe, Paris, Editions lignes de repères, 2010, pp. 224-225.
[31] http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologie-islamique-est-fasciste.php
[32] A. Jacob, " L'Europe du Nord gagnée par le populisme de droite ", op.cit., p. 235.
[33] Voir le programme du BNP pour les élections générales du 6 mai 2010 : http://www.general-election-2010.co.uk/2010-general-election-manifestos/BNP-Manifesto-2010.pdf . Voir plus particulièrement les pages 30-34.
[34] P-A. Taguieff, " Les métamorphoses idéologiques du racisme et la crise de l'antiracisme ", in P-A. Taguieff (dir.), Face au racisme 2. Analyses, hypothèses, perspectives, op.cit., pp. 32-33 et pp. 41-42.
[35] Front national, 300 mesures pour la renaissance de la France. Programme de gouvernement, Saint Cloud, Editions nationales, 1993, pp. 15-16.
[36] B. Bruneteau, Histoire de l'idée européenne (2 tomes), Paris, A. Colin, 2006.
[37] J-M. Le Pen, " Discours du 1er mai 2000 ", Français d'abord, n°320, 1-15 mai 2000, p. 24.
[38] http://www.general-election-2010.co.uk/2010-general-election-manifestos/BNP-Manifesto-2010.pdf p. 27.
[39] Cité in H-G. Betz, " Contre la mondialisation : xénophobie, politiques identitaires et populisme d'exclusion en Europe occidentale ", Politiques et sociétés, vol. 21, n°2, 2002, p. 22.
[40] E. Lecoeur, Dictionnaire de l'extrême droite, op.cit., p. 134.
[41] http://www.general-election-2010.co.uk/2010-general-election-manifestos/BNP-Manifesto-2010.pdf, p. 28.
[42] Voir le programme de l'UDC (Canton de Genève) pour la législature 2009-2013 : http://www.udc-ge.ch/programme/plateforme_2009_1.pdf, pp. 2 et 24.
[43] Voir à ce sujet, Ph. Poirier, " Européennes 2009 : forces et faiblesses de la contestation de l'Union européenne ", in D. Reynié (dir.), L'opinion européenne en 2010, op.cit., pp. 53-81. Pour connaître les taux de participation pays par pays aux élections européennes depuis 1979, voir le site du parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/parliament/archive/elections2009/en/turnout_en.html
[44] A. Guillemoles, " Le populisme se lève à l'Est ", op.cit., pp. 335 et 341.
[45] L'Etude eurobaromètre mentionnée est en ligne: http://ec.europa.eu/public_opinion/quali/ql_futur_fr.pdf
[46] T. Fahey, " The EU's identity deficit: what it is and why it is important ", in O. Cramme (Ed.), Rescuing the European project: EU legitimacy, governance and security, London, Policy Network, 2009, p. 38.
[47] Voir le programme actuel du FPÖ: http://www.fpoe.at/dafuer-stehen-wir/partei-programm/
[48] J-C. Martinez, " Les Turcs arrivent ! Aux écoutilles ", Présent, 23 février 1995.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

L'Union européenne face aux défis de l'extrémisme identitaire

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