Franco-allemand
Jean-François Jamet
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Jean-François Jamet
I- Des performances économiques décevantes
a. Une situation encore enviable
L'Allemagne et la France restent, respectivement, les troisième et sixième puissances économiques dans le monde : elles représentent, à elles seules, 11,1% du PIB mondial, soit plus d'un tiers du PIB de l'Union européenne.
La France et l'Allemagne disposent d'un revenu par habitant supérieur à la moyenne européenne (respectivement 29 316 et 30 579 $, à parité de pouvoir d'achat en 2005). Si ces deux pays conservent un niveau de revenu enviable par comparaison à des pays émergents comme la Chine, l'écart s'est agrandi au cours des quinze dernières années avec les Etats-Unis. Après plusieurs décennies de rattrapage, la France et l'Allemagne ont été de nouveau distancées : le PIB par habitant représente, en Allemagne et en France, 74 et 71% du PIB par habitant américain.
b. Des performances de croissance médiocres
Le retard accumulé par la France et l'Allemagne est dû à de faibles performances de croissance au cours des quinze dernières années. Le graphique 3 montre le déficit structurel de croissance dont ont souffert les deux pays par comparaison aux Etats-Unis. Entre 1992 et 2006, la croissance américaine a été de 3,2 % en moyenne annuelle contre 1,9% en France et 1,5% en Allemagne.
c. Une dette en hausse
L'assainissement des finances publiques est devenu une priorité en Allemagne et en France : la dette y dépasse désormais largement l'objectif d'une dette publique inférieure à 60 % du PIB. L'augmentation de la dette dans les deux pays vient de déficits répétés au fil des années, lesquels soulignent une mauvaise utilisation de la politique budgétaire : les gouvernements n'ont pas saisi l'occasion de la croissance forte de la fin des années 1990 pour réduire les déficits et n'ont donc pas eu de marge de manœuvre lorsque la croissance s'est affaiblie. La politique budgétaire n'a pas rempli son rôle contracyclique, contribuant à la lenteur de la reprise et au creusement de la dette. Le retour d'une croissance supérieure à 2% en 2006, soit un niveau supérieur à celui de la croissance potentielle (estimée à 1,5% en Allemagne et 2% en France) doit inciter les gouvernements à fournir les efforts de rigueur budgétaire nécessaires pour ramener le déficit à un niveau susceptible de réduire la charge de la dette.
d. De faibles performances sur le marché du travail : fort chômage et faible taux d'emploi
L'Allemagne et la France sont caractérisées par un niveau de chômage particulièrement élevé, supérieur à la moyenne européenne et, surtout, au niveau de chômage américain. Le chômage y est en outre d'une durée particulièrement longue. 42,7 % des chômeurs français et 62,8% des chômeurs allemands retrouvent un emploi après plus de douze mois sans travail, soit une proportion très supérieure à celle observée dans les pays où la flexibilité du travail est plus importante. La France se signale également par un taux de chômage des jeunes élevé.
Les expériences de réforme dans les pays étrangers soulignent l'importance des incitations ou aides à la reprise d'activité, ainsi que la limitation des obstacles à l'embauche ou au licenciement économique. La récente réforme du marché du travail en Allemagne va dans ce sens, mais n'a pas eu d'équivalent en France.
Le taux d'emploi est plus élevé en Allemagne qu'en France, mais reste, dans les deux cas, éloigné des performances des Etats-Unis ou du Japon. Ceci vient du fait que l'emploi des jeunes et des seniors est trop peu développé et encouragé, particulièrement en France (graphique 6). C'est un sujet de réflexion important : comment faire participer la part la plus importante de la population active à l'effort productif, de façon à en répartir la charge et à en partager les fruits ? Ceci suppose notamment de ne pas désinciter l'embauche et l'emploi des travailleurs les moins productifs et de faire croître le niveau de qualification de la population.
II- L'Allemagne plus compétitive que la France ?
L'Allemagne et la France restent des puissances commerciales de premier plan : elles sont respectivement le 1er et le 5e exportateurs de biens manufacturés dans le monde, le 3e et le 4e exportateurs de services. Les chiffres du commerce extérieur montrent que l'Allemagne tire mieux son épingle du jeu que la France dans le commerce mondial : elle exporte deux fois plus de produits manufacturés et dispose d'un excédent commercial important alors que la France est déficitaire (tableau 7).
Les données du commerce extérieur suggèrent que l'Allemagne est plus compétitive que la France dans l'économie mondialisée. Cette hypothèse se trouve confirmée par les différentes évaluations disponibles des compétitivités nationales. La compétitivité d'un pays est définie comme la capacité des entreprises implantées sur son sol à affronter avec succès la concurrence sur les marchés national et mondial. Ceci dépend d'un ensemble de paramètres que tentent de saisir les indicateurs présentés dans le tableau 8 :
• la compétitivité-prix reflète la capacité à conquérir des parts de marché en raison d'un niveau de prix plus faible que les concurrents. Son évolution dépend de l'évolution du taux de change corrigée de l'inflation : une inflation plus faible qu'à l'étranger et une dépréciation de la monnaie par rapport aux monnaies étrangères, qui se manifestent par une diminution du taux de change effectif réel, ont pour conséquence une amélioration de la compétitivité-prix. Pour l'Allemagne et la France, le taux de change est identique et seule l'inflation joue. • la compétitivité-coût dépend de l'évolution du taux de change corrigée de l'augmentation du coût unitaire du travail. • la facilité de faire des affaires est un indicateur synthétique de la Banque mondiale basé sur l'évaluation de la complexité du système fiscal, du degré de protection des investisseurs, mais aussi de la facilité de créer une entreprise, de faire du commerce avec les pays étrangers, d'employer et de licencier des salariés ou encore d'obtenir des prêts. • la compétitivité de l'environnement économique est un indicateur synthétique développé par le World Economic Forum. Il est basé sur l'évaluation de la qualité des facteurs de production, des conditions de la demande locale, du contexte concurrentiel et du tissu industriel local.
Le tableau 8 montre que l'Allemagne se positionne beaucoup mieux que la France dans les indicateurs synthétiques. En outre, la compétitivité-prix et la compétitivité-coût de la France se sont dégradées depuis 1999, année du lancement de l'euro, alors qu'elles se sont améliorées en Allemagne. Les données suggèrent que l'Allemagne a fait un effort important pour redevenir compétitive en réduisant le coût du travail, ce qui a supposé un effort important demandé aux salariés. Ceci a donné un coup de fouet à la compétitivité extérieure de l'Allemagne, mais a freiné la demande intérieure contribuant, en partie, au ralentissement de la croissance allemande.
Une autre raison, souvent évoquée, de la supériorité commerciale de l'Allemagne est sa spécialisation productive. Le tableau 9 présente les principales industries de la France et de l'Allemagne à l'exportation. Si l'industrie automobile arrive en tête dans les deux cas, l'Allemagne s'est spécialisée dans des industries d'équipement et de transformation, alors que la France fait la part belle à des industries comme le tourisme ou l'agroalimentaire. Cette spécialisation permet à l'Allemagne de bénéficier à plein du développement industriel des pays émergents.
III- Des défis communs à relever
Dans la compétition mondiale, la France et l'Allemagne ont des défis communs à relever pour redynamiser leurs économies. Il s'agit, en particulier, de retrouver une croissance de la productivité plus rapide que celle de la dernière décennie (cf. graphique 10).
a. Investir dans l'enseignement supérieur
Dans la compétition mondiale, le capital humain est un enjeu déterminant. Avoir une main d'œuvre bien formée est crucial et les pays européens ont accumulé dans ce domaine un retard très important par rapport aux Etats-Unis. L'enseignement supérieur en est le révélateur. Non seulement la proportion des jeunes faisant des études supérieures est beaucoup plus importante aux Etats-Unis, mais la dépense par étudiant y est plus de deux fois supérieure (graphique 11).
b. Promouvoir l'investissement en R&D et dans les NTIC
Pour favoriser l'innovation et les gains de productivité et de croissance qui l'accompagne, il importe d'avoir une recherche active et exploitée commercialement. La France et l'Allemagne se comportent mieux que la moyenne européenne dans ce domaine, mais n'ont pas encore rattrapé leur retard sur les Etats-Unis et le Japon. Les dépenses de R&D restent éloignées de l'objectif de 3% du PIB fixé à Lisbonne (graphique 12) et les exportations de haute technologie demeurent relativement peu importantes dans les exportations totales (graphique 13). L'Allemagne est bien plus performante que la France dans le dépôt de brevets.
c. Relever le défi du vieillissement de la population
La France et l'Allemagne sont, toutes deux, confrontées au défi du vieillissement de leur population, même si la seconde est plus exposée en raison de la faiblesse de son indice de fécondité. Le vieillissement pèse sur les comptes sociaux et sur la croissance potentielle en réduisant la part de la population active dans la population totale. Dans ce contexte, il faut réussir à retarder l'âge moyen de sortie du marché du travail et contenir les dépenses de pension. Le graphique 14 montre que la France est relativement moins performante dans ce domaine.
d. Limiter la dépendance énergétique
Enfin, dans un contexte de tension accrue sur le marché de l'énergie en raison de l'accroissement de la demande et du plafonnement de l'offre, la France et l'Allemagne sont, toutes deux, confrontées à la nécessité stratégique de limiter leur dépendance énergétique ou, du moins, de sécuriser leur approvisionnement. Cette exigence est particulièrement sensible pour l'Allemagne qui importe 61% de l'énergie qu'elle consomme.
La France et l'Allemagne, cœur de la puissance industrielle européenne, doivent retrouver un plus grand dynamisme économique. Ceci suppose notamment que la France travaille à améliorer sa compétitivité dans l'économie mondiale et que l'Allemagne fasse des efforts pour accroître sa croissance potentielle. Les deux pays ont des défis communs à relever en matière d'emploi, de productivité, de finances publiques et d'énergie. Ils ont tout à gagner à partager leurs expériences et leurs réflexions dans ces domaines.
Cette note a été préparée et rédigée par Jean-François Jamet, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure (Ulm) et de l'Université Harvard.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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