L'alternance en Pologne : Nouvelle configuration politique et perspectives européennes

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Dominika Tomaszewska

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9 janvier 2006

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Tomaszewska Dominika

Dominika Tomaszewska

Doctorante à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (Sciences Po).

Deux campagnes électorales importantes, agressives et particulièrement coûteuses, ont été menées en automne 2005 en Pologne, dans un climat de désir d'alternance chez des électeurs impatients de voir partir les équipes sortantes discréditées. Mais les gagnants des élections législatives et présidentielle, Droit et justice (PiS - Prawo i Sprawiedliwosc), avec 155 députés sur 460, ne parviennent à former qu'un gouvernement minoritaire. Celui-ci est investi grâce au soutien parlementaire de deux partis qui n'ont auparavant jamais été associés de façon aussi étroite à l'exercice du pouvoir au niveau national : Autodéfense (S - Samoobrona) et la Ligue des familles polonaises (LPR - Liga Polskich Rodzin). Ainsi s'ouvre une nouvelle ère dans la vie politique polonaise qui voit les clivages politiques historiques s'effacer au profit d'une configuration plus complexe.

Nombreux sont ceux, parmi les commentateurs et au sein de l'opposition – dont le groupe majoritaire est la Plateforme civique (PO - Platforma Obywatelska), deuxième force politique à la Diète avec 133 députés sur 460, et qui a failli participer à une coalition gouvernementale –, qui s'inquiètent de l'excès de pouvoir de Droit et justice : mairie de Varsovie, gouvernement, présidence de la République. Pourtant, paradoxalement peut-être, se pose aussi la question du pouvoir politique réel de Droit et justice incarné par le gouvernement minoritaire. Celui-ci risque d'être régulièrement pris en otage par Autodéfense et la Ligue des familles, partis auxquels il doit son investiture. En cas d'oppositions répétées au sein de la coalition, des élections anticipées pourraient être nécessaires. L'arrivée au pouvoir de Droit et justice suscite par ailleurs une certaine inquiétude chez les partenaires européens de la Pologne, mal à l'aise face aux tendances eurosceptiques, voire souverainistes, de ce parti (présent au Parlement européen au sein du groupe Union pour l'Europe des nations [1]), face à ses positions conservatrices et à son alliance avec les deux partis les plus radicaux de la Diète.

Ainsi se posent plusieurs questions : celle du degré d'instabilité du nouveau gouvernement et de sa durée de vie, celle du programme qu'il aura les moyens de réaliser, et celle des points sur lesquels la réalisation de ce programme pourrait entrer en conflit avec l'appartenance de la Pologne à l'Union européenne. A peine deux mois après l'investiture du gouvernement de Kazimierz Marcinkiewicz, et face à une donne politique inédite impliquant Autodéfense et la Ligue, il serait difficile de prévoir l'avenir. Les spéculations des commentateurs sur ce sujet varient considérablement. Les électeurs, eux, appellent de leurs vœux la stabilité, et ils sont 46 % à croire que le gouvernement actuel restera en place jusqu'à la fin de la législature en 2009 [2] - cette opinion est sans doute pour partie un souhait.

I – De nouvelles règles du jeu redéfinissent le paysage politique polonais

Malgré leurs importantes différences sur les plans économique, social, voire sociétal, Droit et justice et Plateforme civique devaient former un gouvernement de coalition après les législatives de septembre 2005. Or c'est un gouvernement minoritaire de Droit et justice qui voit le jour, grâce au soutien parlementaire de petits partis radicaux. Cette coalition parlementaire est-elle pour Droit et justice une "divine surprise", un accord de circonstance et de dernière minute, ou bien un plan plus ou moins machiavélique élaboré par avance pour ne pas s'embarrasser des libéraux de Plateforme ? En tout cas, elle correspond à une importante évolution politique où l'ancien clivage entre anti- et post-communistes, classique dans les PECO, se trouve remplacé par une nouvelle division du champ politique entre conservateurs (de droite et de gauche) et libéraux (de droite et de gauche également). Cette nouvelle configuration traduit une certaine maturité de la démocratie polonaise, tout en faisant entrer celle-ci dans une phase particulièrement difficile.

1. Les deux principales forces en place : Droit et justice, Plateforme civique

Les élections législatives du 25 septembre 2005 ont abouti à la victoire, avec 26,99 % des voix [3], de Droit et justice (PiS), parti de droite eurosceptique et conservateur, caractérisé par sa relative hostilité à l'égard du libéralisme économique, ainsi que par sa volonté affichée d'instaurer un ordre moral plus rigoureux et de se donner des moyens importants dans la lutte contre la corruption. Afin d'esquisser le profil de l'électeur de Droit et justice, ajoutons qu'environ 30% des Polonais âgés de plus de 40 ans ont voté pour ce parti en 2005 (contre environ 20% qui ont voté pour sa principale rivale, la Plateforme civique), de même que 25% des personnes vivant en milieu rural (contre 16% dans le cas de Plateforme).

Les frères Kaczynski, fondateurs de PiS, cultivent leur image de "justiciers". Jaroslaw et Lech Kaczynski ont créé PiS en 2001, au moment où une coalition gouvernementale et parlementaire composée de partis héritiers de Solidarnosc, nommée AWS (Akcja Wyborcza Solidarnosc) terminait son mandat et s'apprêtait à disparaître. Lech Kaczynski a été ministre de la Justice dans le gouvernement AWS à partir du mois de juin 2000. Si les multiples échecs de ce gouvernement sur le front économique et social ont fini par discréditer cette coalition hétéroclite, obligeant ses diverses composantes à se séparer et à se transformer, la mauvaise image d'AWS n'a que très peu affecté la cote de Lech Kaczynski.

Droit et justice est dans une certaine mesure un parti héritier de la mosaïque AWS. A sa fondation, il a attiré des hommes politiques et des militants assez représentatifs de l'aile droite du spectre politique "post-Solidarnosc" : centristes, conservateurs, nationalistes catholiques. La popularité de ce parti trouve son origine dans les prises de position de l'ancien ministre de la Justice Lech Kaczynski, qui avait promis d'éradiquer la mafia, le racket, la petite délinquance, phénomènes relativement répandus en Pologne dans les années 1990, et qui a eu l'occasion de s'illustrer par quelques actions fortes. Son discours "tolérance zéro" et "opération mains propres" avait séduit et laissé un bon souvenir dans une importante partie de l'électorat préoccupée par l'insécurité et la corruption.

Après l'arrivée au pouvoir en 2001 de l'Union de la gauche démocratique (SLD - post-communistes réformés, relativement libéraux et très pro-européens), Droit et justice s'est focalisé sur les élections locales, Lech Kaczynski, a été élu maire de Varsovie en 2002. Son discours, semblable à celui qu'il tenait, promettait une "tolérance zéro" dans une capitale gangrenée par le crime organisé et la corruption. C'est depuis l'Hôtel de ville de Varsovie que Droit et justice a commencé son ascension dans les sondages nationaux et sa conquête du pouvoir. L'étendue de la corruption et le degré de médiatisation des scandales politico-financiers, impliquant jusqu'aux principales figures de l'Union de la gauche démocratique au gouvernement depuis 2001, ont créé un climat favorable à Droit et justice et à l'ensemble de la droite. La victoire de PiS aux élections législatives de septembre 2005 et l'élection du maire de Varsovie Lech Kaczynski au fauteuil de président de la République étaient déjà considérées comme probables un an avant les élections. Le seul concurrent sérieux de Droit et justice était, durant toute cette période, un autre parti de droite, Plateforme civique.

Fondée à la même époque que Droit et justice, Plateforme est également un parti "post-Solidarnosc" et réunit avant tout des libéraux. Son électorat est plutôt jeune (34% des Polonais âgés entre 18 et 39 ans ont voté pour Platforme en 2005, contre 26% dans le cas de Droit et Justice) et résolument plus urbain (36% des habitants des villes ont voté pour Plateforme, et seuls 16% des ruraux). Pro-européenne, elle avait pourtant marqué des points sur la scène politique en s'opposant au compromis sur le projet de Constitution européenne fin 2003 – c'est Plateforme qui mettait la pression la plus forte sur le gouvernement de gauche de l'époque chargé des négociations au Conseil européen de décembre 2003, et c'est un des leaders de Plateforme qui avait lancé le fameux slogan "Nice ou la mort" [4]. Autant dire que les orientations politiques de Plateforme n'ont pas toujours été claires et qu'elle a été tenté à maintes reprises de "ratisser large" en oscillant entre libéralisme et conservatisme. Cela a été le cas notamment lors des campagnes électorales de l'automne 2005, au cours desquelles Plateforme tentait tantôt de se distinguer de Droit et justice pour conserver sa base électorale libérale, tantôt de se rapprocher des positions conservatrices de ses rivaux, et même de surenchérir par rapport à eux. Le succès n'a été que partiel : avec 24,14 % des voix aux législatives et 45,96 % pour son candidat au second tour de l'élection présidentielle, Plateforme est aujourd'hui la deuxième force politique du pays, ce qui est en deçà de ses ambitions affichées. Préoccupés par leurs difficultés de positionnement politique et sans défense face à la critique de Droit et justice qui collait à leur parti une étiquette ultra-libérale, élitiste, et aussi celle du "parti de l'étranger", c'est le cœur lourd que les leaders de Plateforme se sont attelés à la formation d'une coalition gouvernementale avec leurs rivaux, prévue depuis longtemps.

2. Echec de la coalition, formation et fonctionnement du gouvernement minoritaire

Plateforme apparaissait comme le partenaire naturel de coalition de Droit et justice même si le compromis entre les deux partis a toujours semblé difficile. En effet, tout au long de la campagne pour les élections législatives, le programme économique et social d'une telle coalition gouvernementale n'était pas clairement défini. Plateforme proposait un taux d'imposition unique sur les revenus et sur les sociétés (15 % dans les deux cas, sans aucune progressivité), soulignait la nécessité d'attirer les investissements étrangers, de promouvoir les privatisations et faisait de l'euro une priorité pour la Pologne. Droit et justice, de son côté, souhaitait conserver des taux d'imposition progressifs et bien plus élevés (18 % et 32 %) que ce que proposait Plateforme [5], en insistant notamment sur le danger du rachat des entreprises polonaises par des sociétés étrangères et restait eurosceptique et très vague sur la question de l'euro. L'incompatibilité entre les deux partenaires était importante, mais ils étaient réunis par leur appartenance au camp post-Solidarnosc, par leur critique virulente des post-communistes sortants et par leur désir de prendre enfin un pouvoir qu'ils attendaient avec impatience en observant la lente déconfiture de la gauche.

Si la campagne présidentielle avait ravivé les querelles de personnes (le candidat de Plateforme et le candidat de Droit et justice se sont violemment affrontés, de manière directe et indirecte, entre les deux tours), les négociations entre les deux partis sur la formation d'un gouvernement de coalition ont commencé dans une ambiance pleine d'espoir. Très vite cependant, Plateforme a mesuré la réticence de Droit et justice à lui accorder des portefeuilles. Les vainqueurs des élections entendaient limiter au maximum le nombre des ministres de Plateforme et leur confier des postes de second rang, tout en se réservant les portefeuilles clés : Justice, Intérieur, Défense... Plateforme a donc jugé que son partenaire avait rompu le pré-accord de coalition qui instaurait un rapport de forces un peu plus équilibré. Après un débat houleux, le bureau du parti libéral a décidé de refuser de former une coalition avec Droit et justice et d'entrer dans l'opposition.

Tout au long de ce processus avorté, les leaders de Droit et justice ont insisté sur leur souhait profond de parvenir à un accord avec Plateforme, sans toutefois que leurs paroles ne soient suivies d'effet. A la fin du mois d'octobre 2005, le candidat au poste de Premier ministre, Kazimierz Marcinkiewicz, déclarait même qu'il ne prendrait jamais la tête d'un gouvernement qui ne serait pas une coalition avec Plateforme. A peine deux semaines plus tard, son gouvernement minoritaire était investi avec le soutien :

d'Autodéfense (Samoobrona), parti souvent décrit comme populiste, défenseur des "laissés pour compte" et des agriculteurs, qui s'efforce maintenant de faire une transition vers la social-démocratie. Autodéfense a recueilli 11,41 % des voix en 2005, et 20 % en milieu rural,

de la Ligue des familles polonaises, parti d'extrême-droite ultra-nationaliste et catholique, entré au Parlement avec 7,97 % (12 % en milieu rural et 11 % parmi les personnes âgées de plus de 60 ans),

et du Parti populaire polonais (PSL), représentant historique du monde rural, en marge de l'arène politique depuis quelques années, ce dont témoigne son score de 6,96 % en 2005 (13 % en milieu rural).

Ces trois partis ont fait croire jusqu'au dernier moment que leur soutien au gouvernement n'était pas acquis. Pourtant, malgré des marchandages de dernière minute, trois gestes forts émanant de Droit et justice avaient permis de sceller le pacte garantissant leur soutien lors de l'investiture :

Autodéfense a obtenu la vice-présidence de la Diète pour son leader, Andrzej Lepper, malgré le caractère très controversé de sa personne et l'opposition de Plateforme à sa candidature ;

le leader de la Ligue des familles polonaises, Roman Giertych, est devenu président de la commission parlementaire des services spéciaux, poste qui revient normalement à un représentant de l'opposition parlementaire, dans un souci de respect des contre-pouvoirs ;

des mesures favorisant la production et la vente de biocarburants ont été promises au Parti populaire polonais. Les agriculteurs font un lobbying acharné dans ce sens depuis des années.

La Diète a confortablement voté la confiance au gouvernement le 10 novembre 2005, avec 272 voix pour (la majorité simple, soit 230 voix, étant suffisante), 187 voix contre et aucune abstention. Malgré l'investiture facile du gouvernement par le parlement, la coexistence de Droit et justice avec Autodéfense et la Ligue s'avère compliquée, à cause de la nécessité de bénéficier du soutien de ces deux partis à chaque vote à la Diète et la possibilité pour ces deux formations de faire monter les enchères. Désormais, chaque projet de loi a un prix, que Droit et justice doit payer pour s'assurer les voix de ses partenaires radicaux. Et ce prix a tendance à augmenter très vite. Il a déjà atteint un niveau très élevé lorsque le leader d'Autodéfense, Andrzej Lepper, a exigé d'entrer dans le gouvernement et de placer ses hommes à l'échelon régional. La Ligue des familles, quant à elle, avait demandé au cours du premier mois suivant l'investiture, l'extension à tous les foyers polonais d'une nouvelle prime de naissance destinée aux plus démunis afin de "favoriser toutes les familles", et exigé la démission du Ministre du Trésor qui souhaitait ouvrir le processus de vente d'un complexe énergétique à une compagnie espagnole. N'ayant obtenu ni l'un ni l'autre, la Ligue a annoncé qu'elle retirait son soutien systématique au gouvernement et n'allait désormais le soutenir que de manière ponctuelle.

S'il entend bien de pas se laisser prendre en otage par ses partenaires, le gouvernement minoritaire de Marcinkiewicz se trouve dans une situation difficilement tenable à long terme.

3. La "Quatrième République" en marche

Trois scenarii sont envisageables pour Droit et justice :

Tenter de maintenir en place le gouvernement minoritaire et s'assurer le soutien d'Autodéfense et de la Ligue des familles en les menaçant d'élections anticipées et en les vassalisant davantage. Ces deux petits partis ne souhaitent pas la tenue prochaine d'élections car leurs scores dans les sondages sont en baisse, sans doute à cause de l'attrait qu'exerce Droit et justice sur une partie de leurs électeurs. Selon les sondages les plus récents, la Ligue des familles ne franchirait pas la barre des 5 % aujourd'hui [6]. Cependant, nous l'avons dit, préserver le statu quo est une tache difficile.

Organiser des élections anticipées au printemps 2006 pour obtenir cette fois-ci la majorité absolue au Parlement. Cela serait possible si le Parlement ne parvient pas à voter la "correction budgétaire" (modifications apportées par le gouvernement au budget 2006 voté par l'Assemblée précédente). Dans ce cas, le président de la République peut dissoudre le Parlement. Le président Kaczynski, investi en décembre 2005, serait prêt à le faire à la demande de son parti. Certains membres de l'opposition s'attendent à ce que le gouvernement démissionne pour permettre des élections anticipées. Dans un entretien à Gazeta Wyborcza le 4 janvier 2006, Jan Rokita de Plateforme civique estime que la démission du ministre du Trésor survenue la veille, le fait qu'il ne soit pas remplacé au sein du gouvernement, ainsi que des rumeurs sur un éventuel départ du ministre des Finances et du ministre du travail, sont les premiers signes d'une progressive désagrégation du gouvernement Marcinkiewicz qui serait déjà sur la voie vers des élections anticipées. Cette solution est risquée. Elle pourrait déboucher de nouveau sur un gouvernement minoritaire qui briguerait le soutien de petits partis. Il n'est par ailleurs pas garanti que les électeurs se déplaceront en masse pour un nouveau scrutin. Droit et justice a en outre déjà évoqué l'idée d'avancer les élections locales au printemps 2006 (au lieu de l'automne 2006) pour pallier le vide du pouvoir à la mairie de Varsovie (Lech Kaczynski a cessé d'être maire à son investiture à la Présidence de la République le 23 décembre 2005).

Former une coalition gouvernementale avec Plateforme. Ce serait le retour à la case départ, et il n'est pas certain que les deux partis soient prêts à faire les concessions nécessaires. L'électorat de Plateforme a une opinion négative de Droit et justice, surtout depuis les événements de l'automne dernier. Rien n'indique que les vainqueurs des élections soient capables de partager le pouvoir avec leurs rivaux.

Les élections anticipées apparaissent comme la solution qui pourrait permettre à Droit et justice de gouverner seuls. Cette option s'accorderait avec la stratégie de monopolisation du pouvoir mise en place par les frères Kaczynski, dont l'aboutissement serait la réélection de Lech Kaczynski au fauteuil présidentiel en 2010. Pour pouvoir consacrer ses forces à la réalisation de cet objectif, Droit et justice préférerait évidemment ne pas avoir besoin de composer avec des partenaires.

Mais au-delà des conséquences à court terme de ces différents scénarios, il est important de souligner la signification plus globale des récents changements en Pologne. Pour la première fois, les principaux héritiers de Solidarnosc, deux grands partis de droite, ne se retrouvent pas du même côté de la barrière. Droit et justice obtient le soutien d'Autodéfense, un parti qui non seulement ne plonge pas ses racines dans Solidarnosc, mais qui est aussi partiellement composé de post-communistes, et du Parti populaire polonais, qui a participé à plusieurs reprises à des coalitions gouvernementales avec les post-communistes. Pourtant, Plateforme semble bien plus proche des post-communistes réformés et pro-européens qu'elle côtoie dans l'opposition que de son ancien partenaire Droit et justice. Les anciens clivages historiques et culturels qui opposaient anti- et post-communistes volent ainsi en éclats. Certains commentateurs n'ont pas hésité à employer le terme de changement "civilisationnel" face à cette situation inédite qui fait fi des grilles de lecture droite/gauche :

Du côté de la majorité, une "coalition rampante" [7] de conservateurs d'origines diverses, réunis à la fois par des intérêts immédiats mais aussi, de manière plus durable, par des convergences idéologiques. Le candidat perdant de Plateforme à l'élection présidentielle, Donald Tusk, les a surnommés "la coalition de mohair", faisant référence aux "bérets en mohair", considérés comme le couvre-chef privilégié des femmes du troisième âge qui composeraient l'essentiel de l'électorat ultra-catholique de la Ligue des familles polonaises.

Dans l'opposition, l'Union de la gauche démocratique, parti social-démocrate post-communiste qui a accompagné l'adhésion de la Pologne à l'UE et mis en place des réformes libérales ; et Plateforme civique, parti libéral post-Solidarnosc. Par opposition aux "bérets en mohair", le leader d'Autodéfense les a baptisés "les chapeaux de velours".

Si, pour reprendre ce "bon mot" populiste, les "bérets en mohair" ont pour l'instant gagné contre les "chapeaux de velours", il faut surtout retenir que la politique polonaise entre dans une nouvelle ère, marquée par des clivages plus évolués et plus pertinents que l'opposition historique entre anti- et post-communistes. La ligne de partage politique - mais aussi culturel - au sein de l'électorat passe clairement entre conservateurs et libéraux, d'un point de vue économique, social, sociétal et moral. La démocratie polonaise semble connaître une nouvelle étape de son développement avec cette transformation, en gestation depuis quelques années. En seize ans de régime démocratique, la Pologne a évolué vers un modèle qui conserve ses particularités nationales mais se structure autour d'une ligne de partage passant entre conservatisme et libéralisme. Les "Anciens" et les "Modernes" ne sont plus les mêmes qu'hier.

II - Quel programme d'action aujourd'hui et quelles relations possibles avec l'Union européenne?

Droit et justice a été élu sur un programme vaste, et presque trop séduisant. Ce programme est fondé sur un pari : il serait possible de créer les conditions pour une croissance élevée et une économie compétitive, tout en renforçant un Etat providence fortement centralisé et en maximisant la solidarité nationale. Dans ce sens, on pourrait considérer qu'il s'agit d'un programme ambitieux.

Le projet de Droit et justice repose moins sur la réforme économique ou la modernisation de l'Etat que sur la "refondation" de l'Etat, selon le vocabulaire employé par le Premier ministre Kazimierz Marcinkiewicz dans son discours de politique générale [8]. Il s'agit avant tout de restaurer l'autorité de l'Etat, de renforcer ses structures et de développer ses prestations : réaffirmer ses fonctions régaliennes, garder sous son contrôle les grandes entreprises nationales, assurer un niveau élevé de protection sociale, combattre la corruption et le gaspillage, surveiller et punir de manière efficace. A en croire Kazimierz Marcinkiewicz, l'Etat polonais serait actuellement "cassé comme une machine qui ne fonctionne plus" et "pourri au sens moral" [9]. Ce constat appelle des mesures radicales, dont certaines peuvent entrer en conflit avec l'appartenance de la Pologne à l'Union européenne, en allant à contre-courant des contraintes et des devoirs inhérents au rôle européen de la Pologne, même si, dès ses premiers jours au pouvoir, Droit et justice a su faire preuve d'une certaine dose de pragmatisme.

Posée de manière provocatrice, la question serait de savoir s'il vaut mieux pour la Pologne et pour sa place au sein de l'Europe que Droit et justice tienne ses promesses électorales, ou bien qu'il ne les tienne pas. La réponse ne peut être que nuancée. La faible marge de manœuvre politique dont dispose le gouvernement minoritaire pourrait contraindre Droit et justice à réaliser aussi en partie le programme de ses soutiens, Autodéfense et la Ligue des familles. Le manque de moyens économiques et financiers - qui risque de se faire ressentir rapidement étant donné le caractère très redistributif de la politique envisagée par le gouvernement - peut le conduire à exécuter un programme plus libéral que prévu. Surtout, des difficultés dans la réalisation de certains projets clés en matière sociale peuvent tout naturellement conduire le gouvernement à multiplier les effets d'annonce dans d'autres domaines pour détourner l'attention de l'électorat.

1.Les promesses : une politique économique et sociale qui "n'a pas de prix"

Dans son discours de politique générale (qui reste, deux mois après l'investiture du gouvernement, le principal document de référence concernant l'action que mènera l'exécutif), Kazimierz Marcinkiewicz met en garde : "Nombre d'hommes politiques, et d'experts et d'éditorialistes qui les secondent, soulèvent la question de 'combien ça va coûter' à chaque discussion sur les objectifs des politiques publiques, en suggérant clairement que sans doute 'ça va coûter trop cher [...] le souci des affaires dont dépend l'existence indépendante de la Pologne et le sort de la nation, ne devrait pas être envisagé de manière bornée, avec une logique purement comptable. Même si tout doit coûter, certaines choses n'ont pas de prix. L'intérêt national ne peut pas être soumis à un appel d'offres".

Un tel discours résonne de façon rassurante dans un pays dont la situation économique reste difficile malgré un certain retour de la croissance (environ 3,5 % en 2005, avec une prévision de 4,3 % à 4,5 % pour 2006). Un Premier ministre qui ne parle pas du besoin de se "serrer la ceinture" est toujours le bienvenu. Le projet de politique sociale du gouvernement prévoit de consacrer des sommes importantes au financement d'allocations et de prestations en faveur des plus démunis, mais surtout des familles. Il semble que la famille remplace l'individu dans le programme social du gouvernement, qui revendique une politique "résolument pro-familiale". Il s'agit non seulement de lutter contre la pauvreté, mais aussi de favoriser la natalité : allongement du congé maternité, augmentation de divers crédits d'impôt et des allocations familiales, régime fiscal clairement désavantageux pour les célibataires sans enfant.

Si Droit et justice préfère éviter de dire "combien ça coûte", l'argent doit venir de la croissance économique et non de hausses d'impôts, ni principalement d'économies réalisées sur la fonction publique. Il est donc probable que le gouvernement soit obligé de mener une politique économique plus libérale que celle qu'il a promise, de financer les dépenses avec des privatisations et de veiller à soutenir le flot d'investissements directs étrangers (estimés à 10 milliards d'euros en 2005). L'antilibéralisme affiché par Droit et justice lors des campagnes électorales servait avant tout à discréditer les candidats de Plateforme et à faire en sorte que leur idée d'impôt à taux unique effraie les électeurs aux revenus modestes. Cette stratégie semble avoir plutôt bien fonctionné. Une fois au pouvoir, les vainqueurs se montrent toutefois plus pragmatiques et moins populistes. Au bout d'un mois, ils ont revu leur premier objectif de baisse du déficit budgétaire en 2006 : celui-ci devrait diminuer de 1,5 milliard de zlotys, au lieu des 2 milliards annoncés précédemment. Par ailleurs, à peine investi, le gouvernement avait avoué ne pas pouvoir tenir sa promesse de construire 3 millions de logements en cinq ans, et même le chiffre révisé d'1,5 million de logements n'est plus évoqué.

C'est le chômage qui posera sans doute le plus grand problème au nouveau gouvernement, comme cela a été le cas pour ceux qui l'ont précédé. Le taux de chômage actuel est de 17 % et, selon certaines analyses, il frôlerait les 40 % chez les jeunes. Droit et justice ne semble pas encore avoir formulé de propositions claires pour améliorer cette situation. La Pologne risque d'avoir encore longtemps le plus fort taux de chômage de l'Union européenne.

Il ne semble pas qu'il y ait de heurts immédiats entre la politique économique du gouvernement et les exigences européennes, notamment si la nouvelle équipe gouvernante encourage les investissements européens comme l'ont fait ses prédécesseurs – ce qui est probable malgré le discours tenu par Droit et justice lors des campagnes électorales –, et si le gouvernement n'est pas contraint de faire trop de concessions à la Ligue des familles sur la question des privatisations. Le temps montrera si le gouvernement met réellement en œuvre ses projets de dépenses, au point de ne pas pouvoir tenir ses promesses de baisse du déficit budgétaire. Actuellement estimé à 3,4 % du PIB en 2005, 3,6 % en 2006 et 3,3 % en 2007 [10], celui-ci n'est pas catastrophique pour un nouvel Etat membre de l'UE. Cependant, ces chiffres revêtent une signification dans la perspective de l'adhésion à l'euro, pour laquelle la plupart des nouveaux Etats membres se sont déjà fixé un objectif en termes de date et un calendrier. Or le gouvernement Droit et justice ne considère pas l'adhésion à la zone euro comme une priorité et n'y fait presque jamais référence. Cette perspective ne semble pas intéresser les actuels gouvernants polonais, préoccupés par la sauvegarde de la souveraineté nationale. Le Premier ministre Marcinkiewicz a parlé de la convergence économique vers les critères de Maastricht comme d'un "processus naturel" qui prendra autant de temps qu'il faudra [11]. Et ce n'est pas en restant dans un rapport de soutien avec la Ligue des familles, parti proposant le retrait de la Pologne de l'UE, que Droit et justice soulèvera la question. Signalons que l'annonce de la réduction, par rapport à la proposition de la présidence luxembourgeoise, du montant des fonds européens prévus pour les nouveaux Etats membres pour la période 2007-2013, avait poussé la Ligue des familles à proposer que la Pologne arrête de payer sa contribution au budget européen car l'Union aurait cessé d'être "rentable" pour les Polonais. La coopération avec un parti aussi radicalement anti-européen risque de ne pas être toujours facile pour Droit et justice.

Finalement, le Conseil européen de décembre 2005 et le compromis sur les perspectives financières 2007-2013 ont été perçus en Pologne comme une grande victoire du gouvernement, qui a su défendre les intérêts du pays en obtenant 59,65 milliards d'euros sur la période de 6 ans, au titre des fonds structurels et de cohésion (soit 2 milliards de moins que ne le proposait la présidence luxembourgeoise, mais 3 milliards de plus que la proposition britannique initiale). A l'occasion de ce Conseil, la Pologne, la France et l'Allemagne ont ressuscité le "Triangle de Weimar" en s'alliant contre le maintien du rabais britannique. Les questions budgétaires sont devenues un vecteur de rapprochement entre la Pologne et les deux grandes puissances européennes avec lesquelles ses relations s'étaient dégradées au cours des dernières années. Mais cette alliance tactique survivra-t-elle aux tentatives de la Pologne – gouvernée par des pragmatiques – de faire jouer son avantage compétitif en Europe pour attirer des investissements, en s'opposant à une harmonisation trop poussée des régulations dans le domaine social, environnemental ou fiscal, harmonisation souvent prônée par la France et l'Allemagne ? Sur ces questions, il faudra s'allier avec le Royaume-Uni et d'autres pays réticents aux transferts de souveraineté dans les domaines sensibles.

2.Un thème majeur : l'ordre moral à tout prix

Si le gouvernement se trouve contraint de renoncer à certaines promesses faites sur des questions économiques et sociales ou n'arrive pas à prévenir de manière efficace la hausse du chômage et du déficit budgétaire, Droit et justice dispose de plusieurs cartes susceptibles de maintenir sa popularité à un niveau élevé et de prolonger l'état de grâce dont le parti dispose après ses victoires électorales. Il s'agit de son programme de lutte contre la délinquance, de guerre anti-corruption et de répression de courants de la société civile qui expriment des opinions et des revendications contraires à la Weltanschauung conservatrice, catholique et nationaliste propre au parti arrivé au pouvoir et à ses soutiens parlementaires.

Sur ces trois séries de questions, Droit et justice s'inspire de l'expérience de Lech Kaczynski, au ministère de la Justice puis à la mairie de Varsovie, pour agir de manière très ferme. Sur le plan de la délinquance, le gouvernement prévoit entre autres d'augmenter les peines s'appliquant aux crimes les plus graves, d'introduire des procédures de confiscation des biens de personnes condamnées pour activités mafieuses ou pour corruption, d'accélérer le travail des tribunaux grâce à des procédures spéciales devant le juge des référés. Pour combattre la corruption, il est prévu de créer une nouvelle agence de l'Etat chargée exclusivement de ce domaine, qui empiéterait sur les compétences d'institutions existantes et serait ainsi le huitième service de l'Etat habilité à utiliser des "méthodes opérationnelles", comme les écoutes et d'autres procédés en violation des libertés publiques [12]. En outre, cette agence ne serait responsable que devant le Premier ministre et la commission parlementaire des services spéciaux, actuellement présidée, rappelons-le, par le leader de la Ligue des familles.

Par ailleurs, les "affaires" de la précédente équipe gouvernante (les post-communistes réformés de l'Union de la gauche démocratique, impliqués dans de nombreux scandales politico-financiers) sont en train d'être exhumées dans le but de rouvrir des procès. Droit et justice entend traduire certains hauts personnages de la "Troisième République" polonaise, et pas uniquement des post-communistes, devant le Tribunal d'Etat (équivalent de la Cour de justice de la République en France). Selon les commentateurs, le Tribunal, qui n'avait jusque-là prononcé que deux condamnations au cours de ses quinze années d'existence, aura sans doute bien plus de travail sous peu, et la liste des personnalités qu'il pourrait juger s'allonge. Entièrement renouvelé à chaque nouvelle législature, le Tribunal, dont les membres sont élus par les parlementaires, reflète le rapport des forces à la Diète ; il est dans sa composition actuelle favorable à la politique de Droit et justice.

De surcroît, la répression de manifestations pacifiques contre l'homophobie a pu émouvoir des organisations gay et lesbiennes dans toute l'UE (notamment la fédération ILGA Europe) et inquiéter certains parlementaires européens. Une manifestation a été réprimée par la police à Poznan, et l'action des forces de l'ordre a reçu les louanges du Premier ministre. Une série de rassemblements de soutien aux "tabassés" de Poznan a eu lieu après l'incident dans plusieurs villes polonaises : les courants de la société civile impliqués dans la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et pour la promotion de l'égalité des sexes ne s'attendaient pas à une position aussi intransigeante et idéologiquement marquée de la part de l'exécutif, même si Lech Kaczynski avait déjà interdit, en tant que maire de Varsovie, ce genre de manifestations dans le passé. D'ailleurs, le gouvernement actuel assume pleinement ses valeurs très conservatrices : Kazmierz Marcinkiewicz est le premier chef de gouvernement polonais à avoir accepté, avec quelques-uns de ses ministres, une invitation de Radio Maryja, station religieuse ultra-traditionnelle. Les questions sociétales forment ainsi le meilleur terrain d'entente entre Droit et justice et la Ligue des familles. Un important décalage existe entre les valeurs promues par le gouvernement actuel et celles qui sont liées au principe de non-discrimination dont la protection est de plus en plus codifiée en Europe occidentale et au niveau de l'UE. Ce décalage culturel pourrait déboucher sur des différends de nature politique et juridique.

3.Un terrain glissant : la politique étrangère

Il reste à examiner quels seront les choix de Droit et justice en matière de politique étrangère, domaine qui semble jouer un rôle de second plan dans le programme de ce parti si focalisé sur les affaires intérieures.

Le Premier ministre insiste naturellement sur la nécessité d'assurer la sécurité du pays. La qualité des relations avec les partenaires européens dépendra sans doute du niveau d'engagement de la Pologne dans la réalisation des objectifs de la politique étrangère américaine. Il est possible que le nouveau gouvernement veuille offrir un soutien encore plus inconditionnel que ses prédécesseurs aux Etats-Unis, mais aucun changement particulier n'est annoncé [13]. Certes, lors du discours de politique générale, le Premier ministre a commis l'erreur d'indiquer que la Pologne souhaitait participer au bouclier anti-missile américain, alors qu'en réalité, cette question faisait l'objet de discussions diplomatiques de haut niveau depuis deux ans, et que rien n'avait encore été décidé. La Pologne est ainsi devenue le premier pays au monde à avoir déclaré vouloir faire partie de ce projet, ce qui n'était pas du goût des Etats-Unis, soucieux d'éviter les difficultés inutiles que ce genre de déclarations peut créer dans leurs relations avec la Russie. Marcinkiewicz a dû se rétracter.

Si les Etats-Unis préférent que leurs nouveaux partenaires polonais évitent de telles "gaffes" à l'avenir, le gouvernement Droit et justice semble prêt à faire monter le ton avec la Russie. Cela peut avoir des conséquences néfastes sur la qualité de la participation polonaise à la mise en œuvre de la politique de voisinage européenne à l'est des frontières de l'UE. Trois éléments sont à prendre en compte :

On célèbre actuellement le premier anniversaire de la "Révolution orange" en Ukraine. La Pologne a pu jouer un rôle positif lors de cette crise par sa médiation concertée avec l'Union européenne et se trouver en harmonie avec les objectifs européens. La Pologne se voulait une passerelle entre l'Ukraine et l'Union, facilitant la coopération et, peut-être, l'adhésion de son voisin de l'Est à l'UE. Mais a-t-elle aujourd'hui les moyens politiques d'influencer l'avenir européen de l'Ukraine ?

Les relations russo-polonaises sont dans un état catastrophique, cette dégradation ayant commencé au moment de l'implication de la Pologne dans la Révolution orange. Maintes provocations politiques venues des deux côtés ont marqué l'année écoulée, la dernière en date étant l'interdiction russe d'importer la viande de bœuf polonaise. Le nouveau gouvernement polonais a une réputation nationaliste, et donc anti-russe. Pour l'instant, une amélioration sensible des relations russo-polonaises semble peu probable, malgré la compétence et l'expérience indéniables du ministre des Affaires étrangères Stefan Meller, ancien ambassadeur de Pologne à Paris et à Moscou.

La situation de la minorité polonaise en Biélorussie est très problématique, et les tensions entre cette communauté et les autorités bélarusses atteignent des niveaux sans précédent. En accord avec son idéologie nationaliste, le gouvernement Droit et justice entend prendre la défense de cette minorité nationale et s'opposer au régime dictatorial du président Loukachenko. Cette fermeté annoncée permet au gouvernement minoritaire de marquer des points en Pologne, mais conforte la propagande anti-polonaise virulente des autorités biélorusses, qui accusent le gouvernement polonais d'ingérence et de tentations impérialistes. Cette question exerce en outre une influence négative sur les relations russo-polonaises.

La Pologne pourrait devenir un acteur fondamental de la politique de voisinage européenne si elle travaillait à améliorer ses relations avec la Russie et adoptait vis-à-vis de la Biélorussie une position concertée au préalable avec l'UE. Si ces conditions étaient remplies, la Pologne pourrait apparaître aux yeux des Européens comme un partenaire incontournable dans la définition de la politique de voisinage, comme ce fut le cas pendant et après la Révolution orange. Nous verrons dans quelle mesure le nouveau gouvernement est prêt à mener une politique étrangère en accord avec les orientations et les objectifs définis avec ses partenaires européens.

Une récente conférence réunissant quatre anciens ministres des Affaires étrangères polonais ainsi que le ministre actuel, à la Fondation Batory à Varsovie, a montré que la politique "orientale" de l'Union européenne devrait être, selon tous les intervenants, le domaine d'action prioritaire de la Pologne dans l'Union. A entendre les ministres des Affaires étrangères, la Pologne devrait se montrer particulièrement active pour convaincre ses partenaires européens de parler d'une seule voix à la Russie et de mettre davantage de pression sur ce "grand voisin". Ils entendent attirer l'attention des Européens de l'Ouest sur la politique "néoimpérialiste" de Moscou, selon les termes de Dariusz Rosati, ministre en 1995-1997. La Pologne pourrait y arriver en activant, tour à tour, l'alliance du Triangle de Weimar et se rapprocher des pays très liés avec la Russie, et le groupe de Visegrad – qui depuis longtemps peine à entreprendre des actions communes - éventuellement élargi à l'Autriche. Un tel rôle joué par la Pologne semble plutôt utopique dans la situation actuelle. Il ne semble pas y avoir en Pologne de projet clair en ce qui concerne la contribution polonaise à la politique de voisinage et la politique "orientale" de l'UE, de projet à la mesure de l'importance que le gouvernement actuel (tout comme les gouvernements précédents) accorde à ces questions.

Conclusion

La démocratie polonaise s'est modernisée et affirmée avec l'apparition d'un clivage conservateurs / libéraux sur la scène politique. Le caractère spectaculaire des mesures proposées par Droit et justice et les affrontements sur la question des libertés mettent aujourd'hui la démocratie polonaise à l'épreuve. Il ne semble toutefois pas y avoir de régression durable à l'horizon et les engagements européens de la Pologne ne semblent pas remis en question.

Au Conseil européen du mois de décembre 2005, le nouveau gouvernement polonais a plutôt bien débuté sur la scène européenne à l'occasion de l'élaboration du compromis sur les perspectives financières 2007-2013. Il conviendra néanmoins d'observer avec attention l'utilisation que la Pologne fera au cours des années à venir des aides européennes qui lui sont destinées : c'est l'un des défis auxquels est confronté le gouvernement Droit et justice aujourd'hui. Du point de vue de l'action extérieure de l'Union européenne, il n'est en revanche pas certain que la Pologne de Droit et justice dispose de suffisamment de capital politique auprès de ses partenaires européens pour réussir à se poser en pays fort au sein de l'Union et devenir un acteur clé de la politique de voisinage.


[1] Les députés européens de PiS sont au nombre de 7, tous regroupés au sein de l'UEN, à laquelle ont adhéré également 3 autres députés polonais de PSL.
[2] Sondage Millward Brown SMG/KRC pour le journal Nowy Dzien, réalisé le 30 novembre 2005 sur un échantillon de 530 personnes représentatif de la population polonaise.
[3] La participation a été de 40,57%.
[4] Il s'agit de Jan Maria Rokita qui entendait défendre ainsi le Traité de Nice contre le projet de Traité constitutionnel. Rokita était le candidat de Plateforme pour le poste de Premier ministre au cas où son parti remportait les élections.
[5] Aujourd'hui, il y a trois taux de prélèvements obligatoires sur le revenu : 19 %, 30 % et 40 %, ainsi qu'un taux d'imposition des sociétés de 19 %.
[6] Selon un sondage Millward Brown SMG/KRC du 5 décembre 2005, réalisé auprès d'un échantillon de 408 personnes, si les élections avaient lieu ce jour-là, seuls Droit et justice, Plateforme et l'Union de la gauche démocratique auraient des députés à la Diète. La Ligue ne recueillerait que 3 % des voix.
[7] Titre d'un article de Janina Paradowska dans l'hebdomadaire Polityka, semaine du 19 novembre 2005.
[8] Discours de politique générale devant la Diète, le 10 novembre 2005.
[9] Id. Id.
[10] Chiffres OCDE 2005.
[11] Entretien dans Newsweek (édition polonaise ), semaine du 27 novembre 2005.
[12] Article de Krzysztof Burnetko dans l'hebdomadaire Polityka, semaine du 19.11.2005.
[13] Le gouvernement a décidé en janvier 2006 que les soldats polonais resteront un an de plus en Irak, mais les effectifs seront réduits et l'accent sera mis sur les missions de formation de soldats et policiers irakiens.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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