Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 16 juin dernier, Eiki Nestor (Parti social-démocrate, SDE), président du Riigikogu, chambre unique du Parlement, a convoqué les 101 députés à se réunir en session exceptionnelle le 29 août prochain pour désigner le successeur de Toomas Hendrik Ilves à la présidence de la République.
Élu le 23 septembre 2006 par le collège électoral (par 174 voix contre 162 pour le chef de l'Etat sortant d'alors, Arnold Rüütel), Toomas Hendrik Ilves avait été réélu par le Riigikogu lors du 1er tour de scrutin le 29 août 2011, devenant ainsi le premier président de la République d'Estonie à avoir été désigné par le Parlement depuis 1996, année où a été instauré le système actuel de désignation du chef de l'Etat dans le pays. Ayant accompli 2 mandats consécutifs, il ne peut pas se représenter.
Les candidats en lice
A ce jour, 4 personnes se sont déclarées candidates à la magistrature suprême :
- Siim Kallas (Parti de la réforme, ER), ancien commissaire européen aux Transports (2010-2014), à l'Administration, à l'Audit et à la Lutte anti-fraude (2004-2010), ancien Premier ministre (2002-2003) et dirigeant de son parti entre 1994 et 2004 ;
- Mailis Reps (Parti du centre, K), ancienne ministre de l'Education et de la Recherche (2005-2007) ;
- Allar Joks, candidat indépendant soutenu par l'Union pour la patrie Res Publica (IRL) et le Parti libre d'Estonie (EVA), avocat, ancien juge ;
- Eiki Nestor (Parti social-démocrate, SDE), actuel président du Riigikogu.
D'autres candidats(es) pourraient concourir pour l'élection présidentielle du 29 août, dont Mart Helme, dirigeant du Parti populaire conservateur (EKRE) car la liste définitive sera close 4 jours seulement avant le scrutin.
Une élection qui divise les partis politiques
L'élection du président de la République est un moment important de la vie des partis en Estonie. Les deux principaux - le Parti de la réforme et le Parti du centre - se sont divisés lors de la désignation de leur candidat.
Siim Kallas a été la première personnalité à annoncer sa candidature. Il a lancé sa campagne le 16 avril dernier en prononçant un discours demandant un Etat plus libéral et plus pragmatique mais n'a été investi que le 3 août par le Parti de la réforme. Huit jours plus tard, il a indiqué dans le quotidien Postimees qu'il s'engageait à ne briguer qu'un seul mandat à la tête de l'Etat.
A la fin du mois d'avril, Marina Kaljurand, ancienne diplomate et actuelle ministre des Affaires étrangères, a déclaré qu'elle serait candidate à l'élection présidentielle devant le Collège électoral si le Parlement échouait à designer le chef de l'Etat. N'appartenant à aucun parti politique, elle compte sur le soutien du Parti de la réforme. Elle est, à ce jour, la plus populaire des candidats. Selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut TNS Emor et publiée dans le journal Postimees, elle recueillerait 25% des suffrages si le président de la République était désigné par le peuple. Elle devancerait le dirigeant du Parti du centre Edgar Savisaar, qui obtiendrait 14% des voix, et Allar Joks et Siim Kallas, qui recueilleraient chacun 11%.
Au sein du Parti de la réforme, Siim Kallas est soutenu par les membres les plus anciens quand la nouvelle génération préfèrerait voir Marina Kaljurand accéder à la tête de l'Etat. Siim Kallas a indiqué ne pas avoir l'intention de se retirer de la course présidentielle s'il ne parvient pas à être élu par le Parlement à l'issue des 3 tours de scrutin.
Le Parti du centre a désigné le 11 juin dernier Mailis Reps comme candidate. L'ancienne ministre de l'Education et de la Recherche a obtenu 90 voix contre 78 au dirigeant du parti Edgar Savisaar. Beaucoup d'observateurs ont vu dans ce résultat, un échec pour le leader du parti et le signe d'une évolution en cours.
" Nous avons intérêt à l'unité de notre pays et à entretenir de bonnes et constructives relations avec tous nos voisins, y compris avec les Russes " affirme Mailis Reps, qui a promis d'œuvrer à faire évoluer le scrutin présidentiel vers une élection au suffrage universel direct.
Allar Joks a lancé sa candidature avec le soutien de 14 personnalités publiques (Andrei Soritsa, Annika Uudelepp, Jaan Pillesaar, Joel Volkov, Juri Kao, Juri Saar, Mall Hellam, Mihhail Lotman, Peeter Volkonski, Raivo Vare, Rein Einasto, Teet Reedi, Terje Kross et Tiit Ojasoo). Il est connu pour son sens éthique et son combat contre la corruption. Ces derniers mois, il a parcouru le pays, visité 70 communes et rencontré 90 élus locaux. " 95% de mes réunions m'ont montré que la politique étrangère était un élément important mais que le président de la République devait également faire davantage pour améliorer la vie des Estoniens " a-t-il déclaré.
" Les partis n'ont pas toutes les mêmes objectifs. Ainsi, l'Union pour la patrie Res Publica pourrait tout faire pour que le chef de l'Etat soit désigné par le Collège électoral devant lequel son candidat Allar Joks possède de meilleures chances. Le Parti social-démocrate, à l'inverse, préfèrerait voir le président de la République élu par le Riigikogu " affirme Tonis Saarts politologue à l'université de Tallinn.
Son collègue de l'université de Tartu, Andres Kasekamp, parle de " non adéquation " entre les attentes des Estoniens et la réalité : " Les gens veulent un président doté de pouvoirs et de compétences que la Constitution actuelle ne lui accorde pas. Dans le pays, le chef de l'Etat n'a qu'un rôle symbolique et représentatif ".
La fonction présidentielle et les modalités du scrutin
La fonction de chef de l'Etat est, en Estonie, essentiellement honorifique. Chef des forces armées, il représente le pays sur la scène internationale, conclut les traités avec les Etats étrangers, accrédite et reçoit les représentants diplomatiques. Le président de la République possède également le droit de rédiger des amendements à la Constitution.
Il est élu au suffrage indirect. Toute personne âgée d'au moins 40 ans peut se porter candidate à la fonction suprême. Pour participer au scrutin, elle doit être investie par au moins 1/5e des 101 membres du Riigikogu, soit 21 députés. Elu pour 5 ans, le chef de l'Etat ne peut rester en poste plus de 2 mandats consécutifs.
L'élection présidentielle se déroule en premier lieu au sein du Parlement. Lors du 1er tour de scrutin, le candidat qui recueille au moins les 2/3 des suffrages des 101 députés (soit 68 voix) est déclaré élu. Dans le cas où aucun candidat ne parvient à obtenir ce nombre de voix, un 2e tour de scrutin est organisé le lendemain, suivi d'un 3e tour (avec les 2 candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages) le cas échéant. Si aucun candidat n'obtient suffisamment de voix pour pouvoir accéder à la fonction suprême à l'issue de ces 3 tours, le président du Riigikogu convoque alors dans les 30 jours le Collège électoral (Valimiskogu) qui sera alors chargé d'élire le futur chef de l'Etat.
Le Collège électoral rassemble les 101 députés et les membres des assemblées représentatives des 213 municipalités que compte l'Estonie (10 représentants pour Tallinn, 7 pour Tartu, 2 pour Parnu, Narva, Kohtla-Jarve, Viljandi, Rakvere, Kuresaare et Voru et 1 pour les 204 autres communes). Leur nombre peut varier selon les années en raison des changements apportées par les réformes administratives territoriales.
Lors du vote du Collège électoral, de nouvelles personnalités peuvent se porter candidates à l'élection présidentielle (tout groupe rassemblant au moins 21 membres du Collège peut présenter un candidat). Lors de ce scrutin, toute personne qui recueille la majorité absolue des voix est déclarée élue. Si cette majorité n'est pas atteinte, un 2e tour est organisé le même jour et le candidat qui obtient la majorité des suffrages est alors déclaré élu. Depuis 1996, le Collège électoral a été convoqué à 3 reprises : en 1996, 2001 et 2006. Dans cette assemblée électorale, le rapport de force est largement favorable aux pouvoirs locaux puisque le Collège est composé au 2/3 de représentants des communes.
Si, hypothèse toutefois assez improbable, les grands électeurs ne parvenaient pas à désigner le prochain président de la République, cette fonction reviendrait alors, de nouveau, aux 101 membres du Riigikogu. Un nouveau scrutin se déroulerait dans les 14 jours suivants.
Interrogés sur les modalités de l'élection présidentielle en Estonie dans une émission télévisée il y a quelques jours, Eiki Nestor a été le seul candidat à soutenir le système actuel. Siim Kallas a indiqué que si le chef de l'Etat était élu au suffrage universel, les compétences de ce dernier comme celles du Premier ministre devraient être redéfinies. Allar Joks a précisé que l'on ne devait pas avoir peur de donner au peuple le pouvoir de désigner le président de la République. Il a ajouté qu'un scrutin direct éviterait les négociations de couloir entre les partis. Mailis Reps s'est déclarée très favorable à une modification du mode de scrutin actuel.
Selon le quotidien Postimees, le Parlement estonien devrait échouer à élire le successeur de Toomas Hendrik Ilves le 29 août. Les 4 candidats officiels devraient recueillir le même nombre de voix que celui qui leur a permis de se présenter au scrutin. Le journal a pris contact avec 91 des 101 députés auxquels il a demandé leurs première et deuxième préférences. Selon les réponses de ces derniers, Siim Kallas et Mailis Reps devraient être les deux personnalités à obtenir le plus grand nombre de suffrages et à atteindre le 3e tour de scrutin.
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