Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Les citoyens britanniques, ainsi que ceux des pays du Commonwealth ou de l'Irlande résidant au Royaume-Uni et inscrits sur les listes électorales du Royaume-Uni depuis au moins 15 ans, les citoyens du Commonwealth résidant à Gibraltar et les membres de la Chambre des Lords décideront le 23 juin prochain de l'avenir du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne. Ils sont appelés à répondre à la question suivante : "Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ?" (Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union?)
Les Britanniques vivant à l'étranger sont également autorisés à participer au référendum. Pour ce faire, ils doivent avoir été inscrits sur les listes électorales avant de quitter le Royaume-Uni, vivre à l'étranger depuis moins de 15 ans et s'être enregistrés avant le 16 mai [1].
La campagne officielle pour le référendum a débuté le 15 avril dernier, un mauvais moment pour le Premier ministre David Cameron (Parti conservateur), dont le nom est apparu à ce moment précis dans la liste des détenteurs de comptes dans les paradis fiscaux du Panama. La publication de documents confidentiels issus du cabinet d'avocats panaméen Mossack-Fonseca a en effet révélé que le chef du gouvernement britannique avait omis de notifier les parts qu'il possédait dans le compte offshore de son père dans la déclaration de patrimoine qu'il a effectuée lors de sa prise de fonction.
La genèse du vote du 23 juin
En janvier 2013 [2], le Premier ministre David Cameron s'est engagé à organiser un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne d'ici la fin de l'année 2017 en cas de victoire de son parti aux élections législatives prévues en mai 2015. Il existait alors au sein de son parti de vives dissensions sur l'Europe et il entendait par là les calmer. Reconduit au 10 Downing Street avec la majorité absolue le 7 mai 2015, David Cameron a rapidement commencé à négocier avec ses partenaires européens dans le but d'obtenir certaines mesures favorables à son pays en échange du soutien du gouvernement britannique au maintien de Londres au sein de l'Union européenne lors du référendum.
Le 19 février dernier, le Conseil européen [3] a donc adopté un projet qui octroie un "statut spécial" au Royaume-Uni qui s'appliquera si le pays choisit de rester dans l'Union européenne. Le texte indique que "l'union sans cesse plus étroite" mentionnée dans les traités européens ne signifie pas une avancée vers plus d'intégration et ne s'impose pas au Royaume-Uni. Il stipule qu'une majorité de 55% des parlements nationaux pourra désormais disposer d'un "carton rouge" pour bloquer un projet de directive européenne et qu'un "frein d'urgence" (emergency brake) en matière d'accès des immigrés européens à certaines prestations sociales sera mis en place pour une période définie en cas de "saturation des services publics".
Les mesures obtenues par David Cameron n'ont cependant absolument pas convaincu les eurosceptiques britanniques.
Le vote du 23 juin prochain est capital, pour le Royaume-Uni et pour l'Union européenne. "Le référendum est plus important que des élections législatives et représente la chance d'une vie pour une génération de Britanniques" a déclaré David Cameron.
Si le Royaume-Uni décide de quitter l'Union européenne, il ne bénéficiera plus des dispositions du marché unique et devra renégocier l'ensemble des relations commerciales qu'il entretient, avec l'Union européenne comme avec tous les Etats liés à cette dernière par un traité. De même, Londres n'émargera plus à aucun fonds européen (agricole, régional, social, etc.).
Si David Cameron et la très grande majorité de son gouvernement se sont engagés en faveur du maintien du pays au sein de l'UE, le Parti conservateur reste très divisé sur le sujet. Le dirigeant du parti travailliste, Jeremy Corbyn, fait mollement campagne et a annoncé qu'il prendra des vacances! Les deux dirigeants ont été désavoués lors des élections locales et régionales qui se sont tenues le 5 mai dernier. Le chef du gouvernement a échoué à conserver la mairie de Londres : son candidat Zac Goldsmith a été battu par le travailliste Sadiq Khan. De son côté, Jeremy Corbyn a subi un revers en Ecosse.
Enfin, comme de nombreux pays européens, le Royaume-Uni est touché par le rejet de la classe politique traditionnelle, ce qui fait que toute campagne électorale, et notamment celle d'un référendum, constitue un exercice périlleux.
Les dernières enquêtes d'opinion donnent partisans et adversaires du "Brexit" au coude-à-coude avec un léger avantage à ces derniers.
Les enquêtes d'opinion montrent que les Britanniques les plus âgés (+ de 55 ans) sont plus enclins à souhaiter que leur pays quitte l'Union européenne (environ 70%) tandis que les plus jeunes (- de 25 ans) sont majoritairement favorables au maintien (75%).
"Les gens sont tiraillés entre des intérêts contradictoires. Beaucoup pensent qu'une sortie aurait un impact négatif sur la situation économique, mais ils sont également convaincus qu'un statu quo se traduirait par un accroissement de l'immigration" indique John Curtice, professeur de science politique à l'université Strathclyde de Glasgow. "Le fait de vivre sur une île nous a évité d'être envahis au cours du XXe siècle. Nous avons participé aux deux guerres mondiales, nous avons connu le Blitz, mais, à la différence des autres Etats membres de l'Union européenne, jamais un soldat allemand n'a posé le pied sur notre sol, nous n'avons donc pas vécu ces conflits avec la même intensité. Pour cette raison, et peut-être parce que le projet communautaire n'a pas su s'incarner, nous ne nous sentons pas plus Européens à ce jour qu'il y a 40 ans," ajoute-t-il.
Le camp de la sortie de l'Union
Les partisans du British Exit (Brexit) mettent en avant la nécessité pour les Britanniques de retrouver leur souveraineté, notamment en matière d'immigration qui constitue un facteur majeur d'hostilité à l'égard de l'Union européenne. Favorables au marché unique, ils ne supportent toutefois plus les contraintes des réglementations émises par Bruxelles. Pour eux, l'Union européenne constitue un frein à la puissance économique et à la liberté d'entreprendre, un facteur de risque en raison de son absence de croissance et de la crise de la dette. Le 16 mai, plus de 300 hommes d'affaires, convaincus de meilleures opportunités d'avenir de leurs entreprises hors de l'Union européenne, ont signé un texte dans le quotidien The Daily Telegraph. "En dehors de l'Union européenne, les entreprises britanniques seront libres de croître plus vite, de s'étendre sur de nouveaux marchés et de créer davantage d'emplois. C'est le moment de voter pour partir et de reprendre en main notre destinée. Nous pensons que la compétitivité du Royaume-Uni est sapée par notre appartenance à une Union européenne en plein échec".
Les pro-Brexit regrettent enfin l'absence de responsabilité qui, selon eux, règne au sein de l'Union européenne où il est par exemple impossible de révoquer le Parlement européen par un vote de défiance.
Parmi les partis politiques, le Brexit est l'option défendue depuis toujours par le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP). "Loin d'être un facteur de paix, l'Union européenne a augmenté l'hostilité en Europe" a déclaré son dirigeant Nigel Farage. Le Parti unioniste démocrate (DUP) en Irlande du Nord, l'Alliance du Peuple avant les profits (PBP), parti d'extrême gauche et la Voix unioniste traditionnelle (TUV), sont les 3 autres partis favorables au Brexit.
Certains membres du Parti conservateur au pouvoir sont favorables au retrait du pays de l'Union européenne. L'ancien maire de Londres (2008-2016), Boris Johnson, en est le principal représentant. Selon lui, l'Union européenne est une "vieille idéologie absolutiste incapable de contrôler l'immigration". "Napoléon, Hitler et d'autres ont essayé d'unifier l'Europe et les choses se sont terminées de façon tragique. L'Union européenne poursuit le même objectif en utilisant des méthodes différentes".
Les partisans du maintien dans l'Union européenne
La grande majorité des partis politiques britanniques sont favorables au maintien du pays au sein de l'Union: le Parti travailliste, le Parti libéral-démocrate (Lib-Dem), le Plaid Cymru, le Parti vert, le Parti national écossais (SNP), le Sinn Fein (SF), le Parti social-démocrate et travailliste (SDLP), le Parti Alliance d'Irlande du Nord, le Parti unioniste d'Ulster (UUP) et une large partie des Conservateurs au pouvoir.
Pour convaincre ses compatriotes de voter en faveur du maintien du pays dans l'Union européenne le 23 juin prochain, le Premier ministre David Cameron s'appuie principalement sur la menace que, selon lui, constituerait une sortie "L'économie britannique dépend beaucoup plus de l'Union européenne que l'inverse (...) Bruxelles achète 44% des exportations britanniques (...) 2 millions de Britanniques vivent dans l'un des 27 autres Etats membres de l'Union, profitant du principe de l'égalité de traitement (...) Londres jouit déjà d'un "statut spécial" en Europe" lit-on dans le Processus de retrait de l'Union européenne, document publié par le gouvernement
.
Pour le Premier ministre, une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est "la dernière chose dont l'économie britannique a besoin". "Aucun des arguments en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne peut contrer le choc immédiat et à long terme que subirait l'économie britannique" a-t-il ajouté. "Si nous votons pour sortir de l'Union le 23 juin prochain, nous voterons pour l'augmentation des prix, pour la baisse de l'emploi, pour le ralentissement de la croissance, peut-être même pour une récession" a précisé David Cameron.
"La coopération la plus étroite possible avec nos voisins européens est essentielle (...) C'est dans l'intérêt du Royaume-Uni de maintenir un objectif commun en Europe pour éviter de futurs conflits entre les pays européens" a-t-il encore indiqué, précisant que le Brexit signerait la fin de l'adhésion britannique à la Banque européenne d'investissement (BEI), institution qui a injecté 16 milliards £ dans des projets britanniques au cours des 3 dernières années.
Le chancelier de l'Echiquier (ministre des Finances), George Osborne, évoque une possible récession en cas de sortie [4] : "ou les familles verront leurs revenus reculer à cause d'une inflation plus forte ou la croissance sera plus faible, ce qui pénalisera l'emploi et les salaires. Ce serait un résultat perdant-perdant". Le Département du Trésor a menacé les Britanniques d'un "appauvrissement" et d'une baisse du PIB pouvant aller jusqu'à 9%.
La Banque d'Angleterre (BoE) a également mis les électeurs en garde : "l'économie britannique pourrait connaître une croissance considérablement moins élevée (les prévisions pour le trimestre en cours ont été ramenées à 0,3% au lieu de 0,5%, soit le plus faible taux de croissance depuis le début de la crise), un taux d'inflation nettement plus fort, une chute importante de la livre (la BoE considère que la chute du cours de la monnaie nationale au cours des 6 derniers mois est déjà pour moitié due au climat d'incertitude créé par le référendum) et une hausse du taux du chômage si le Brexit l'emportait dans les urnes". "La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pourrait plonger le pays dans la récession" estime le gouverneur de la Banque Mark Carney, qui a aussi mis en garde contre une baisse des investissements directs étrangers dans le pays en cas de sortie du pays de l'Union "Une proportion substantielle du financement (du déficit des comptes courants) passe par les investissements directs étrangers et il apparaît que l'une des considérations prise en compte pour une partie de ces derniers tient au statut du Royaume-Uni par rapport à l'Union européenne" a-t-il souligné.
Une sortie entrainerait la disparition d'au moins 100 000 emplois dans les services financiers selon une étude du think-tank JWG. La facture du Brexit serait de 22,2 milliards € pour les services financiers britanniques, qui représentent environ 10% du PIB du pays et aucun accord commercial ne pourra plus être négocié avec les 27 autres Etats membres avant une dizaine d'années. "Je ne vais pas vous dire que l'Union européenne est parfaite. C'est une organisation qui a besoin d'être réformée. Mais je pense que les changements que j'ai obtenus sont importants pour le pays, pour le rendre plus fort économiquement. Au niveau mondial, cela nous permettra également d'avancer et de nous protéger du terrorisme" a affirmé David Cameron.
Les travaillistes, et notamment leur dirigeant Jeremy Corbyn, défendent le maintien au sein de l'Union européenne pour pouvoir la modifier. "L'Union européenne pourrait faire tellement mieux si nous avions un gouvernement qui faisait les bons choix et qui avait les bonnes priorités. C'est pourquoi nous votons pour rester en son sein, réformer et travailler au sein de l'Europe afin d'améliorer la vie des gens au Royaume-Uni" a déclaré Jeremy Corbyn. Opposé à l'adhésion de son pays à l'Union européenne en 1975, au traité de Maastricht en 1992, au traité établissant une Constitution pour l'Europe en 2005, au traité de Lisbonne en 2009, le dirigeant du Labour affirme que Bruxelles permet de contenir les velléités libérales des Conservateurs, notamment en matière de dérégulation du marché du travail et de privatisations. En s'engageant pour le maintien, Jeremy Corbyn, représentant de l'aile gauche du parti, joue la carte du rassemblement des travaillistes.
Cependant, contrairement à ce qui s'est passé lors du référendum du 18 septembre 2014 sur l'indépendance de l'Ecosse, le Labour a refusé de faire campagne avec le Parti conservateur. De cette façon, en cas de Brexit, le Labour pourra aisément faire du Premier ministre le responsable de la défaite et non les Travaillistes qui souhaitent eux "changer l'Union".
Enfin, selon les enquêtes d'opinion, les trois quarts des chefs d'entreprises britanniques sont favorables au maintien du pays dans l'Union européenne. Il en va de même pour 282 artistes qui ont signé le 20 mai une tribune dans le quotidien The Guardian "De la plus petite galerie d'art au plus grand blockbuster, nous sommes nombreux à avoir travaillé sur des projets qui n'auraient jamais vu le jour sans le financement indispensable de l'Union européenne ou sans coopération transfrontalière (...) En faisant partie de l'Europe, le Royaume-Uni n'est pas seulement plus forte mais également plus imaginative et plus créative".
Les soutiens externes
Les partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union ont reçu le soutien de nombreux dirigeants étrangers : Shinzo Abe, Xi Jinping et Barack Obama [5]. Le président des Etats-Unis s'est clairement exprimé contre la sortie de Londres de l'Union européenne. "Le Royaume-Uni ne sera pas rapidement en mesure de négocier des accords commerciaux bilatéraux parce que notre priorité à nous Etats-Unis est de négocier avec le grand bloc, l'Union européenne. Le Royaume-Uni se retrouvera en fin de liste" a-t-il averti.
La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a affirmé que si Londres décidait de quitter l'Union européenne, le pays pourrait connaître un krach boursier, une baisse du prix des logements, un effondrement de la livre, une hausse des prix, une récession, la dégradation du statut de Londres comme centre financier mondial et encore la délocalisation du principal marché des changes vers une autre ville située à l'intérieur de la zone euro. "Nous avons examiné tous les scénarios. Nous avons fait notre devoir et nous n'avons rien trouvé de positif à dire sur le Brexit. Celui-ci entraînerait un manque à gagner compris entre 1,5% et 9,5% du PIB britannique et mettrait à mal la domination de Londres comme place financière. L'éventail des conséquences s'étale de plutôt mauvaises à très, très mauvaises" a-t-elle indiqué, ajoutant "Si les Britanniques décident de rester dans l'Union européenne, la croissance pourrait en revanche rebondir et passer d'un peu moins de 2% cette année à 2,2% ou 2,3% à moyen terme".
L'OCDE estime qu'un départ du Royaume-Uni de l'Union européenne provoquerait un "grave choc". La perte de l'accès au marché unique (comme à une cinquantaine de pays liés à Bruxelles par des accords) entraînerait une baisse du PIB britannique de 3% à l'horizon de 2020, soit 2 200 £ (2 839 €) par ménage, et de 5% dix ans plus tard, soit 3 200 £ (4 123 €) par foyer. L'OCDE fixe le coût du Brexit à près de 8 points de PIB.
En quittant l'Union, Londres ferait certes l'économie de son actuelle contribution nette au budget européen, mais celle-ci ne représente que 0,3% à 0,4% du PIB.
"Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous choisirons le grand large" avait affirmé Winston Churchill en 1944. Mais le grand large est-il encore une option dans un monde globalisé lorsque l'on représente 3% de l'économie mondiale et moins de 1% de la population de la planète ?
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