Le président de la République Toomas Hendrik Ilves est candidat à sa propre succession à la tête de l'Estonie

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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25 juillet 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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L'élection présidentielle aura lieu les 29 ou 30 août prochains en Estonie. Les 101 membres du Riigikogu, chambre unique du parlement, sont conviés à désigner le successeur de Toomas Hendrik Ilves à la tête de l'Etat. Le chef de l'Etat en exercice a annoncé en décembre dernier qu'il était candidat à sa propre succession. Il est soutenu par le Parti de la réforme (ER) du Premier ministre Andrus Ansip, l'Union pour la patrie-Res Publica (IRL), membre de la coalition gouvernementale, et le Parti social-démocrate (SDE), parti d'origine de Toomas Hendrik Ilves.

Les 23 députés de l'Union pour la patrie-Res Publica ont d'ores et déjà signé un document pour exprimer leur soutien au chef de l'Etat sortant. "De notre point de vue, Toomas Hendrik Ilves, par son travail, a contribué au développement de la société civile et encouragé le débat sur les problèmes auxquels fait face l'Estonie. Le président de la République a également su prendre des décisions fermes lors des crises qu'a traversées le pays comme lors de la nuit de bronze (nuit d'émeutes qu'a connu le pays en avril 2007) ou lors du scandale du financement du Parti du centre (affaire Vladimir Yakounine)" a déclaré le président du groupe parlementaire de l'Union pour la patrie-Res Publica, Urmas Reinsalu. Les 19 députés du Parti social-démocrate ont également signé un document pour apporter leur soutien au chef de l'Etat sortant. "Les sociaux-démocrates ont soutenu Toomas Hendrik Ilves il y a cinq ans. Nous reconnaissons la qualité de son travail à la tête de l'Etat et nous sommes convaincus qu'il mérite la confiance du peuple et du parlement pour un nouveau mandat" a déclaré le président du parti, Sven Mikser qui a précisé que tout était réuni pour que le parlement puisse faire son travail et élise le président de la République.

Avec les 33 députés du Parti de la réforme, Toomas Hendrik Ilves devrait donc bénéficier du soutien de 75 députés, soit + 7 par rapport à la majorité des 2/3 des suffrages obligatoire pour être élu (68). Le président sortant considère cependant que son deuxième mandat est loin d'être assuré et minimise les propos de ceux, dont Sven Mikser, leader social-démocrate, qui se disent certains que Toomas Hendrik Ilves sera désigné par le Riigikogu.

Le chef de l'Etat sortant sera opposé dans sa course à la magistrature suprême au député européen, l'indépendant Indrek Tarand, qui a été investi à bulletins secrets (par 94 voix contre 7) par le principal parti d'opposition, le Parti du centre (KE) le 18 juin dernier. Indrek Tarand est le fils de l'ancien Premier ministre (1994-1995) et ancien député européen (2004-2009) social-démocrate Andres Tarand. Lors des dernières élections européennes des'4-7 juin 2009, il s'est présenté comme candidat indépendant et est arrivé en deuxième position avec 25,81% des suffrages, soit juste derrière le Parti du centre (26,07%), ralliant sur son nom un grand nombre de votes protestataires.

Indrek Tarand affirme que tout le pays bénéficierait de sa candidature : la société, par l'instauration du débat ; le Parti du centre, par son choix d'un candidat qui renforcera l'Estonie comme Toomas Hendrik Ilves, qui ne mérite pas d'être qualifié de "président des coulisses", ce que l'on ne manquera de faire si le chef de l'Etat sortant est le seul candidat à l'élection présidentielle. "Personnellement, je n'aime pas les élections à un seul candidat. Même la Russie présente deux candidats au scrutin présidentiel" répète Indrek Tarand.

Le leader du Parti du centre, Edgar Savisaar, a déclaré que l'indépendance d'Indrek Tarand lui permettra d'aider les partis politiques à renouer le lien avec la population. Il espère que les députés seront dépasser les injonctions de leurs partis et oseront voter de façon libre.

Le choix d'Indrek Tarand s'explique également par la volonté du Parti du centre de regagner la confiance des électeurs, confiance émoussée après l'affaire dite Vladimir Yakounine rendue publique par le quotidien Postimees qui révélait le 21 décembre 2010 que, selon un rapport de la Kaitsepolitsei (police de sécurité, services secrets estoniens), Edgar Savisaar avait sollicité des fonds auprès du président des chemins de fer russes et ancien officier du KGB, Vladimir Yakounine, à l'occasion d'une visite à Tallinn. Selon les services secrets, l'homme aurait versé 1,5 million € pour la campagne électorale du Parti du centre aux élections législatives du 3 mars 2011 et une somme équivalente pour la construction d'une église orthodoxe à Lasnamäe, ville dont le leader du Parti du centre est le maire.

Mais Edgar Savisaar poursuit peut-être un autre but en soutenant la candidature d'Indrek Tarand. En effet, si ce dernier était élu à la tête de l'Estonie, il devrait abandonner son siège au Parlement européen et celui-ci reviendrait alors à Juri Ratas vice-président de la Saeima et ancien maire de Tallinn (2005-2007). Cette manœuvre permettrait au Parti du centre de détenir avec 3 sièges la moitié des 6 sièges de l'Estonie au Parlement européen mais surtout à Edgar Savisaar de "se débarrasser" de Juri Ratas, actuel candidat à sa succession à la tête du Parti du centre. Le futur leader du parti sera en effet désigné par 1 831 délégués du parti lors du congrès qui se tiendra à Tallinn le 27 août prochain. Edgar Savisaar a déclaré qu'il se présenterait pour un nouveau mandat à la tête du parti. Interrogé sur ce sujet il y a quelques jours, Juri Ratas a clos le débat en répondant qu'Indrek Tarand n'avait aucune chance d'être élu à la présidence de la République.

Les 26 députés du principal parti d'opposition n'ont, à ce jour, pas signé de document pour exprimer leur soutien officiel à Indrek Tarand. Les candidatures à l'élection présidentielle peuvent être enregistrées jusqu'à quatre jours avant le vote, soit jusqu'au 25 août prochain. La présidente du groupe parlementaire centriste, Kadri Simson, a d'ailleurs déclaré que la précipitation avec laquelle les autres groupes du Riigikogu ont apporté leur soutien à Toomas Hendrik Ilves révélait leur "manque de confiance". "Leur but est de mettre la pression sur les députés au bénéfice de Toomas Hendrik Ilves" a-t-elle affirmé.

La fonction présidentielle et les modalités du scrutin

La fonction de chef de l'Etat est, en Estonie, essentiellement honorifique et hautement symbolique. Le président de la République est élu au suffrage indirect. Toute personne âgée d'au moins 40 ans peut se porter candidate à la fonction suprême. Pour participer au scrutin, tout candidat doit cependant être investi par au moins 1/5e des 101 membres du Riigikogu, soit 21 députés au minimum.

Elu pour 5 ans, le président de la République ne peut remplir plus de deux mandats consécutifs. Chef des forces armées, il représente l'Estonie sur la scène internationale, conclut les traités avec les Etats étrangers, accrédite et reçoit les représentants diplomatiques. Le chef de l'Etat possède également le droit de rédiger des amendements à la Constitution.

L'élection présidentielle se déroule en premier lieu au sein du parlement. Lors du 1er tour de scrutin, le candidat qui recueille au moins les 2/3 des suffrages des 101 députés (soit 68 voix) est déclaré élu. Dans le cas où aucun candidat ne parvient à obtenir ce nombre de voix, un 2e tour de scrutin est organisé le lendemain, suivi d'un 3e tour le cas échéant. A l'issue de ces 3 tours, si aucun candidat ne recueille suffisamment de suffrages pour pouvoir accéder à la fonction suprême, le président du Riigikogu convoque alors le Collège électoral (Valimiskogu) qui sera chargé d'élire le futur chef de l'Etat.

Le Collège électoral rassemble les 101 députés et les membres des assemblées représentatives des 227 municipalités que compte l'Estonie (10 représentants pour Tallinn, 7 pour Tartu, 2 pour Pärnu, Narva, Kohtla-Järve, Viljandi, Rakvere, Kuresaare et Võru et 1 pour les 218 autres communes). Leur nombre peut varier selon les années en raison des changements apportées par les réformes administratives territoriales. En 1996, le collège électoral comptait 374 membres (dont 273 représentants locaux), en 2001, 376 (dont 266 représentants locaux) et en 2006, 347 personnes (dont 246 représentants locaux). Lors du vote du collège électoral, de nouvelles personnalités peuvent se porter candidates à l'élection présidentielle (tout groupe rassemblant au moins 21 membres du collège électoral peut présenter un candidat). Toute personne qui recueille la majorité simple des voix est déclarée élue. Si cette majorité n'est pas atteinte, un 2e tour est organisé le même jour et le candidat recueillant la majorité des suffrages est alors déclaré élu.

Si, hypothèse toutefois assez improbable, les grands électeurs ne parviennent pas à désigner le prochain président de la République, cette fonction revient alors, de nouveau, aux 101 membres du Riigikogu. L'élection se déroule dans les 14 jours après l'annonce des résultats négatifs du 2e tour.

Le 23 septembre 2006, le président sortant, Toomas Hendrik Ilves, a été élu par le collège électoral par 174 voix contre 162 pour le chef de l'Etat sortant, Arnold Rüütel, lors du 1er tour (les conseils municipaux de Lihula et de Vihula n'ayant pas été capables de désigner leurs représentants au Collège électoral, le nombre des grands électeurs était de 345 au lieu des 347 initialement prévus).

Le serpent de mer de l'élection du président de la République au suffrage universel direct

Depuis 1996, année où a été mis en place le système actuel de désignation du chef de l'Etat en Estonie, aucun président de la République n'a été élu par le parlement. Envisagée de nombreuses fois durant ces dernières années et plébiscitée par la grande majorité de la population selon toutes les enquêtes d'opinion, la révision de la Constitution pour instituer l'élection au suffrage universel direct a été maintes fois repoussée.

Pourtant, nombreux sont ceux qui souhaitent voir le mode d'élection actuel du président de la République modifié. Le débat autour d'une élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct n'est pas nouveau. Il remonte à la naissance de la Constitution de 1992 et n'a jamais cessé depuis lors. A plusieurs reprises au cours des dernières années, propositions et projets de loi visant à réviser la Loi fondamentale, procédure obligatoire pour modifier le mode d'élection du chef de l'Etat, ont été déposés au parlement, mais toujours en vain. Il y a quelques années, la coalition gouvernementale réunissant le Parti Res Publica, le Parti de la réforme et l'Union du peuple s'était engagée à soumettre à référendum, le même jour que les élections au Parlement européen (13 juin 2004), un projet de loi qui remplaçait l'actuel système d'élection du chef de l'Etat par le suffrage universel direct. En raison de divergences concernant les modalités de la réforme souhaitée, il avait été décidé de repousser la date du référendum pour l'organiser au même moment que les élections locales du 16 octobre 2005. Le projet a par la suite été abandonné. Le Parti de la réforme souhaitait, en effet, que la modification du mode de scrutin du président de la République soit assortie d'une réduction de ses pouvoirs, ce que refusaient ses deux partenaires gouvernementaux.

Sans aller jusqu'à changer complètement de système, certains considèrent qu'il serait possible d'améliorer les modalités du vote au parlement. Ainsi, le politologue Rein Toomla, professeur de l'université de Tartu, a proposé que lors du dernier tour de scrutin, seule une majorité simple des suffrages exprimés soit exigée pour élire le chef de l'Etat et non plus celle des 2/3. Pour contraindre le Riigikogu à prendre ses responsabilités dans le processus de l'élection présidentielle, certains suggèrent encore sa dissolution en cas de résultat négatif, à l'instar de ce qui est prévu pour le vote du budget. D'autres, enfin, envisagent de mêler suffrage universel direct et suffrage parlementaire comme lors de la première élection présidentielle qui s'est déroulée en Estonie en 1992. Si les combinaisons sont multiples, pour l'heure, aucune n'a réussi à s'imposer.

Le chef de l'Etat sortant Toomas Hendrik Ilves a exprimé son opposition à une élection du président de la République au suffrage universel direct. Il a indiqué qu'il souhaitait que l'Estonie reste une démocratie parlementaire et qu'il voyait dans la concentration des pouvoirs entre les mains d'un chef de l'Etat élu de façon directe une menace pour la démocratie.

Selon une enquête réalisée par l'institut Emor, la moitié des Estoniens (49%) sont favorables à l'élection du président de la République sortant Toomas Hendrik Ilves pour un 2e mandat ; moins d'un quart (23%) préfèreraient voir Indrek Tarand lui succéder. Les réponses diffèrent selon le groupe ethnique d'appartenance : ainsi, près des 2/3 des "Estoniens" soutiennent le chef de l'Etat sortant pour seulement 21% des "non-Estoniens" (le pays compte 1,3 million d'habitants dont 387 500 non-Estoniens – dont la grande majorité est russophone –, soit 29,8% de la population).

Le prochain chef de l'Etat ne sera cependant pas désigné par la population mais, peut-être, par les 101 membres du Riigikogu les 29 et 30 août prochain. Si Toomas Hendrik Ilves était désigné de la sorte (la chose paraît impossible pour Indrek Tarand), il deviendrait le 1er président de la République à être élu de cette façon.

Source : Commission électorale de la République estonienne

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