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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Deux gouvernements démissionnaires en l'espace de six mois, un homme politique assassiné, un mouvement populiste d'extrême droite devenant en quelques semaines la deuxième formation politique du pays avant de retomber comme un soufflé, l'année 2002 fût celle des turbulences politiques pour les Pays-Bas. Le gouvernement, formé le 22 juillet par Jan Peter Balkenende, n'aura finalement duré que quatre-vingt-sept jours avant que les tensions internes, essentiellement dues aux conflits entre les différents membres de la Liste Pim Fortuyn, ne deviennent insurmontables et que le Premier ministre se voit acculé à présenter à la Reine Beatrix la démission de son gouvernement et la convocation d'élections législatives anticipées.
Bref rappel des événements de 2002
Les élections législatives du 15 mai 2002, en consacrant l'écrasante victoire des chrétiens-démocrates et en remettant en cause le système traditionnel des partis politiques, ont fait l'effet d'un véritable séisme politique aux Pays-Bas.
D'une part, une formation populiste d'extrême droite, la Liste Pim Fortuyn, créée quelques mois auparavant et dont le leader charismatique et seule véritable personnalité politique du mouvement a été assassiné une semaine avant le scrutin, fait son entrée en force au Parlement obtenant vingt-six sièges alors qu'elle était jusqu'alors absente de la Chambre basse.
D'autre part, la coalition « violette » (social-démocrate), qui dirigeait le pays depuis huit ans, subit une lourde défaite ; les trois partis qui la constituaient perdant ensemble quarante-quatre des quatre-vingt dix-sept qu'ils détenaient. La défaite est particulièrement lourde pour le Parti du travail (PvdA) qui perd, à lui seul, vingt-deux sièges et obtient son plus mauvais résultat depuis 1945. Première formation politique des Pays-Bas depuis huit ans, le parti social-démocrate est désormais la troisième force du pays à égalité avec le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD). Le Parti des démocrates 66 (D'66), autre membre de la coalition au pouvoir, est également laminé perdant la moitié de ses sièges.
Jan Peter Balkenende, 46 ans, député depuis seulement une législature et élu à la tête de l'Appel chrétien-démocrate (CDA) quelques mois auparavant, hérite alors de la lourde tâche de conduire une coalition gouvernementale rassemblant sa propre formation, la Liste Pim Fortuyn (LPF) et, malgré des résultats en net recul, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD). La formation populiste obtient quatre portefeuilles ministériels (l'Immigration-Intégration, l'Economie, la Santé et les Transports) et cinq secrétariats d'Etat dont les Finances, l'Emancipation et la Famille. Pour la première fois, les politiques d'asile, d'immigration et d'intégration sont regroupées au sein d'un même ministère, une idée chère à Pim Fortuyn. C'est Hans Nawijn, militant de l'Appel chrétien-démocrate depuis les années quatre-vingts, devenu membre de la Liste Pim Fortuyn une semaine avant sa nomination ministérielle, qui hérite de ce super ministère. Il réussira avec ses déclarations fracassantes contre les demandeurs d'asile et les personnes d'origine étrangère à monopoliser le débat politique durant trois mois sans parvenir toutefois à déposer un seul projet de loi sur la politique d'immigration.
Le premier problème du nouveau gouvernement viendra de la secrétaire d'Etat à l'Emancipation et à la Famille. Philomena Bijlhout, révélant avoir menti sur son passé au sein d'une milice du dictateur surinamien Desi Bouterse, est contrainte à la démission quelques heures seulement après sa nomination. Puis, au fil des semaines, les Néerlandais, habitués à des décennies de stabilité et de consensus politiques, découvrent avec stupéfaction la violence et les incessantes querelles, allant de l'échange d'insultes à celui de coups, entre les membres de la Liste Pim Fortuyn. A la rentrée de septembre, le conflit entre Eduard Bomhoff, ministre de la Santé, et Herman Heinsbroek, ministre de l'Economie, tous deux membres de la formation populiste et se disputant la direction du parti, atteint son point d'orgue et entraîne, le 16 octobre, la démission du gouvernement de Jan Peter Balkenende qui devient ainsi le plus éphémère des gouvernements néerlandais qui se sont succédé depuis 1945.
La chute du gouvernement Jan Peter Balkenende
Le Premier ministre a attribué la chute de son gouvernement aux désaccords et aux luttes internes de la Liste Pim Fortuyn. « A mon grand regret, une crise de confiance s'est installée. J'ai tout fait dans les coulisses pour trouver une solution à ce conflit mais je n'ai pas réussi » a t-il déclaré. Cependant, une partie des analystes politiques ont mis en cause la responsabilité personnelle et l'inexpérience du leader de l'Appel chrétien-démocrate (CDA) à qui il est reproché de ne pas avoir su prendre la mesure de la crise et de ne pas être parvenu à faire régner l'ordre au sein de sa majorité.
Quant à la Liste Pim Fortuyn, comme le Parti libéral autrichien, elle n'a pas pu réaliser l'impossible, à savoir continuer à critiquer l'appareil politique tout en devenant un véritable parti de gouvernement capable de faire des propositions constructives. Le leader assassiné avait lui-même reconnu durant la précédente campagne électorale qu'aucun de ses colistiers n'était, selon lui, capable d'assumer une fonction ministérielle. La formation populiste a été dans l'incapacité de proposer des réformes gouvernementales hormis l'élection des maires au suffrage universel direct (les premiers magistrats des communes sont nommés par le gouvernement), une réforme qui constituait l'une des priorités de Pim Fortuyn dans sa lutte pour plus de démocratie directe aux Pays-Bas. Ce que craignaient la majorité des analystes politiques est advenu : la liste Pim Fortuyn a démontré son incapacité à se transformer en parti de gouvernement et ses dissensions internes ont fini par mettre en péril la cohésion de la coalition dirigeant le pays.
Dépourvue de tradition militante, d'enracinement géographique, de cadres expérimentés et secouée par des luttes internes, la Liste Pim Fortuyn, qui se faisait fort d'inaugurer une nouvelle ère dans la politique néerlandaise, est en pleine dérive. Mat Herben, ex-porte-parole du ministère de la Défense et ancien porte-parole du parti, qui avait succédé au leader assassiné avant d'être évincé le 8 août dernier au profit de Harry Wijnschenk, un éditeur sans aucune expérience politique, a retrouvé mi-octobre son poste de leader.
Les enjeux du nouveau scrutin
La chasse aux ex-électeurs de la Liste Pim Fortuyn (un million et demi de Néerlandais, soit un sur six le 15 mai dernier) est ouverte. La tenue d'élections législatives anticipées n'est pas sans poser problème à certaines formations politiques comme le Parti du travail (PvdA) qui a subi lors du dernier scrutin une trop lourde défaite pour pouvoir envisager un retour rapide au pouvoir. Par ailleurs, la formation social-démocrate a entrepris un large travail de refondation loin d'être arrivé à son terme. Le PvdA n'a pas encore retrouvé de leader et est dirigé au Parlement par un chef de groupe intérimaire.
Les dernières enquêtes d'opinion prédisent la disparition quasi-totale de la formation populiste lors du prochain scrutin. Cette nouvelle est toutefois loin d'être aussi rassurante qu'il y paraît. Il ne faudrait pas oublier que le vote des Néerlandais le 15 mai dernier, avant d'être une large approbation des thèses de Pim Fortuyn, exprimait leur mécontentement envers les partis traditionnels, considérés comme privilégiant la gestion au détriment du politique et incapables à leurs yeux de répondre aux véritables problèmes du pays. Ne pas oublier non plus que la faillite de la formation populiste doit plus à ses divisions internes qu'à la stratégie victorieuse de ses partenaires de coalition.
A deux semaines du scrutin législatif, plusieurs paramètres sont à prendre en compte. Tout d'abord, en dépit de la prospérité économique dans laquelle ils vivent, les Néerlandais expriment, dans l'ensemble des enquêtes d'opinion, leur malaise face à l'avenir. La violence et la criminalité constituent les premiers sujets d'inquiétude pour la moitié de la population, la santé et la sécurité pour un tiers de l'opinion alors que l'économie et l'emploi ne sont cités comme préoccupations que par 5% des personnes interrogées. Des chiffres à méditer pour l'ensemble des formations politiques. En deuxième lieu, la volatilité de plus en plus importante de l'électorat et le recul de l'attachement à toute formation politique par l'histoire familiale ou personnelle rendent beaucoup plus difficiles l'appréhension de chaque nouveau scrutin national.
Selon toutes les enquêtes d'opinion, l'Appel chrétien-démocrate (CDA) devrait conforter le 22 janvier prochain sa place de première formation du pays. Il est crédité d'une cinquantaine de sièges au Parlement (contre quarante-trois actuellement). Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et le Parti du travail (PvdA) arrivent à égalité en deuxième position dans les sondages, chacune des formations recueillant vingt-huit sièges (contre vingt-quatre actuellement pour le VVD et vingt-trois pour le PvdA). La Liste Pim Fortuyn s'effondre et ne devrait retrouver que cinq de ses précédents députés. Cependant, 40% de l'électorat reste indécis quant à leur vote. De nombreux analystes prédisent d'ailleurs un taux d'abstention élevé pour ces élections législatives anticipées.
Véritable détonateur, le leader populiste a fait exploser le système politique consensuel qui faisait la fierté des Pays-Bas depuis des décennies. « Pim Fortuyn n'aura pas réformé les Pays-Bas mais sa mort aura fait des Pays-Bas un tout autre pays » écrivait un quotidien néerlandais il y a quelques mois. Si les héritiers du leader populiste se sont avérés incapables de s'imposer comme de véritables hommes politiques, les inquiétudes mises à jour par Pim Fortuyn et les revendications dont il s'était fait le porte-parole sont loin d'avoir disparues. Une grande partie des Néerlandais attend non seulement qu'on ne nie pas leurs problèmes mais également qu'on y apporte des réponses.
Rappel des résultats des élections législatives du 15 mai 2002:
Participation : 78,8%
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