Entretien d'EuropeLa Grande-Bretagne et l'Union européenne.
La Grande-Bretagne et l'Union européenne.

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Pauline Schnapper

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19 décembre 2005

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Pauline Schnapper

Professeur de civilisation britannique contemporaine à l'Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 et membre de l'Institut universitaire de France. A publié Le Royaume-Uni doit-il sortir de l'Union européenne ?, La documentation française, 2014

1) Les propositions budgétaires britanniques reflètent-elles une réalité tactique dans la négociation ou incarnent-elles la vision britannique d'une Europe minimale ?

Je ne crois pas que l'on puisse dire que le gouvernement britannique actuel ait une vision « minimale » de l'Europe. Depuis des années, Blair répète qu'il est un Européen convaincu, partisan non seulement d'une Europe économiquement forte et ouverte sur le monde extérieur, mais aussi d'une Europe-puissance sur la scène internationale. Il a résumé sa position en parlant d'une Europe qui serait « une super-puissance, non un super-Etat » dans un discours prononcé le 6 octobre 2000 à Varsovie. Devant le Parlement européen, en juin 2005, il a aussi évoqué l'Europe sociale, même s'il ne l'entend pas de la même manière que le gouvernement français : il s'agit selon lui d'accompagner et de protéger les travailleurs face aux défis de la mondialisation. Les propositions budgétaires de la présidence britannique, ou du moins la remise en cause de la PAC, se situent dans cette logique. Elles reflètent aussi la position du Premier ministre sur sa scène politique intérieure : l'atmosphère anti-Bruxelles qui prévaut actuellement dans la presse et l'opinion publique rendent difficile toute concession majeure sur le montant du rabais dont bénéficie le Royaume-Uni depuis 1984, qui serait assimilée par les eurosceptiques à une capitulation du gouvernement. Il en va de même pour l'augmentation totale du budget européen, même si elle est indispensable pour absorber les nouveaux pays entrants...

2) De nombreux observateurs estiment que le Royaume Uni n'a pas réussi à faire avancer ses principaux objectifs durant sa présidence de l'UE. Cette appréciation est-elle confirmée dans le détail des mesures adoptées (ou non) au cours des six derniers mois ?

Les objectifs annoncés par la présidence britannique, notamment par Tony Blair lui-même lors de son discours au Parlement européen en juin, étaient nombreux et ambitieux. Ils concernaient, bien sûr, la conclusion d'un accord budgétaire, mais aussi les réformes économiques (y compris la directive sur les services), la lutte contre le terrorisme, l'élargissement, ainsi qu'un certain nombre d'initiatives dans le domaine de la politique étrangère. Au bout des six mois de présidence, le bilan n'est pas aussi négatif qu'on avait pu le craindre. Un accord sur le budget a été trouvé, c'est un compromis acceptable par tous, même s'il est en retrait par rapport aux propositions luxembourgeoises de juin. L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie en octobre est un autre point positif aux yeux de la présidence britannique. Pour le reste, le sommet extraordinaire de Hampton Court a réaffirmé les priorités de Lisbonne, lancé l'idée d'une politique européenne de l'énergie et souligné l'importance d'une coordination des politiques nationales en matière d'immigration. La création d'un Fonds destiné à adoucir les effets de la mondialisation sur les travailleurs européens y fut également décidée. Ensuite, le système REACH d'évaluation et d'autorisation des substances chimiques a été voté par le Parlement européen en novembre et accepté par le Conseil européen le 15 décembre. Un accord a été trouvé sur le prix du sucre, prévoyant une baisse substantielle des prix garantis d'ici 2010. Enfin, le succès du sommet de Montréal sur le réchauffement climatique peut être mis, au moins partiellement, à son crédit. Toutefois, on peut juger que ces réalisations restent encore insuffisantes eu égard à la crise que traverse l'Union européenne, analysée par Blair lui-même en juin, notamment pour ce qui concerne les objectifs de Lisbonne, la directive sur les services ou la défense, qui ont peu avancé durant ce semestre.

3) Comment le Royaume-Uni voit-elle son implication à venir dans la PESC et la politique de défense ?

Le Royaume-Uni a joué un rôle majeur dans le développement de la PESC et de la PESD ces dernières années. Sans l'évolution de Tony Blair sur le sujet, la PESD n'aurait pas vu le jour puisque le Royaume-Uni est la plus importante puissance militaire en Europe. La crise européenne à propos de la guerre en Irak a freiné, mais non arrêté, les nouveaux développements dans la défense européenne, en particulier la création de « groupements tactiques » et le déploiement de troupes limitées sous bannière européenne en Bosnie, en Indonésie, et peut-être à Gaza. Le Royaume-Uni s'est aussi fortement engagé dans le développement de la nouvelle agence européenne de l'armement. La poursuite de cette politique, en partenariat avec l'OTAN, avec ou sans sa participation, est à prévoir. Mais aucune initiative majeure n'a été annoncée dans ce domaine durant la présidence.

4) Au-delà de sa présidence, quels sont les principaux objectifs de la politique britannique en Europe pour 2006 ?

Plusieurs priorités sont vraisemblables. La première est la réforme de la PAC, qui est un objectif constant de la politique britannique. Les Britanniques ne veulent pas attendre 2013 pour réviser fondamentalement son fonctionnement, et ont obtenu au moins une nouvelle discussion après 2008. Les objectifs de Lisbonne seront également poursuivis, notamment l'accent mis sur l'enseignement supérieur, la recherche et le développement. Par ailleurs, la coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme restera certainement d'actualité, même si elle ne se fait pas forcément dans le seul cadre communautaire. Enfin l'élargissement reste un des objectifs constants de la politique britannique, même s'il est en contradiction avec le refus d'augmenter significativement le budget européen. Le gouvernement britannique, quel qu'il soit, ne manquera pas de continuer à soutenir l'adhésion de la Turquie, ainsi que celle des pays du sud-est de l'Europe.

5) Dans quelle mesure un changement de Premier ministre aura-t-il un impact sur la politique européenne du Royaume-Uni au cours des prochaines années ?

Il ne faut pas s'attendre, je crois, à un changement majeur de l'orientation de la politique européenne du Royaume-Uni car, comme Chancelier de l'Échiquier, Gordon Brown a déjà imprimé sa marque sur cette politique, particulièrement sur le choix de ne pas encore entrer dans la zone euro. Cela dit, Gordon Brown est un Européen moins convaincu que Tony Blair, et on peut s'attendre à une attitude moins prête au compromis que chez l'actuel Premier ministre. Comme l'a justement noté Zaki Laïdi dans un article paru dans le Monde (26 octobre 2005), Brown a une vision assez négative de l'UE, qu'il considère comme repliée sur elle-même, protectionniste, attachée à un modèle social qui a fait la preuve de son inefficacité et inadaptée aux défis de la mondialisation. Plus grave, il a paru s'interroger sur la nécessité même de l'Union européenne, coincée entre les deux entités qui, pour lui, comptent vraiment, c'est-à-dire les Etats-nations d'un côté et la mondialisation de l'autre. Il faut espérer que son pragmatisme, réel, l'amènera à plus de souplesse vis- à-vis de ses partenaires en Europe.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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